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Culture

Je gagne ma vie en copiant des tableaux de grands maîtres

Ils sont seulement une dizaine en France à exercer le métier de copiste. Leur talent : être capable de reproduire n’importe quelle œuvre d’art.
Justine  Reix
Paris, FR
Romain Ruiz
Paris, FR

Si la plupart d’entre nous a du mal à faire le croquis d’un arbre sans qu’il y ait un doute sur ce que l’on a dessiné, c’est loin d’être le cas d’Andréa Dlouha, capable de reproduire du Picasso, du Van Gogh ou du Renoir en un coup de pinceau. Dans son atelier du 14ème arrondissement de Paris, quelques peintures sont exposées en vitrine et la devanture indique “Copies de tableaux”.  

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Aux murs sont accrochées de nombreuses toiles de différents styles. « Je n’ai pas de période de prédilection, cela change selon l'air du temps et de mes commandes. Il y a des choses merveilleuses dans chaque époque ». Andréa semble tout droit sortie d’un autre temps. Sa radio branchée en permanence sur Radio Classique grésille un air de violon. Étonnée de voir que l’on s’intéresse à son travail, Andréa fait pourtant partie des derniers copistes français dont le travail est prisé et demandé dans le monde entier. 

Si une institution ou un particulier souhaite une reproduction parfaite de La Joconde, il lui faut passer par un copiste. Ce métier, qui était un passage obligatoire pour tous les grands artistes avant le XIXe siècle, a aujourd’hui quasiment disparu. Car, il ne s’agit pas seulement d’avoir une peinture qui ressemble à s’y méprendre à l’originale mais aussi de la concevoir de la manière la plus fidèle possible qu’à l’époque. Sur une étagère, Andrea pointe du doigt avec fierté les pigments créés, comme à l’époque des anciens. Après une journée de peinture, ses mains sont tachetées de noir. Elle saisit une jarre contenant un liquide épais « Ça c’est une huile façon 16ème siècle qui cuit pendant deux heures au feu ».

Auparavant, les peintres utilisaient seulement cinq couleurs qu’ils mélangeaient pour créer un nuancier. « C’est ça qui donnait des tableaux harmonieux et qui fait que ce n’était pas pétant. » À l’époque la copie est considérée comme de l’artisanat où des ateliers de maîtres formaient et transmettraient leur savoir aux jeunes. « Chaque atelier avait ses secrets et on mettait en moyenne 13 ans pour devenir artiste ».

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Une des copies d'Andréa Dlouha - Photo de Romain Ruiz

Une des copies d'Andréa Dlouha - Photo de Romain Ruiz

De nos jours, les peintres ont l’embarras du choix et peuvent se procurer des centaines de couleurs différentes. « Je veux travailler uniquement avec les matériaux équivalents à ceux de l’époque et ne pas introduire de produits modernes. » Et bien sûr reconstituer les composants de l’époque n’est pas une mince affaire mais « si ce n’est pas compliqué je m’ennuierais. La question c’est : est-ce que je vais réussir à faire du Rembrandt avec ce qu’il avait à l’époque ? », raconte Andréa avec un air de défi.

« C’est un peu comme faire un gâteau avec les ingrédients sans la recette. »

Tel un problème de maths, Andréa adore décrypter un tableau pour trouver la solution et rendre une copie fidèle. « Via la technologie, on a des informations sur les composants du tableau mais pas tellement sur la manière de faire. C’est un peu comme faire un gâteau avec les ingrédients sans la recette. » Pour ce faire, Andréa utilise tous les moyens possibles. Des livres qui décrivent les tableaux jusqu’à la visite au musée pour voir l’oeuvre en personne.

La tête plongée dans les rapports de restauration, elle tente de glaner le maximum d’informations. Lorsque l’oeuvre est dans une collection privée, l’artiste doit se contenter de travailler avec des photos en haute définition et se met d’accord avec le client sur la couleur qui lui convient. « Selon l’impression, s’il s’agit d’un livre, un journal, un poster, on n’aura pas du tout la même couleur. On peut littéralement passer de l’orange au rose ». 

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En France, les musées accueillent les peintres copistes. Ils doivent déposer toute demande pour ensuite peindre directement devant l’original. Ils obtiennent généralement des autorisations en semaine et à des horaires peu contraignants pour les visiteurs, même si les autorisations tendent à diminuer selon Andréa. 

Une des autorisations de copie au musée du Louvre d'Andréa - Photo de Romain Ruiz

Une des autorisations de copie au musée du Louvre d'Andréa - Photo de Romain Ruiz

Face à l’original, Andréa ne prend pas des notes. Elle prend son temps, observe, scrute le moindre détail. Il lui est même arrivé de se déplacer à l’étranger, le dernier en date étant un voyage en Allemagne pour voir la copie d’un Brueghel. « C’est une espèce d’infusion intérieure. Je reste, je m’en vais puis je reviens, je passe un moment devant la toile. » Certaines commandes qu’on lui passe ne sont pas des tableaux célèbres mais des œuvres de famille à dupliquer pour la succession ou des portraits d’ancêtres. Dans ce cas, la famille lui laisse l’original.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ses clients demandent rarement les mêmes tableaux et pour éviter de s’ennuyer Andréa Dlouha refuse de faire plusieurs fois le même tableau, exception faite pour la Jeune fille à perle de Vermeer qu’elle a déjà reproduit trois exemplaires et « il n’y en aura pas un de plus ». Dernièrement, elle est passée par Picasso, le XVIIIe siècle italien ainsi que la Renaissance : « J’ai toujours eu des demandes très différentes, c’est très varié, il y a des portraits, des paysages et c’est ce qui me plaît. Si je me répète, je n’en peux plus. »

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Les tarifs démarrent à 1500 euros pour une petite taille et « n’ont pas de limite »

Ses clients viennent du monde entier pour profiter de ses talents de copiste. Pour s’offrir une de ses toiles, il faut s’armer de patience puisque la peintre met généralement une année à réaliser une oeuvre. Les tarifs sont à la hauteur de ce travail long et exigeant. Les tarifs démarrent à 1 500 euros pour une petite taille et « n’ont pas de limite », pouvant atteindre des dizaines de milliers d’euros selon la difficulté et la taille du tableau. Andréa ne peut bien sûr pas réaliser toutes les tailles, « il faut que ça puisse sortir de l’atelier, en général je m’arrange pour que ça passe ». Elle connaît les mesures par coeur de sa porte d’entrée par coeur : 2 mètres 20 pile-poil.

Photo de Romain Ruiz

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Le métier de copiste n’est pas à confondre avec celui de faussaire. Pour réaliser une copie légalement, il est obligatoire de peindre des oeuvres tombées dans le domaine public, de ne pas reproduire une copie de la taille identique à l’original, d’identifier la copie au dos du tableau et de ne jamais imiter la signature du peintre. Pourtant, aujourd’hui, de nombreuses techniques permettent d’identifier la date de réalisation d’une peinture. Ce protocole permet surtout d’éviter des fraudes entre particuliers qui ne feraient pas appel à une expertise. « Le faussaire est un très bon copiste qui va se spécialiser dans un ou deux peintres et faire en sorte que l’original et la copie soient indissociables, c’est de la fraude organisée. »

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À la question « est-ce qu’on va a déjà demandé de faire un vrai faux ? » Andréa se redresse sur sa chaise, tout à coup bien sérieuse, elle refuse de répondre. Avec son talent, on imagine aisément que quelques-uns ont déjà tenté de la soudoyer. En vain, au vu de sa réponse. Un cliquetis se fait entendre, la queue touffue d’un chien remue entre des chevalets. Un berger des shetland accompagne sa maîtresse dans la présentation de ses toiles. Particulièrement friand de caresses, dès qu’elles cessent, l’animal gratte de sa patte jusqu’à obtenir satisfaction.

Photo de Romain Ruiz

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C’est en 2010, qu’Andréa décide de tout lâcher et d’ouvrir son atelier. Aucune formation n’existe aujourd’hui pour devenir copiste. Formée sur le tas, rien ne la prédestinait à ce métier. Biologiste de formation, elle a travaillé pendant plusieurs années dans l’industrie pharmaceutique. « Je n’étais forcément pas très bonne parce que pas très motivée. » Un jour, cette dernière souhaite peindre un tableau à accrocher chez elle et tente de faire sa première copie. « Ça a été la catastrophe, rien n’allait », raconte-t-elle, en éclatant de rire. Il lui faudra 20 ans pour se former seule et se décider à en faire son métier. « Le déclic, ça a été le chômage, j’avais une rupture de contrat donc un peu de finance. L’occasion fait le larron et ça a marché. »

« On me disait “mais pourquoi tu t’embêtes, ça coûte 30 euros sur internet une reproduction maintenant”. C’est comme comparer un sac en plastique à un Hermès. »

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Cette reconversion a forcément mené à quelques remarques de la part de ses proches. « On me disait “mais pourquoi tu t’embêtes, ça coûte 30 euros sur internet une reproduction maintenant”. Ce sont des gens qui ne connaissent pas beaucoup la peinture. C’est comme comparer un sac en plastique à un Hermès. » Andréa se lance le défi de redorer le blason de la copie.

Elle transmet maintenant son savoir à des élèves amateurs de peinture ou en pleine préparation de concours de restauration à la manière des anciens. Le jour de cette interview, elle vient de terminer un cours. Certains de ses étudiants débarrassent leurs affaires devant leurs toiles inachevées et dévorent du regard leur professeur, les yeux remplis d’admiration.

Mais n’y a-t-il pas une frustration qui s’installe lorsque l’on peint aussi bien à ne faire que des copies ? Le monde de l’art s’écharpe autour du métier de copiste. Pour certains, il s’agit d’artisans, pour d’autres d’artistes comme les autres. Andréa avoue manquer de temps pour se consacrer à des tableaux de son cru. Ses commandes ne s’arrêtent jamais. « C’est un débat philosophique qui existe depuis des années, le copiste est-il un artiste ? Quand on fait de la copie, on a le poids des 500 ans de peinture classique, parfois c’est difficile de s’en libérer car on sait très bien ce qu’on ne doit pas faire. Ce n’est pas de l’art créatif mais il faut se réinventer à chaque copie. »

La peintre s’intéresse peu aux dénominations et a choisi la copie pour vivre de l’art. « Être artiste, c’est aussi avoir des périodes de vaches maigres terribles. J’ai une plus-value dans la copie et je veux en vivre. Le fantasme d’artiste maudit, ça ne m’a jamais fait fantasmer ». Andréa Dlouha a relevé le défi de faire de sa passion un métier. Gare à celui qui osera parler d’une pâle copie en sa compagnie, il risquerait de se retrouver défiguré à coup de pinceau.

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