ZAD arlon la sabliere Idelux
Toutes les photos sont de Théo D.
Société

Occupation, nature et résistance : avec les zadistes d’Arlon

VICE a demandé aux occupant·es ce qui anime leur lutte et comment iels vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Dans notre série Occuper pour résister, on s'immerge dans des lieux occupés pour tenter de comprendre comment les gens s'organisent et militent pour leurs droits.

Dans la forêt de Schoppach, des gouttes de pluie perlent sur les poils de la carcasse de sanglier que deux mecs s'occupent à dépecer sur une table en plastique : « Il faut d'abord que tu lui pètes l'articulation ». Quelques mètres plus loin, sous un chapiteau, des dizaines de personnes se réchauffent autour d'un poêle et d'une friteuse derrière laquelle un quadra en gilet jaune enchaîne les doubles-cuissons. Ça parle français, anglais et italien. Certain·es vivent ici dans des tentes et des cabanes depuis plusieurs mois, d'autres viennent de faire leurs premiers pas dans la boue argileuse de la ZAD (zone à défendre) pour répondre à l'appel à soutien publié sur son site et ses réseaux sociaux lundi 18 janvier en vue d'une éventuelle expulsion à venir.

Ça fait presque un an et demi qu'entre « deux et deux cents personnes » (comme aiment l'énoncer les zadistes) occupent cette ancienne carrière de sable située sur la commune d'Arlon. Depuis l’arrêt d’exploitation de la sablière, il y a cinquante ans, la forêt a repris ses droits jusqu'à être référencée comme « site de grand intérêt biologique » par la Région wallonne. Quand bien même, l'intercommunale Idelux, propriétaire des lieux, a pour projet de transformer cet espace vert en zoning pour PME au profit du « développement économique ». Parti d’un appel de riverain·es pour interpeller le bourgmestre afin d’empêcher la bétonisation de la forêt, le mouvement a vu un soutien affluer de toute la Belgique et la désormais « zablière » s'est transformée en un lieu d'expérimentation sociale et écologique à base d'auto-constructions aériennes, de semaines d'université libre et de lutte permanente

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S'il n'y a finalement pas eu d'expulsion ce mardi 26 janvier comme annoncé la semaine précédente par les occupant·es de la ZAD (une menace rapidement démentie par le bourgmestre d'Arlon), cet îlot de résistance reste constamment sous pression et surveillé – à l'image des voitures de police qui patrouillaient autour de la zone lors de notre venue. 

VICE a demandé aux occupant·es ce qui anime leur lutte et comment iels vivent avec cette épée de Damoclès.

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Gaston*, 25 ans

VICE : Depuis combien de temps t’es sur la ZAD et pourquoi ?
Gaston : Je fais des allers-retours assez réguliers depuis la création de la ZAD, je m'y installe pour un mois ou deux et puis je repars. C'est dur de synthétiser mais je dirais que ce qui me pousse à venir ici, c'est l'envie de bouger et de faire vivre des endroits qui sont un peu libérés du monde marchand et où on peut avoir des rapports réels avec les gens. Ça fait longtemps que ce monde me dégoûte et que je vois les problèmes écologiques et sociaux partir dans tous les sens sans aucune perspective de sortie. Ici, j'ai l'impression de pouvoir porter une forme d'espoir, un germe pour la suite. 

Pendant un temps je me suis demandé si je n'irais pas me réfugier dans un lieu style écovillage mais j'ai encore envie de montrer que je ne suis pas d'accord avec le chemin qui est pris. J'ai l'impression qu'ici, il y a une manière de combiner les deux : retrouver une manière de vivre assez humaine avec les gens tout en luttant. J'espère que ce qu'on fait ici est porteur d'espoir et montre que c'est pas très compliqué d'être avec une bande de potes, de protéger un bois en l'occupant et de se mettre à construire des trucs dessus. Et que c'est sûrement plus efficace de mettre son corps en jeu que de mettre des communiqués en ligne ou participer à des marches qui n'aboutiront à rien.

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« C'est sûrement plus efficace de mettre son corps en jeu que de mettre des communiqués en ligne ou participer à des marches qui n'aboutiront à rien. »

Comment tu vis avec la menace d'expulsion ?
Une ZAD, ça se vit avec une menace d'expulsion. Même si il y a des périodes où elle se fait plus intense – comme en ce moment avec des rumeurs qui disent que la police s'organise – elle est en trame de fond depuis le premier jour. La vie continue avec plus d'intensité d'une certaine manière : la menace d'expulsion remet au centre la question de l'occupation illégale et de l'anonymisation des personnes. Il y a des risques de poursuites judiciaires et pour ne pas mâcher le travail de la police, on cache nos visages et on refuse de s'exposer trop facilement publiquement.

« Dès que quelque chose de commun ou d'humainement beau émerge dans un quartier, les forces du désordre sont toujours là pour anéantir toute forme de solidarité sous prétexte de la loi. »

Qu'est-ce que ça fait d'imaginer que tout ça soit fini ?
Ça éveille toujours de la colère. J'ai déjà vu des squats créer des choses magnifiques - de l'hébergement, de la nourriture, de l'aide – et se faire systématiquement détruire. Dès que quelque chose de commun ou d'humainement beau émerge dans un quartier, les forces du désordre sont toujours là pour anéantir toute forme de solidarité sous prétexte de la loi. C'est pareil pour ici. Au-delà du message qu'on défend, il suffit de se balader pour réaliser à quel point c'est beau ce qu'il a été construit ici, et ça me met en colère de savoir que ça peut disparaître. Mais en même temps, je pense que ça reste très important que des lieux assument ce côté éphémère.

Comment tu vois l’avenir ?
L'avenir a l'air d'avancer vers quelque chose de plus en plus autoritaire et de plus en plus répressif. Quand je vois en France comment se font marginaliser, criminaliser et traiter de terroristes les gens qui manifestent contre un monde de technologies et d’hyper-surveillance avec des caméras partout…  Je sens que je vais devoir assumer ma place dans ce monde ; faire partie de la résistance ou intégrer la marche à suivre. Mais il y a qu'une seule voie réelle dans laquelle je peux être heureux de vivre.

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Tim*, 17 ans

VICE : Depuis combien de temps t’es sur la ZAD et quel sens tu donnes à ta présence ici ?
Tim* :
J'ai habité ici une demi-année mais je m'investis de moins en moins de manière régulière. Je pense faire partie de ces gens qui ont une attache au lieu mais qui n'ont plus la force d'habiter dans la forêt. Le bout de ma vie que j'ai passé ici m'a touché, mais aujourd'hui je me vois davantage comme un soutien extérieur. Je viens pour répondre aux appels à résister comme celui-ci.

« Ça fait du bien de voir qu'il y a encore des oppositions dans une période où on se fait aplatir constamment.  »

Quelles sont les plus belles choses que t’aies vécues ici ?
J’ai réalisé que je n'étais pas voué à être dépressif. Je me suis rendu compte que je n'avais juste pas les bon·nes allié·es ni les bonnes méthodes ; qu'il y a des gens qui faisaient un taf que je ne voyais pas. Ici, je suis devenu proche de gens que je n'aurais pas forcément rencontrés dans la vie qu'on m'avait tracée, parce qu'on vient de groupes sociaux différents. Maintenant on est potes et ça me nourrit énormément.

Qu'est-ce que ça fait d'imaginer les cabanes et plusieurs mois de taf partir en lambeaux ?
Ça me rend triste pour la nature et tous les êtres qui vivent ici mais je n'ai aucun regret. Toutes les actions non-paramétrables qui ont fleuri sur la ZAD en un an et encore aujourd'hui, c'est ça qui m'est cher. J'ai l'impression qu'on a gagné le jour où on a ouvert cette ZAD ; tout ce qui a suivi est une victoire supplémentaire.

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Comment tu vis avec la menace d'expulsion ?
Je me suis pris en face l'importance de ce lieu. La situation oblige tout le monde à se positionner et on a vu qu'on pouvait compter sur des soutiens inattendus. Il y a des gens qui viennent pour deux ou trois jours parce qu'ils y trouvent du sens. Ça fait du bien de voir qu'il y a encore des oppositions dans une période où on se fait aplatir constamment.

Jeanne*, 25 ans

VICE : Depuis combien de temps t’es sur la ZAD et comment t’es arrivée ici ?
Jeanne* :
J'ai commencé à venir dès les premières occupations il y a un an. Il y a des moments où j'y vis plus que d'autres, comme pour l'instant. Avant ça, je faisais des études d'agronomie que j'ai arrêtées en cours d'année quand a commencé l'occupation. J'ai ressenti une perte de sens dans ce que je faisais. Que ce soit au niveau de l'agriculture, de la gestion des eaux ou des énergies, c'était toujours de plus en plus technologique. Un greenwashing intense, mais aucune remise en question de la croissance. Je me suis rendu compte que ces principes n'étaient pas du tout viables et que la ZAD était une réponse plus en accord avec la catastrophe en cours. Que j'étais beaucoup plus utile ici.

Quels sont tes meilleurs souvenirs ici ?
J'ai vécu énormément de belles choses ici. Il y a ce que nous offre quotidiennement la nature environnante, été comme hiver, matin comme soir. La faune qu'abrite les bois, les plantes qui ornent la zone basse de l'ancienne sablière… On a d'ailleurs recensé les autres êtres vivants qui habitent ici pour appuyer la défense de la zone. Ils n'ont pas l'air d'être gênés tant que ça par notre présence - la preuve que notre rapport au vivant en tant qu'êtres humains, qui est d'habitude en sécession avec les autres espèces, est ici transformé. Ça m'est déjà arrivé de voir deux chevreuils passer et s'arrêter à cinq mètres de moi pour me regarder, ou de lever la tête et de voir un hibou s'envoler. 

« C'est pas facile tous les jours, du tout. C'est pas donné à tout le monde de vivre dans un bois avec des gens, mais on a un endroit incroyable pour redéployer des imaginaires. »

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Il y a aussi les moments collectifs qui sont d'une très grande intensité. Des échanges qui ne sont pas toujours des moments de joie. C'est pas facile tous les jours, du tout. C'est pas donné à tout le monde de vivre dans un bois avec des gens, mais on a un endroit incroyable pour redéployer des imaginaires. En un an, j'ai l'impression d'avoir vécu plus de choses que dans plusieurs années de vie.

Tu disais qu’il y avait aussi des moments plus compliqués ?
Les moments les plus durs que j’ai vécus ici sont liés à des tensions qui se sont cristallisées et qui ont fait des éclats. Il y a une telle mixité - des gens qui proviennent de plein d'univers différents, avec des vécus et parfois des blessures très profondes complètement différentes. Le choc des mentalités. Pourtant, on sait qu'on est là pour des raisons similaires. On doit réapprendre à régler les conflits entre nous. On va pas se mentir, on n’est pas une bande qui se fait tout le temps tourner un bâton de parole. Parfois ça pète et il y a des gens qui se cassent la gueule. Mais c'est pas grave, c'est très pur en fait. C'est l'expression humaine, avec parfois un côté sauvage qui peut ressortir. Un peu comme si on avait été dé-domestiqué·e de cette société qui nous rend beaucoup trop dociles.

Qu'est-ce que ça fait d'imaginer les cabanes et plusieurs mois de taf partir en lambeaux ? 
Ça va faire mal parce que ces cabanes abritent nos souvenirs et tout l'historique des gens qui sont passés par là. Après, on se fait pas de leurres et on vit avec cette idée depuis le début – on a d'ailleurs construit ces cabanes avec des matériaux de récup rafistolés en tout sens. 

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Sacha, 22 ans*

VICE : Quels sont les moments qui t’ont le plus marqué ici ?
Sacha :
La découverte du cadre à mon arrivée il y a six mois. Cette espèce de vision utopiste de se dire : « Ah ouais, c'est possible ». Devenir témoin que même en Belgique, on peut créer des lieux hors de l'influence de l’État sans avoir à respecter toutes les règles qu'imposent une minorité de personnes. De voir que des personnes de cercles sociaux différents peuvent décider de vivre ensemble et s'organiser. C'est juste une autre possibilité de vie qui s'est ouverte au milieu d'un climat hyper autoritaire.

« Même en Belgique, on peut créer des lieux hors de l'influence de l’État sans avoir à respecter toutes les règles qu'imposent une minorité de personnes. »

Comment tu vis avec la menace d'expulsion ?
On sait que ça peut arriver à tout moment. Pour moi ce qui se passe c'est juste une accélération des choses. Je le vis comme un nouveau défi et une occasion d'affirmer qu'on est toujours capable de proposer un autre monde, même si l’État veut balayer toute alternative et utopie.

T’arrives à t’imaginer la fin de la ZAD ?
Tu peux te dire que toutes ces constructions ne serviront à rien parce qu'elles vont être détruites, mais tout ce que cette zone a ouvert en un an et trois mois en termes de découvertes, de rencontres et d'apprentissage, ça restera. Toute la motivation, l'inspiration et les choix de vie que ça a éveillé chez des gens qui ont passé juste un week-end ici, c'est juste incroyable. Le jour où ce qui est sur la zone sera détruit, on construira d'autres choses pour continuer de cultiver un imaginaire dans l'espoir de convaincre de plus en plus de gens.

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*Noms d’emprunt.

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