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La mort cellulaire est peut-être réversible

Le laboratoire de Denise Montell tente de comprendre comment l'anastase pourrait permettre de réparer des cellules du corps qui se renouvellent peu ou pas du tout, comme les neurones ou les cellules cardiaques.

Il y a quelques années, les scientifiques ont découvert qu'un processus mystérieux appelé "anastase" intervient au cœur des mécanismes cellulaires. À cause de lui, nous avons dû remettre en question l'idée selon laquelle la vie des organismes correspondant à un chemin linéaire vers la mort, et envisager que la mort cellulaire puisse être réversible sous certaines conditions.

Lorsqu'une cellule s'effondre sur elle-même suite à l'exposition à des radiations, à des toxines ou à tout autre type d'agression violente, elle peut parfois interrompre son propre processus de dégénérescence et se réparer par elle-même pour peu que l'agression se soit interrompue à temps. C'est en tout cas ce qu'affirme la biologiste cellulaire Denise Montell de l'Université de Californie.

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"En biologie cellulaire nous étudions entre autres l'apoptose, c'est-à-dire le mécanisme de suicide cellulaire programmé. Actuellement, on estime que ce mécanisme est régi par un principe universel : l'irréversibilité. Lorsque les cellules déclenchent leur propre mort, on ne peut plus revenir en arrière", m'explique Montell par téléphone. Or, ses recherches, décrites pour la première fois dans un article publié par la revue Molecular Biology of the Cell en 2012, remettent en cause ce principe.

Le laboratoire de Montell tente de comprendre comment l'anastase pourrait permettre de réparer des cellules du corps qui se renouvellent peu ou pas du tout, comme les neurones ou les cellules cardiaques.

Human cells prior to treatment (A), the same group of cells after a 3 hour exposure to EtOH which induces apoptosis (B), and the same field of cells after 3 or 4 hours of recovery. DNA is stained in blue. the cells shrivel up when they undergo apoptosis and the spread out again when they recover.

Chaque jour, les milliards de cellules qui composent notre corps décident de si elles doivent continuer à vivre, ou non. En effet, les cellules endommagées doivent mourir : si elles ne se suicidaient pas, nous nous exposerions constamment à des cancers et autres maladies.

Même si l'apoptose est un processus essentiel à la vie, certains types de cellules n'y ont jamais recours. C'est le cas des neurones, qui sont conçus pour durer toute la vie, ainsi que des cellules cardiaques", explique Montell. Pour fonctionner correctement, le corps doit alors trouver un équilibre : si une quantité trop importante de cellules nerveuses meurent, la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson risquent de faire leur chemin.

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Une fois que l'apoptose est déclenchée, une molécule appelée la "caspase bourreau" est activée au sein de la cellule. Elle porte bien son nom puisqu'elle est chargée de découper la cellule en morceaux jusqu'à ce que celle-ci soit incapable de fonctionner correctement. "Une fois la cellule démembrée, d'autres cellules viendront engloutir les morceaux", explique-t-elle.

Montell a entamé ses recherche sur l'anastase il y a plusieurs années à la John Hopkins University, lorsqu'un jeune docteur a demandé à faire un post-doc dans son labo après avoir découvert les premiers indices de la réversibilité de la mort cellulaire lors de son doctorat à Hong Kong. Montell a donc officiellement attribué la découverte de l'anastase à son étudiant, Hogan Tang, une initiative rare au sein du monde académique où les directeurs de recherche s'accaparent fréquemment le mérite du travail de leurs équipes.

Tang a induit l'apoptose dans les cellules en ajoutant 4,3% d'éthanol à des cultures cellulaires, avant d'inhiber la caspase, explique Montell. "Une fraction substantielle des cellules s'est ainsi rétablie après l'agression induite par l'ethanol."

L'étape suivante consistait à tester ce procédé sur des cellules de mammifères et de drosophiles. Dans les premiers temps, les résultats extraordinaires de l'étudiant ont laissé Montell extrêmement sceptique. Tang a finalement le laboratoire et après plusieurs réplications de l'expérience, la découverte a été prise avec le plus grand sérieux.

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Jusque là, les chercheurs ont observé l'anastase au sein de 12 types cellulaires de mammifères différents. Selon Montell, cela suggère que l'anastase est un processus extrêmement ancien qui a dû apparaître chez un lointain parent commun aux mammifères et aux mouches, il y a plusieurs millions d'années.

Pour le moment, nous n'en savons pas davantage sur les origines et la fonction de l'anastase. Andrew Fraser, professeur au Centre Donnelly pour la recherche cellulaire et biomoléculaire de l'Université de Toronto, a déclaré que si la manipulation de l'anastase - dont il n'avait jamais entendu parler auparavant - soulève de nombreux espoirs dans le traitement l'ischémie ou des AVC, elle pourrait également s'avérer dangereuse.

Denise Montell. Image: Breanne Garbutt/UCSB

"Du point de vue de l'organisme, lorsque l'apoptose est déclenchée, c'est que la mort de la cellule concernée est une nécessité absolue. Cela signifie qu'il existe d'important dégâts au niveau de l'ADN", explique-t-il."

Selon lui, l'importance de la corruption de l'ADN est déterminante. Que se passera-t-il si la cellule commence à mourir, entre en anastase, mais continue de développer des mutations dangereuses ?

"Il ne faut surtout pas que ces mutations soient répliquées", ajoute-t-il. "On sait que l'apoptose est une conséquence naturelle de la corruption de l'ADN. En gros, l'organisme se dit 'Merde, mon ADN est pété' et supprime la cellule défaillante."

Selon Montell, Fraser a raison de s'inquiéter : selon ses observations, une petite fraction de cellules a conservé l'ADN corrompu ainsi que ses mutations, ce qui pourrait mener à un début de cancer. Cependant, la plupart des cellules subissant l'anastase peuvent réparer leur ADN, dit-elle. "Dans une minorité de cas, la mutation du gène est conservée après anastase, c'est vrai. C'est l'un des effets secondaires indésirables de ce processus."

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La deuxième fois où je me suis entretenu avec Montell, elle était en conférence au Texas. Son équipe venait de publier un nouvel article plus étoffé, publié sur un serveur preprint. Celui-ci rendait compte de nouvelles observations : l'anastase se déroule en réalisé en deux étapes. Tout d'abord, les cellules sous anastase se multiplient, puis migrent. 12 heures plus tard, elles ont été substantiellement modifiées par rapport à leur état d'origine (ce qui pousse les chercheurs à se demander si les cellules retrouvent jamais un état normal, ou si le processus d'anastase les modifie à jamais). Montell estime que ce phénomène est proche d'un processus de cicatrisation des plaies, qui laisse une trace indélébile.

Tout ceci ne ressemble-t-il pas de manière tremblante au mécanisme du cancer, avec une mutation, une multiplication et une migration (métastase) successives, et une résistance extrême en dépit de l'exposition aux toxines (chimiothérapie) ?

Eh bien oui. C'est exactement ce que font les cellules cancéreuses, et ce contre quoi nous luttons en oncologie, explique Montell. "Lorsque nous attaquons le cancer, nous le traitons par radiothérapie ou par chimiothérapie jusqu'à ce que les cellules cancéreuses se suicident par apoptose."

Le fait que des cellules retrouvent la santé après avoir frôlé la mort pourrait donc expliquer la résistance de certains cancers, ainsi que le malheureux "effet rebond" qui touche certains patients dont le cancer était en régression. Parfois, des mois ou des années après le succès d'un traitement contre le cancer, celui-ci fait de nouveau surface. Selon Montell, l'anastase pourrait être responsable de ce phénomène. "Les cellules cancéreuses détournent sans doute le processus vertueux de réparation cellulaire, ce qui a hélas un impact très négatif", explique-t-elle.

S'il s'avérait que l'anastase est effectivement le processus responsable du retour du cancer après rémission du patient, ce serait selon elle "un effet malheureux" d'un processus de guérison naturel des blessures grave mais sublétales. "En quelque sorte, le cancer est une blessure qui ne guérit jamais, une opposition perpétuelle à la cicatrisation."