Rugby des clochers épisode 2 : Deux mois de sains supplices
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Rugby des clochers épisode 2 : Deux mois de sains supplices

Après une préparation intense, Saint-Sul, Petit Poucet de sa poule, démarre sa saison ce dimanche à Bobigny, équipe chevronnée de Fédérale 1.

Dans l'ombre du Top 14 et de ses stars bodybuildées, tous les dimanches à 15 heures se joue un autre rugby. Celui des copains, des interminables déplacements en car, des troisièmes mi-temps à rallonge, des lundis matins difficiles. De véritables aventures humaines et sportives dont on raffole chez VICE Sports.

Du coup on a décidé d'aller dans une petite bourgade de Haute-Garonne, à Saint-Sulpice-sur-Lèze, pour vivre une saison de rugby, un autre rugby même, avec l'Union Sportive Saint-Sulpicienne. L'équipe fanion du club évolue en Fédérale 1, la première division des rugbymen amateurs. Les joueurs ne sont pas payés et, sur le terrain, ils vont devoir s'envoyer pour permettre au club de perdurer au plus haut niveau amateur, au milieu d'équipes qui rêvent d'accéder au monde professionnel et dont certains joueurs sont grassement rémunérés. Saint-Sulpice-sur-Lèze nous a gentiment ouvert les portes de son stade et de ses vestiaires.

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Deux mois. C'est le laps de temps qui s'est écoulé entre la reprise de l'entraînement, mercredi 19 juillet, et la date du premier match de championnat, dimanche 18 septembre 2016, sur la pelouse de Bobigny. Deux mois très spéciaux au cours desquels les Saint-Sulpiciens ont tantôt ri, tantôt trimé, au gré des jeux et des tortures concoctés par Jocelyn Authier et Damien Denechaud, leurs entraîneurs. Ici, probablement plus que dans les autres clubs de Fédérale 1, la gageure de la phase de préparation, au cœur de l'été, est de réunir l'ensemble des joueurs lors de chaque séance. Un casse-tête insoluble pour le duo de coaches, fidèlement secondé par leurs homologues de la ''B'' (la deuxième équipe, ndlr) Jean-René Déjean et Victor Labat, car cette période de l'année est dévolue aux… congés payés. Et, fût-ce au nom du tout-puissant esprit d'équipe qui anime les irréductibles rugbymen du stade Gaston-Sauret, il est des combats conjugaux ou des sacrifices familiaux décemment non imposables à des mecs dont la prime de match n'excède pas 75 euros.

Fabrice Capdeviolle, le préparateur physique en pleine préparation du test VMA.

Voilà une considération qui provoquerait des crises d'urticaire à bien des entraîneurs du niveau au-dessus ! A "Saint-Sul", le tandem Authier-Denechaud s'en accommode tant bien que mal, et puis c'est tout. En avançant d'une quinzaine de jours la date de la reprise, programmée d'ordinaire début août, et donc en augmentant le temps de façonnage des automatismes collectifs, les coaches de l'USSS ont tenté de minimiser les effets des absences forcées des uns et des autres. Ils se sont par ailleurs adjoints les services de Fabrice Capdeviolle, préparateur physique, qui intervient tous les mardis auprès des "gros" du paquet d'avants. Le renfort d'une telle compétence est une grande nouveauté au club. « Pendant les entraînements, les joueurs se donnent à fond lors des séances de cardio, et c'est un groupe très agréable », estime l'intéressé, lui qui fut entraîneur avant d'opter définitivement pour la préparation physique, activité qu'il exerce par ailleurs à l'Institut toulousain d'expertise et performance sport & santé.

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Jocelyn Authier et Damien Denechaud, les deux coaches de l'équipe première.

« Après, il reste un gros boulot à faire sur l'athlétisation des corps, poursuit-il. On travaille la psychomotricité par des exercices de renforcement musculaire, à base de circuits sur les membres inférieurs. Pas mal de garçons ont des lacunes dans ce domaine-là mais je suis persuadé qu'elles seront vite comblées parce qu'ils sont tous sportifs dans l'âme. La Fédérale 1 est exigeante et j'ai surtout le souci de faire en sorte qu'il y ait le moins de blessés possibles pendant la saison. Beaucoup de ces joueurs ont de la force pure et brute mais ils doivent maintenant arriver à développer l'explosivité et cela nécessite un travail de fond. Je ne suis pas là pour les juger, je leur donne les outils et c'est eux qui viennent les prendre ou pas. Je ressens franchement un bon état d'esprit et je crois qu'ils sont contents de ce que je propose puisqu'ils deviennent eux-mêmes de plus en plus demandeurs. Ce n'était pas forcément gagné parce que j'ai cru comprendre qu'avant mon arrivée, ils ne voulaient pas trop entendre parler de musculation et de préparation physique (sourire). Ils auraient aimé n'avoir que des entraînements de rugby ». Pas suffisant du tout, et ils en sont déjà conscients, pour se coltiner les âpres combats qui rythment les dimanches en Fédérale 1.

Les joueurs, en pleine séance de gainage.

Fabrice Capdeviolle avait même établi un programme pour l'intersaison, de courant juin à début août, afin que tous, y compris les vacanciers, arrivent un minimum préparés et affûtés au moment de la reprise. « Ils sont nombreux à s'être entretenus », assure-t-il. Toutefois, la chasse au gras n'a pas été unanimement suivie au sein du groupe qui, selon Damien Denechaud, affiche, à l'aube de l'ouverture du championnat, un léger retard sur le plan physique par rapport à la feuille de route tracée. « Les joueurs le rattraperont en enchaînant les matches », me souffle-t-il, un brin fataliste, tout en se réjouissant de l'implication générale lors des entraînements. Car là, pour sûr, et j'en témoigne, on ne s'échappe pas ! « J'ai l'impression qu'on a encore plus travaillé que les années d'avant », me confiait le talonneur et capitaine Yohan Meneghel mardi dernier, lui-même de retour de quelques jours de vacances en Corse.

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Les joueurs de l'équipe première de Saint-Sul, à l'échauffement, avant leur match amical face aux espoirs de Colomiers.

Personne n'a triché non plus lors du stage d'intégration des recrues (ou de désintégration nocturne, selon le point de vue choisi !) de trois jours à Arreau, dans les Hautes-Pyrénées. Après une revue d'effectif lors d'un match amical disputé en trois tiers-temps à Lannemezan, d'où l'on ne retiendra que la fâcheuse blessure ligamentaire à un genou du deuxième ligne Thomas Lecornu, 37 ans, éloigné des terrains pour plusieurs mois alors qu'il sort d'une saison canon en Fédérale 2, les Saint-Sulpiciens ont crapahuté au bon air de la montagne : escalade, randonnée, rafting, tous les ingrédients utiles à la consolidation du groupe. Une fois encore, la caisse des joueurs aura aidé au financement de cette classe verte en altitude.

Le véritable lancement de la saison, toutefois, s'est opéré au soir du 26 août, après la victoire en amical de l'USSS face aux espoirs de Colomiers à Gaston-Sauret (56-33), tandis que la "B" affrontait Rieumes (Fédérale 3) sur le terrain annexe. Pourquoi une date à marquer d'une pierre blanche ? Parce qu'elle était celle du coup d'envoi de la Fête du village, une tradition à laquelle aucun joueur n'échappe à "Saint-Sul" ! Et surtout pas les bizuts, attachés deux par deux, par une main et un pied, afin qu'ils passent une "nuit debout" pas tout à fait comme les autres… Mais cela ne nous regarde pas ! Côté sportif, la troisième rencontre amicale de la phase de préparation, jouée le 9 septembre, a été de loin la plus révélatrice : une victoire sous la flotte, à domicile, contre le Stade bagnérais (21-17), le club de Bagnères-de-Bigorre. Une formation expérimentée de Fédérale 1 et donc un étalon de choix, qui menait pourtant 17 à 0 à la pause.

A lire aussi : Rugby des clochers, épisode 1 : Bienvenue à Saint-Sul !

Un match riche d'enseignements pour les entraîneurs de l'USSS. Damien Denechaud a pu mesurer les progrès accomplis par ses trois-quarts dans les chantiers du moment : la maîtrise des lancements de jeu, l'organisation sur les relances de jeu et la défense. Lors d'une séance vidéo précédant l'entraînement de mardi dernier, Jocelyn Authier, lui, a analysé avec ses "gros" les problèmes rencontrés en mêlée fermée lors de la première période contre Bagnères. L'USSS, un petit club aux moyens limités ? Certes, mais on n'y laisse rien au hasard. En préambule de cette même rencontre, l'arbitre Eric Soulan, du comité Midi-Pyrénées, avait ainsi sensibilisé les joueurs aux subtilités des nouvelles règles, en particulier sur les zones de rucks et en touche. Mardi encore, Alain Quintana, le soigneur omnipotent, préparait déjà soigneusement les deux pharmacies qu'il amènera ce week-end à Bobigny et se concentrait sur sa to do list : ne pas oublier les deux jeux de maillots, récupérer une vingtaine de packs d'eau, etc…

Le soigneur Alain Quintana prépare les trousses à pharmacie pour le déplacement à Bobigny, là où l'USSS lancera sa saison de Fédérale 1.

Bobigny constitue un déplacement dantesque pour Saint-Sulpice-sur-Lèze, qui n'a jamais connu ça. Samedi, à 22h30, à la gare de Toulouse-Matabiau, les 53 membres du club prendront en effet place à bord de l'Intercités de nuit 3752. Sur son site, la SNCF rassure : « Vous avez réservé une couchette ? Pour un voyage agréable, votre lit est prêt, une bouteille d'eau ainsi qu'une pochette confort sont mises à votre disposition. Cette dernière contient : des lingettes rafraichissantes, des bouchons d'oreilles et des mouchoirs. » On en mangerait ! Dimanche, à 6h42, le train déposera ce beau monde à Paris, à la gare d'Austerlitz. Là, un bus viendra récupérer les joueurs pour les conduire vers le terrain où il effectueront un décrassage-mise en place inédit. Après le déjeuner, pas le temps de cogiter, il faudra filer au stade Henri-Wallon : la "B" joue à 13h30 contre celle de l'AC Bobigny, la "Une" à 15 heures. A 22h52, ce même dimanche, les 53 braves chemineront dans l'autre sens, pour débarquer à 6h45, lundi, à Toulouse, peu avant le lever du jour. De quoi être frais et dispos pour attaquer la journée de boulot ! On en rigole mais toute la vie de l'USSS se trouve résumée dans cette incroyable aventure ferroviaire : après deux mois de préparation intense où chaque membre du club se sera décarcassé pour que la saison démarre en fanfare à Bobigny, il faudra néanmoins en passer par cet interminable wagonnage. Le match ? Les Saint-Sulpiciens donneront tout, c'est une certitude. Le retour de nuit, aussi, promet d'ores et déjà beaucoup. Et je ne vous dis pas s'ils gagnent…