Tout le monde sait bien que les murs sont plus une métaphore de l’invincibilité qu’un véritable assemblage impénétrable de briques et de ciment.
C’est particulièrement vrai à Kaboul, où les murs en béton résistant aux explosions et les espèces de containers en treillis métalliques remplis de pierre (les Hesco bastions) constituent des cibles de choix, créant, comme c’était le cas en Irak, un sentiment de siège permanent.
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Cependant, il existe un mur à Kaboul, qui n’est d’aucune utilité dans cette guerre, mais qui garde en lui les traces de l’Histoire des conflits en Afghanistan. Une histoire qui dure depuis plus d’un millénaire.
Le Grand mur de Kaboul se trouve au sommet des monts Sher Darwaza (La Porte du lion) et domine la ville. Il est difficile de récolter des données historiques fiables dans un lieu où les rumeurs sont aussi nombreuses que les visages burinés par les vents, mais d’après la légende, ce mur était un projet du roi Zamburak Shah datant du XVIe siècle et destiné à protéger la ville de l’envahisseur musulman. Le mur a joué le même rôle durant les invasions britanniques mais aussi pendant la guerre civile du milieu des années 1990.
L’histoire de la construction de ce mur est tragique. On dit que Zamburak était un monarque brutal, qui força tous ses sujets mâles à travailler à l’édification du mur. Ceux qui refusaient ou qui étaient trop faibles pour poursuivre les travaux étaient tués sur place et leurs os étaient incrustés dans le mur, qui fait, par endroits, plus de trois mètres d’épaisseur.
Mais un soupçon de justice politique semble incrusté au milieu des ossements présumés. Une légende dit que le roi Zamburak était venu voir l’avancement de la construction et qu’il fut tué par ses sujets. Les travailleurs auraient ensuite enterré ses os avec les autres, dans le mur.
Le Lonely Planet et les autres guides touristiques décrivent la marche jusqu’en haut du mur comme une bonne balade de santé, mais je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui l’avait faite. Jusqu’à ce que je tombe sur Al Haj Aq Masoomi, le responsable du district municipal de Kaboul. Masoomi fait la randonnée de trois heures presque chaque vendredi, avec son patron et ami le maire de Kaboul, Muhammad Yunus Nawandish.
Ils vont rendre visite à un bosquet d’arbres fruitiers qu’ils ont planté il y a quelques années, pour tenter de créer une oasis de paix dans cette zone ravagée par la guerre. Ils ont aussi installé un aqueduc ingénieux à travers la montagne, pour s’assurer que les arbres ne manquent pas d’eau.
Masoomi a accepté de nous conduire jusqu’au mur en fin d’après-midi. Quand il a sorti sa paire de baskets blanches, j’ai réalisé à quel point il était pressé d’y aller.
L’ascension débute entre des centaines de maisons construites à même les impressionnantes falaises de la montagne. Ceux qui vivent ici ne sont pas originaires de la province de Kaboul. Les bâtisses qui jonchent les falaises témoignent de leur technique et d’une précision impressionnante. Mais ces maisons sont construites sans permis : ces gens sont des squatteurs.
Nous avons croisé des enfants transportant d’énormes bidons d’eau jaunes et des jerricans d’essence verts, qu’ils avaient remplis au pied de la montagne et qu’ils remontaient chez eux. C’est le prix à payer pour vivre sans s’acquitter des taxes : parcourir la route deux fois par jour pour se procurer l’indispensable. Tout le reste, par ici, n’est que manque total d’hygiène. Des égouts à ciel ouvert et des poubelles obstruent les conduits entre chaque maison.
C’est au bout de 40 minutes de randonnée, en le voyant gambader entre les restes de schiste qui jonchent le début du mur que l’évidence m’a frappé : Masoomi devait compter des chèvres des montagnes parmi ses ancêtres.
On lui a annoncé qu’on n’avait pas le temps de faire les trois heures de chemin jusqu’au sommet, ce qui l’a clairement déçu. Pour le consoler, nous l’avons accompagné jusqu’à une énorme portion de mur, à environ une heure de notre lieu de départ.
À notre arrivée, la beauté des lieux et l’intensité des vents nous ont sauté au visage. Le mur a plus de mille ans mais il se dresse encore fièrement, criblé des impacts de l’artillerie et des bombardements de la guerre civile afghane.
Malgré la légende et l’histoire récente du mur, l’endroit était isolé, calme, et révélait Kaboul dans toute sa beauté silencieuse. Une vision que je n’avais jamais imaginée, dans notre époque où chaque semaine est marquée par des attentats suicides.
Arrivés à la fin de notre randonnée, Masoomi nous a raconté la fin de l’histoire du mur.
« Ces murs, a-t-il dit, ont été construits avec le sang du peuple. » Nous avons hoché la tête : nous connaissions la légende. Mais il a repris : « Il y a trois mois, on a trouvé des os dans le mur. »
Il venait de gagner toute notre attention.
« On les a prélevés pour qu’ils fassent l’objet d’une évaluation scientifique. »
Correctement étudiés et datés, ces ossements pourraient bien transformer une légende funèbre en vérité macabre. Masoomi était très excité par cette découverte et se réjouissait de ce passé sanglant, tout en espérant que la paix s’établisse de manière durable en Afghanistan, peut-être grâce à une explosion d’arbres fruitiers, au pied d’un mur jonché d’ossements humains, au-dessus de Kaboul.
Regardez l’ascension de Kevin en vidéo :
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La vidéo et les photos sont de Kevin Sites, sauf mention contraire.
Kevin Sites est une espèce rare de journaliste, qui évolue dans les affres de la guerre. Il a été le premier correspondant de guerre de Yahoo ! entre 2005 et 2006, ce qui lui a donné la possibilité de couvrir les plus grands conflits de la planète en un an. Sa renommée s’est faite sur sa capacité à développer un journalisme basé sur la technologie et sur l’individu remplaçant l’équipe, et il est donc en partie à l’origine du « backpack movement ». En ce moment, Kevin est en Afghanistan. Il parcourt ce pays agité pendant la « saison des combats », au moment où les troupes internationales s’en retirent.
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