L’histoire de Martin Dumollard, le premier tueur en série français

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Crime

L’histoire de Martin Dumollard, le premier tueur en série français

Connu pour sa barbe fournie et ses 70 victimes, le « tueur de bonnes » a terrifié le Second Empire.

8 mars 1862. Il est six heures du matin. Sur la place du petit village de Montluel, près de Lyon, la guillotine a été dressée. Aujourd'hui, c'est jour d'exécution et Martin Dumollard, jardinier et ouvrier agricole de la région, va être mis à mort. Dans quelques minutes, sa tête roulera dans le panier en osier disposé aux pieds de la « faucheuse ». Malgré l'heure matinale, une foule nombreuse et particulièrement hostile a fait le déplacement pour assister aux derniers instants du condamné.

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Il faut dire que ce dernier, Dumollard, né 51 ans plus tôt dans l'Ain, n'a rien de sympathique. Son apparence physique est repoussante. Il possède un visage hideux, il est très chevelu, barbu, et porte autour de lui un regard halluciné. Sa bouche épaisse semble déformée par sa lèvre supérieure protubérante. Pour compléter le tableau, il boite. La foule le hait. Quelques semaines auparavant, le tribunal de Bourg-en-Bresse l'a condamné à mort pour les meurtres barbares de trois femmes et l'agression de neuf autres.

Les crimes dont il est reconnu coupable portent tous la signature d'un tueur méthodique, organisé et particulièrement sadique. Une sauvagerie renforcée dans l'horreur par la dimension sexuelle de ses meurtres. Toutes les victimes ont été retrouvées entièrement nues et affreusement mutilées. Toutes ont été préalablement enterrées dans les bois. Le visage massacré à coups de hache ou de couteau, elles ont subi la cruauté de l'assassin avant d'expirer certes, mais elles ont également été violées après leur mort – ce que constateront les légistes de la toute récente École de médecine de Lyon.

Mais ce qui intrigue tout particulièrement les gendarmes en charge de l'enquête, c'est le stratagème macabre mis au point par Dumollard pour arriver à ses fins.

Celui que l'on surnomme « Raymond » répète en effet inlassablement le même scénario. C'est aujourd'hui ce que les divers profilers du FBI qualifient de « modus operandi », c'est-à-dire le rituel qui permet d'approcher une victime et de passer à l'acte. Dumollard présente le profil type du prédateur solitaire et extrêmement dangereux.

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« Il commet ses crimes dans sa zone de confort, là où il sait qu'il va pouvoir agir à loisir sans être inquiété », précise Stéphane Bourgoin, spécialiste français des serial killers, contacté par VICE. « Il choisit toujours le même type de proie ainsi que le lieu et l'heure qui lui conviennent : c'est-à-dire dans des bois ou des endroits isolés à la tombée de la nuit. La finalité de son action est purement sexuelle. »

Extrêmement pervers et relativement lâche, Dumollard ciblait des jeunes femmes sans emploi, fragilisées par l'existence, qui se rendaient dans ce que l'on nommait des endroits de placement dans l'espoir d'y trouver un travail de domestique. Après les avoir abordées, il leur proposait une « place très bien rémunérée » chez une patronne qui, bien sûr, n'avait jamais existé. C'est sur le trajet pour se rendre chez ladite patronne que Dumollard les agressait afin d'abuser d'elles et de satisfaire ses pulsions.

L'affaire fait grand bruit dans la France du Second Empire qui compte pour chef d'État un descendant de Napoléon Bonaparte. Le territoire est alors en pleine mutation, à la fois industrielle et technologique. Les progrès rapides de la presse permettent désormais à l'information de circuler rapidement dans tout le pays et, depuis son arrestation le 3 juin 1861, le récit du parcours polycriminel de Dumollard s'étale à la une des journaux. Celui que l'on surnomme rapidement le « tueur de bonnes » devient une star locale, une célébrité de l'horreur, plus de vingt avant Jack l'Éventreur dans les rues de Londres.

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Photo de l'une des victimes de Dumollard, Marie Baday, 1855. Via Wiki Commons.

Dès son plus jeune âge, Dumollard se fait remarquer par une attitude inappropriée envers le sexe faible. Agressif et vulgaire selon les diverses sources d'époque, il « importune régulièrement les jeunes femmes de son village ». À cela s'ajoutent, une fois adolescent, des actes de petite délinquance – plusieurs vols, notamment – qui le font définitivement entrer dans la case des individus peu fréquentables. « Raymond », comme on l'appelle en référence à son petit frère mort en bas âge, se forge une mauvaise réputation. Celle-ci le suivra toute sa vie.

Une fois à l'âge adulte, Dumollard travaille en tant que domestique pour différentes familles bourgeoises. Entré au service d'un dénommé Guichard – celui-ci possédait le château de Sure, à Saint-André de Corcy –, il rencontre Marie-Anne Martinet. La jeune fille va devenir sa femme. Il s'installe rapidement avec elle dans une maison du village de Montellier, puis déménage à Dagneux. Après avoir commis divers petits larcins, Martin Dumollard fait son premier séjour en prison. Il restera une année entière derrière les barreaux. Voilà ce que l'on sait du Dumollard jeune homme, l'ancêtre de l'assassin.

Plus tard dans Paris, tandis que le voile se lève sur la personnalité trouble du « tueur de bonnes », l'opinion publique plonge de plus en plus dans l'horreur. On apprend ainsi qu'au lendemain de son arrestation, les gendarmes auraient découvert à son domicile près de 1 250 effets féminins en tous genres. Bas, corsets, culottes, gants, chapeaux, robes, châles etc. Et plusieurs malles, dont certaines appartiennent à des femmes qui ont disparu plus de dix ans avant son premier possible meurtre. Ce qui signifie que Dumollard est un tueur encore bien plus prolifique que ce que les premiers articles sur lui donnaient à penser.

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Après un voyage en train jusqu'à Montluel, Dumollard propose à sa victime de « continuer à pied » tandis que la nuit commence à tomber. Arrivé dans les bois, il se jette sur elle et tente de l'étrangler à l'aide d'un lasso.

« On estime qu'il a dû tuer entre 55 et 70 jeunes femmes », explique Stéphane Bourgoin. C'est en tout cas le nombre de disparitions suspectes recensées dans la zone géographique où il sévissait. « Il s'agissait d'un tueur fétichiste. Il gardait les objets appartenant à ses victimes, qui étaient pour lui des trophées – comme les chasseurs qui accrochent sur leurs murs des têtes de sanglier. » On raconte qu'il prenait d'ailleurs beaucoup de plaisir à voir porter ce qui avait autrefois appartenu à d'autres femmes. Mortes.

Les gendarmes vont aussi mettre la main sur le portefeuille et le bulletin de naissance de Marie-Eulalie Bussod, disparue subitement en février 1861. Sous la pression des trois sœurs de la victime, Dumollard reconnaît l'avoir tuée et accepte de conduire les gendarmes dans les bois de Montluel où il a enterré le corps. Près d'une mare, on découvre sous une épaisse couche d'argile humide le corps entièrement nue d'une femme. Elle a été frappée avec une rare brutalité à la tête grâce à un objet contendant et présente plusieurs blessures sur le visage et le cou, ainsi que de nombreuses ecchymoses. L'autopsie révélera qu'elle a été violée à de multiples reprises alors qu'elle agonisait. Des traces de terre dans ses fosses nasales indiquent également qu'elle était encore vivante lorsque Dumollard l'a enterrée.

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Mais tout s'écroule au printemps 1861.

Le 28 mai, Martin Dumollard remarque Marie Pichon, une jeune domestique qui se promène sur le pont de la Guillotière, près de Lyon. Fidèle à son modus operandi, il l'aborde et lui propose une « place grassement payée » chez un employeur fictif à Dagneux. Marie Pichon rassemble quelques affaires. Après un voyage en train jusqu'à Montluel, Dumollard lui propose de « continuer à pied » tandis que la nuit commence à tomber. Arrivé dans les bois, il se jette sur elle et tente de l'étrangler à l'aide d'un lasso.

Mais, profitant d'un moment d'inattention de son agresseur, Marie Pichon s'enfuit. Lorsqu'elle est hors d'atteinte, elle donne l'alerte. Mis au courant rapidement, le juge Genod ordonne à ses gendarmes d'aller cueillir le suspect à son domicile. Ç'en est terminé de la série infernale.

À son procès, qui débute le 29 janvier 1862 au Palais de justice de Bourg-en-Bresse, Dumollard n'exprimera aucun remords. Bien que de nombreuses femmes rescapées se soient manifestées pour témoigner contre lui, il cherchera à se défausser en inventant l'histoire abracadabrante de « deux hommes barbus et très grands », lesquels l'auraient contraint à « commettre ces crimes contre la promesse d'une grosse somme d'argent ». Le nombre de témoins à charge que s'apprêtent à interroger les représentants de la Cour d'assises s'élève à 71.

Dans un dernier sursaut pour sauver sa peau, Dumollard essaie même d'apitoyer l'assistance. Il livre une anecdote particulièrement sordide à propos de son enfance. Son père, d'origine hongroise, aurait selon ses dires « fui son pays » car le pauvre homme était accusé d'avoir tué plusieurs personnes. Rattrapé par ses compatriotes, il avait, toujours selon la version de Dumollard, été « écartelé entre quatre chevaux et littéralement déchiqueté », tandis que le petit Martin était encore enfant. « On m'avait obligé à assister à ce spectacle », a-t-il dit. Mais il s'agit d'un mensonge éhonté, et les juges ne sont pas dupes. Après trente minutes de délibérations, ces derniers reviennent avec la sinistre nouvelle : ce sera la décapitation par guillotine.

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À cette annonce, Dumollard ne semble pas étonné. Il a tué, et doit à présent affronter son châtiment. S'étant préparé au pire, il réplique, désabusé : « J'aime mieux ça que d'être comme mon père, écartelé sur une roue en étant tiré dans tous les sens par des chevaux. » Soit.

Avant de monter sur l'échafaud, les dernières paroles du tueur de bonnes sont une nouvelle fois inattendues. Il réclame en effet que l'on « fasse le nécessaire » afin que l'une de ses voisines qui lui doit de l'argent « règle sa dette » après sa mort. À sept heures du matin le 8 mars 1862, Martin Dumollard est décapité. Ainsi disparaissait le premier tueur en série moderne.

Sa tête en revanche, n'a pas disparu. Le visage de l'assassin fut reconstitué à partir de sa peau et de son cuir cheveu, et est toujours visble au Musée d'anatomie et d'Histoire médicale Testut-Latarjet, à Lyon.

Stéphane Bourgoin est l'auteur de « Les dernières paroles des condamnés à mort » qui vient de paraître aux éditions Ring.

Arnaud est sur Twitter.