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Les Basques ont dit « oui » au frigo pour tous

À Galdakao, dans un petit village du Nord de l'Espagne, la mise en place d'un « frigo solidaire » permet lutter efficacement contre le gaspillage alimentaire et de taper librement dans les courses des autres.

Est-ce que vous avez déjà essayé de partager votre frigo avec quelqu'un d'autre ? Si la réponse est oui, vous pensez peut-être à cette fois où vous avez dû lutter contre une propagation inquiétante de moisissure dans le bac à légumes à cause de la bouffe oubliée par Francesca, votre colloc' Hongroise dépressive. Vous pensez peut-être aussi — non sans une certaine mélancolie — à cette autre fois où vous êtes tombés nez à nez avec une bouteille en plastique pleine d'urine congelée, que le nouvel ancien mec de Francesca avait pris soin de dissimuler en guise de souvenir de rupture.

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Heureusement, le partage de frigo n'est pas toujours une expérience aussi traumatisante.

À Galdakao, un petit village perché dans les montagnes du Pays Basque espagnol, à côté de Bilbao, les habitants utilisent leurs réfrigérateurs pour venir à bout d'un problème qui touche le monde entier.

Le problème ? Le gaspillage de la bouffe.

Plus que jamais, le gaspillage alimentaire est devenu un réel problème de santé publique. En mai dernier, l'Assemblée Nationale a voté une loi qui interdit aux grandes surfaces de jeter la nourriture invendue mais encore consommable. Depuis, la plupart des supermarchés français donnent cette nourriture à des associations caritatives plutôt que de la foutre directement à la poubelle. Au Royaume-Uni, le restaurant Silo lutte à sa manière contre le gaspillage en recyclant 100 % de ses déchets alimentaires.

Des initiatives qui peinent encore à voir le jour dans un pays comme les États-Unis, où l'on estime que l'ensemble de la population jette environ 40 % des denrées alimentaires qu'elle achète à la poubelle, soit l'équivalent d'environ 145 milliards d'euros. D'après une étude récente, les Américains gaspilleraient individuellement une moyenne de 570 euros de bouffe chaque année.

Mais sur le Vieux Continent, dans notre petit village d'irréductibles Basques, un certain Alvaro Saiz a tenu à apporter une solution durable aux réelles difficultés que rencontrait sa commune pour gérer les déchets alimentaires de ses administrés. Après mûres réflexions (et surtout après avoir passé pas mal de temps à faire des recherches sur Internet), il a découvert l'existence d'un réseau de réfrigérateurs publics partagés à Berlin, qui répondait exactement aux mêmes problématiques que celles de son village. « On a vu qu'on pouvait le faire, alors on l'a fait », explique très simplement Saiz dans un entretien au Guardian.

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Quand Saiz a évoqué l'idée d'adapter le concept berlinois à Galdakao, l'enthousiasme de la municipalité a permis d'obtenir assez rapidement l'accord du maire et les permissions légales nécessaires à la création de son entreprise, Frigorífico Solidario, et notamment les papiers qui la mettrait hors de cause dans le cas où quelqu'un tomberait malade à cause d'un aliment provenant du « frigo solidaire ».

Un frigorífico solidario en Galdakao en el que la comida no se tira sino que se comparte … http://t.co/47KOIKFlpg pic.twitter.com/F2PtLv3ZEH

— MrPINTXO (@MrPINTXO) June 11, 2015

Pourtant, tous les 29 000 habitants de Galdakao n'étaient pas forcément emballés par la mise en place d'une forme de service public en lien avec le partage de nourriture : « Les gens qui ne nous soutiennent pas, c'est parce qu'ils ne comprennent pas notre démarche. Notre réelle mission, c'est de redonner de la valeur aux produits alimentaires et de lutter contre le gaspillage », analyse Saiz.

Mais Saiz a foncé bille en tête. Il s'est avéré que beaucoup de ses détracteurs avaient mal interprété tous les efforts déployés par les instigateurs du projet et pensaient qu'il était davantage question de charité plutôt qu'un réel moyen de pallier le gaspillage de bouffe.

Car l'idée, c'est surtout d'éviter que de la bouffe encore bonne à consommer ne finisse systématiquement à la poubelle, peu importe votre statut social, peu importe vos revenus. D'ailleurs, les « frigos solidaires » ne discriminent pas les riches : « On s'en fiche de qui vient se servir dans nos frigos. Julio Iglesias pourrait s'arrêter juste ici et prendre un truc, ça serait pareil », avance Saiz.

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Quiconque peut se servir, certes, mais ce n'est pas une cantine pour autant. Le concept de frigo solidaire n'a pas vocation à devenir une sorte de paradis épicurien de la gratuité pour tous où des gourmands radins se feraient la dent sur la bouffe des autres.

Dont acte : des bénévoles patrouillent régulièrement pour vérifier le contenu du frigo et pour vérifier qu'il ne contienne pas de bouffe périmée. D'ailleurs, il existe certaines restrictions quant au type de nourriture autorisée à séjourner à l'intérieur du frigo : pas de viande, pas de poisson, pas d'œufs, par exemple. Aussi, tous les produits faits maison doivent être étiquetés avec la liste des ingrédients et leur date de préparation. Enfin, tous les produits emballés doivent bien sûr être déposés avant leur date limite de consommation.

D'autres initiatives anti-gaspillage alimentaire fleurissent un peu partout. En Allemagne, une organisation appelée Foodsharing mène le même combat. Elle a mis en place une plateforme sur sont site Internet où l'on peut donner les aliments en rabe dans son frigo à d'autres utilisateurs ou même se faire offrir les ingrédients qu'il manque à la préparation d'une recette. Et Foodsharing fait aussi dans le partage de frigo : d'après le New York Times, « il existe 100 points de partage de nourriture en Allemagne. Environ 50 points sont pourvus des frigos, les 50 autres ont des rayonnages. »

Le partage de nourriture gagne en popularité de jour en jour : la ville de Murcie, dans le sud de l'Espagne, est récemment devenue la deuxième ville espagnole à se lancer officiellement dans le concept de frigo solidaire. Saiz dit avoir reçu beaucoup de messages de particuliers désireux de lancer l'initiative dans leurs villes, jusqu'en Bolivie.

Les petits restaurants locaux de Galdakao ont eux aussi adhéré à l'initiative dans l'espoir de réussir à mieux contrôler leurs stocks. « Avant, on jetait énormément de nourriture, et de la nourriture qui était parfaitement comestible », reconnaît Alvaro Llonin, le propriétaire du bistrot chez Topa.

Aujourd'hui à l'issue du service, il a le réflexe de mettre tous les déchets alimentaires du restaurant directement dans le frigo de la ville.

Et quand on connaît le nombre de gens qui vivent en colocation et qui tombent régulièrement sur des bouteilles d'urine congelées, on se dit que le concept a quelques beaux jours devant lui.