Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française, élu en 2007 et battu par François Hollande en 2012, est donné grand favori pour prendre la tête de son parti politique, l’UMP, à la suite d’une campagne menée depuis cet été et qui se termine par un vote ce samedi 29 novembre. Une première étape vers une autre présidence, celle de la France en 2017.
Pour celui qui avait décidé de se retirer de la politique après sa dernière défaite, le retour s’est fait sous la pression des dissensions au sein de sa famille politique (ce qui devrait ne pas le conduire vers le total plébiscite qui était l’objectif de départ pour ce samedi) mais aussi celle, finalement moindre, de neuf affaires judiciaires et politiques dans lesquelles son nom revient avec plus ou moins d’importance. Le journal Le Monde en résume les tenants et les aboutissants ici.
Videos by VICE
La plus spectaculaire d’entre elles, puisqu’elle résonne avec la guerre de Libye de 2011, est celle d’un possible financement occulte de la campagne présidentielle du candidat Sarkozy en 2007 par Mouammar Kadhafi. Affaire dans laquelle le nom de Nicolas Sarkozy revient, pour autant il n’est pas mis en cause directement par l’enquête judiciaire.
L’ancien président a toutefois donné de sa personne dans cette affaire en portant plainte contre le site Mediapart, contestant l’authenticité d’une pièce maitresse dans l’enquête du média. Une authenticité certifiée depuis le début du mois de novembre par des experts mandatés par la justice. Dans ce contexte pourtant chaud de l’élection de l’UMP, l’information est passée quasi inaperçue.
VICE News a interrogé Fabrice Arfi, le journaliste qui a révélé l’affaire en 2011 dans les pages du site Internet d’information et d’investigation Mediapart. Lancé en 2008, entre autres par Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du journal Le Monde, ce média français en accès payant s’est fait un nom solide avec des enquêtes retentissantes dans les milieux politiques ou financiers.
« Pour nous, ça commence au printemps 2011 », raconte Fabrice Arfi. « On prend possession de milliers de documents. Je dis bien des milliers de documents qui sont les archives d’un homme d’affaire et marchand d’armes, qui s’appelle Ziad Takieddine. » Le nom de ce Franco-Libanais spécialisé dans les contrats internationaux (parent de la femme de George Clooney pour la toute petite histoire) n’est pas inconnu des journalistes français. On le retrouve déjà dans une autre affaire dite de Karachi. Il est suspecté d’avoir joué un rôle d’intermédiaire dans un possible financement illégal de la campagne présidentielle de l’ancien Premier ministre français Édouard Balladur en 1995, sur fond de contrats d’armements avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite en 1994, de rétro-comission et d’attentat suicide au Pakistan en 2002. Ministre du budget à l’époque dans le gouvernement Balladur (1993-1995) le nom de Nicolas Sarkozy est revenu souvent dans l’enquête, mais il n’a pour le moment jamais été inquiété par la justice dans ce cadre.
Farbice Arfi plonge donc dans ce fonds de documents. « Ce que l’on a découvert c’est à quel point celui que l’on pensait être l’homme d’une seule époque et d’une affaire, à savoir l’affaire Karachi de l’époque balladurienne, s’est en fait professionnalisé au fil du temps. Depuis le milieu des années 1990, jusqu’à l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy, il est devenu une sorte de fil rouge de la part sombre du sarkozysme. » Arfi décrit Takieddine comme quelqu’un de besogneux. Pour un journaliste, c’est un vrai plus : Takieddine laisse beaucoup de traces de ce qu’il fait. Arfi raconte comment il découvre alors une sorte de carnet qui détaille des relations franco-libyennes loin des récits officiels. Des liens qui remonteraient au printemps 2005.
À cette époque Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur. Les journalistes de Mediapart découvrent qu’un an plus tôt les sarkozystes espèrent mettre en place « le contrat Miksa » un gros marché d’armement en Arabie Saoudite. « Monsieur Takieddine devait toucher quand même 350 millions d’euros de commissions occultes, » dit Arfi. Mais le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, interrompt la signature des contrats. L’idée d’Arfi c’est qu’ « Il a fallu trouver une sorte de nouvel eldorado commercial, et ça a été la Libye ». Celle du colonel Mouammar Kadhafi qui dirige ce pays d’Afrique du Nord depuis la fin des années 1960. « Les rapports [entre les deux parties] ont été très loin, très tôt, » affirme Arfi.
Le 21 juillet 2011, le site d’information en ligne Mediapart publie un article de ses journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske, intitulé « Le grand soupçon libyen » . Un article qui, sur la base du fonds décrit par Arfi, recoupé et enrichi par leur enquête, indique que « Le marchand d’armes Ziad Takieddine, principal suspect dans le volet financier de l’affaire Karachi, a bénéficié de la caution de la place Beauvau [ndlr : le ministère de l’Intérieur] et de la présidence de la République pour décrocher des contrats avec le régime libyen. »
Pendant plusieurs mois le site étoffe sa démonstration avec plusieurs articles qui documentent des liens entre la France et la Libye sur le plan commercial, militaire, diplomatique. Le sujet est peu repris par les autres médias jusqu’aux mois de mars et avril 2012, date à laquelle Mediapart publie, entre autres, « Sarkozy-Kadhafi: la preuve du financement », un article qui reproduit, d’après le site, « un document officiel libyen ». Le document prouverait que le régime de Kadhafi a bien passé la consigne d’allouer une somme de 50 millions d’euros au financement de la campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007.
Sur la façon dont le document arrive entre ses mains, Arfi ne s’étend pas « disons que l’info appelle l’info ». En revanche, il indique à VICE News qu’avancer à l’époque dans cette enquête est assez délicat : « On est dans une affaire internationale avec des enjeux diplomatiques incroyables et des compromissions qui touchent au plus haut sommet de l’État, en France et aussi dans un État autoritaire comme la Libye. Des informateurs prennent des risques. Dans le cadre de nos recherches, on met la main sur un document que l’on mettra du temps à authentifier. Ce fameux document. » Dans les jours qui suivent sa publication, les lignes bougent. La défense de Nicolas Sarkozy, qui a toujours contesté et nié que l’ancien dictateur libyen a financé sa campagne, décide non pas d’attaquer Mediapart en diffamation, ce qui est le moyen attendu dans pareille affaire, mais porte plainte contre le média pour « faux et usage de faux ». Cette technique, selon Arfi, a été préférée parce qu’elle permet de mieux identifier les sources. Une nouvelle affaire naît dans l’affaire, on met en doute l’authenticité de la note publiée par Mediapart.
Que dit cette note au juste ? Elle est datée du 10 décembre 2006 et viendrait de Moussa Koussa, à l’époque chef des services de renseignements extérieurs de Kadhafi. Le texte dit que Kadhafi aurait donné l’instruction à son directeur de cabinet de financer la campagne du candidat Sarkozy à hauteur d’une cinquantaine de millions d’euros. Mediapart a publié une traduction de la note :
« […] En référence aux instructions émises par le bureau de liaison du comité populaire général concernant l’approbation d’appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, Monsieur /Nicolas Sarkozy, pour un montant d’une valeur de cinquante millions d’euros.
Nous vous confirmons l’accord de principe quant au sujet cité ci-dessus, et ce après avoir pris connaissance du procès-verbal de la réunion tenue le 6. 10. 2006 […] »
L’enquête sur le fond de l’affaire se poursuit, alors que d’autres affaires s’invitent comme celle des « écoutes » dans laquelle Nicolas Sarkozy est aussi mentionné. L’attention médiatique se déporte vers cette procédure annexe qui tourne autour d’une seule question : la signature en bas de la note est elle bien celle de Moussa Koussa ? La justice française va entendre cet homme et demander à trois experts en écriture d’étudier le document. Les graphologues concluent ce 6 novembre 2014 que la signature de la note est bien faite de la main de Moussa Koussa. L’authenticité du document, pièce maîtresse de l’enquête de Mediapart est bien validée. Le site publie le 14 novembre un article intitulé « Sarkozy-Kadhafi: des experts valident l’authenticité du document de Mediapart », l’article revient également sur la ligne tenue par Koussa lors de son audition.
Si l’authenticité du document est certaine pour les experts, l’enquête de la justice doit encore prouver que le régime libyen est passé des écrits aux actes, comme l’écrit le journal Libération dans un article du même jour qui reprend l’information donnée par Mediapart. Cet article est un rare exemple de traitement au long de cette dernière avancée dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi. D’autres journaux traitent la nouvelle dans des brèves plus courtes.
Une situation qui contrarie le fondateur de Mediapart Edwy Plenel qui, en réaction, décide le 17 novembre de publier gratuitement l’intégralité du rapport des graphologues (moins des pages d’annexes). Rapport qui lui avait été personnellement remis. L’article y va franchement dès le titre « Sarkozy-Kadhafi : la vérité qu’ils veulent étouffer ». Plenel y regrette le peu d’écho donné à ce dernier rebondissement dans ce qui est « sans doute l’enquête la plus emblématique de Mediapart », écrit son fondateur. « Afin de secouer cette injustifiable indifférence, nous publions l’intégralité du document ignoré par la plupart des médias, » poursuit-il.
Directement critiquée plus loin dans l’article par Edwy Plenel pour ne pas avoir repris l’information, l’Agence France-Presse (AFP) a répondu sur ce point à VICE News.
« Notre décision de ne pas diffuser cette information est purement éditoriale et nous appartient seuls, » explique Didier Lauras, le rédacteur en chef France de l’AFP. « Nous reprenons régulièrement les confrères, y compris Mediapart. En l’occurrence, nous avons décidé, en tenant compte des règles de traitement de l’information qui sont les nôtres, de ne pas reprendre ce développement à ce stade de l’affaire. Nous avons d’ailleurs largement couvert les différents volets du dossier, et ce dès que Mediapart l’a révélé en 2012. Il n’est évidemment nullement question d’étouffer quoi que ce soit. »
Pour ce qui est des suites de l’affaire, et faisant référence à cet épisode de l’authentification de la note, Fabrice Arfi se dit « pressé que cette nouvelle farce prenne fin, pour qu’ensuite on aille judiciairement sur le fond des choses. Le fond de cette histoire stupéfiante des compromissions avec la dictature de Kadhafi, qui aura un effet de sidération terrible quand l’opinion publique la comprendra. »
L’enquête, toujours en cours, est particulièrement compliquée par le fait que nombre de protagonistes et d’archives ont été perdues ou mis au secret en amont, pendant et après la guerre civile de Libye, qui avait débuté sous la forme d’un mouvement de protestation populaire début 2011, avant de tourner au conflit armé, soutenu par une coalition internationale dont la France faisait partie. En fuite depuis l’été 2011, le colonel Mouammar Kadhafi a été retrouvé mort le 20 octobre 2011 dans la région de Syrte.
Suivez Étienne Rouillon sur Twitter @rouilllonetienne
Photo via Flickr