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En choisissant la mort, Albert Mudrian a exterminé la concurrence



Choosing Death : L’histoire du Death Metal et du Grindcore, le livre-référence d’Albert Mudrian préfacé par le regretté John Peel et sorti à l’origine en 2004 (2006 pour la version française, aux éditions Camion Blanc), a fait l’objet le mois dernier d’une réédition augmentée de trois chapitres et d’un nouvel artwork réalisé par Dan Seagrave, maître incontesté de la pochette death metal (on lui doit entre autres celles du Altars Of Madness de Morbid Angel et de Left Hand Path d’Entombed). « C’est une version pimpée de Choosing Death, raconte Mudrian. Avec l’ancienne version, tu pouvais écraser des insectes, et avec la nouvelle, tu peux exploser des nez. C’est ce qu’on aurait dû pouvoir faire depuis le début. »

Mudrian est aussi le fondateur et rédacteur en chef de Decibel, titre désormais incontournable de la presse metal qui a vu la jour en 2004, soit la même année que la première édition de Choosing Death. Autant être transparent tout de suite : j’écris pour Decibel depuis le premier numéro, et plusieurs de mes photos apparaissent dans Choosing Death. Mais je n’ai strictement rien touché pour ces photos et je n’ai rien à gagner à faire la promotion de ce bouquin. Le seul truc qui m’a poussé à faire cette interview — parce qu’il y en a un — c’est que je crois de tout mon coeur en ce qu’Albert entreprend depuis pour faire connaître cette musique, qui nous passionne tous les deux depuis de nombreuses années.

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Noisey : Combien de temps après la première édition de Choosing Death t’es-tu dit qu’il fallait que tu en sortes une nouvelle version?
Albert Mudrian : Après avoir constaté quelques erreurs en parcourant la copie finale de la version originale. Je me suis dit « j’espère vraiment pouvoir corriger tout ça un jour ». Bien sûr, j’avais en tête de le faire avec une nouvelle version. Je savais que l’histoire continuait et que j’aurais toujours de nouvelles choses à ajouter. Mais tout allait dépendre de l’accueil du premier livre. Après quelques années, il est apparu évident que les gens avaient apprécié la première édition et j’ai enfin eu la possibilité d’en faire une nouvelle version, plus longue. Mais entre temps, j’ai créé Decibel, qui marchait de mieux en mieux, et j’ai fondé une famille. Du coup, je pensais que je n’aurais jamais le temps de m’y remettre.

Tu as dit que ce qui t’avait motivé à reprendre le projet, ce sont les reformations de Carcass et At The Gates en 2007.
C’est vrai, le retour de ces deux groupes a joué un rôle majeur. Mais ce ne sont pas les seules choses qui m’ont poussées à ressortir ce livre. Au niveau des sous-genres, il se passait pas mal de chose, le technical death metal et le retro death metal étaient devenus des mouvements à part entière. Et puis Carcass et At The Gates ont annoncé leur retour presque en même temps. A la base ils n’avaient pas prévu de ressortir d’album — At The Gates avaient même assuré qu’ils ne sortiraient pas de nouvel album— mais ils ont fini par le faire. Tout ça, c’était en 2007. Mais je n’ai commencé à retravailler sur le bouquin qu’en 2013, quand on a découvert que ma femme était enceinte de notre deuxième enfant. Je savais que si je voulais me lancer dans ce projet, c’était maintenant ou jamais.

Dan Seagrave a fait une couverture de malade pour cette réédition. Tu avais pensé à un plan B si jamais il n’était pas dispo?
[Rires]Non, je n’en avais aucun. Si Dan Seagrave n’avait pas été dispo, on aurait mis la même putain de couverture que sur la première édition. J’avais déjà demandé à Dan pour la première version du livre mais je l’ai rencontré en personne l’année dernière seulement, et ça faisait déjà six ou sept mois que je planchais sur la nouvelle version. J’ai fait mon maximum pour ne pas laisser paraitre mon côté groupie — ce qui n’a pas marché du tout— et je lui ai expliqué mon idée. Je voulais que la couverture ressemble à celle des anciens d’album du genre, et il a eu l’idée de proposer quelque chose entre Altars Of Madness de Morbid Angel, Left Hand Path d’Entombed et Like An Everflowing Stream de Dismember. Quand il a commencé à m’envoyer les premiers jets, je me suis senti obligé de les montrer à tous les passionnés de death metal avec qui j’avais grandi. J’étais hystérique ! Dan a fait un travail incroyable.

Nicke Andersson, l’ancien batteur d’Entombed, a eu envie de monter son nouveau projet Death Breath après avoir lu Choosing Death. Ton livre en est arrivé à un point où il a lui-même un impact sur l’Histoire qu’il relate. C’est une position étrange, non ?
C’est bizarre, c’est vrai, et je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Quand j’ai commencé à écrire les nouveaux chapitres de cette réédition, j’ai justement démarré par la formation de Death Breath — qui était, pour moi, un groupe à part. Même si le livre a peut être joué un rôle là-dedans, je pense qu’avec ou sans lui, les choses se seraient passées de la même manière au final. Choosing Death a peut-être juste accéléré le processus. En tout cas c’est valorisant de savoir qu’un type qui t’a influencé, à un moment de ta vie, a lu ce que tu as écrit et s’en est inspiré à son tour.

Nicke n’était pas le seul pionnier du death sur qui le livre a eu un impact significatif. Il y a également Scott Carlson de Repulsion, qui considère que le regain d’intérêt pour son groupe au cours des dix dernières années est principalement dû à deux choses : Internet et Albert Mudrian. Il a raison, non ?
[Rires] C’est vrai que le livre a mis en lumière certains groupes qui étaient dans un peu tombés dans l’oubli— comme Repuslion ou Siege. Aujourd’hui, ces groupes ont un public plus large, mais je pense vraiment qu’ils auraient, de toute façon, été redécouverts tôt ou tard. C’est surtout grâce à Internet que c’est arrivé. Avec Internet, on a accès à tout. Une fois encore, Choosing Death a peut-être accéléré le processus mais Relapse a réédité Horrified de Repulsion presque un an avant que Choosing Death ne sorte, donc bon… L’objectif de ce livre était d’expliquer cette musique, ses concepts, ses significations et ses origines. Je pense que l’objectif a été atteint, donc pour moi c’est une belle victoire.

Un objectif que tu as poursuivi avec Decibel, le magazine que tu diriges depuis 11 ans et qui a aujourd’hui une influence considérable dans la sphère metal.
J’essaie d’utiliser mes pouvoirs du mieux que je peux. Sur les derniers numéros, on a mis des groupes assez confidentiels, comme Noisem et Lucifer, en couverture. On est aujourd’hui dans une position où on peut se le permettre, où on peut faire ce genre de choix sans trop se poser de questions. L’expérience, jusqu’ici, ne nous a apporté que du positif, et je veux encore aller plus loin — joindre le geste à la parole. Quand on trouve qu’un groupe est bon, on ne vas pas simplement en parler cinq minutes. On va s’attarder sur lui et faire le maximum pour être sûr que les gens l’écoutent. Le but n’est pas forcément qu’on soit les premiers à faire découvrir tel ou tel groupe. Notre travail c’est de faire découvrir des trucs cool aux gens, de les exposer à ces nouvelles choses et de le faire de la façon la plus cool possible. C’est pour ça qu’on a choisi Noisem en ouverture de la tournée Decibel en 2014, avant de filer un morceau inédit du groupe sur notre série de flexidiscs. Aujourd’hui, on pourrait s’enorgueillir de tout ça et en faire un article. Si tu lis ce magazine, c’est que tu es fan du mouvement. C’est grâce à ça qu’on avance. Donc peut-être qu’on est précurseurs sur certaines choses, mais en tout cas, rien n’est calculé.

A l’époque, tu as dit que la version papier de Decibel survivrait à l’explosion du digital. Tu préfères ce bon vieux papier, ça me rassure. Mais comment comptes-tu rester dans la course ?
[Rires] Je pense que deux choses jouent en notre faveur. La première, c’est qu’on est spécialisés, et les revues spécialisées sont les seules à pouvoir espérer tirer leur épingle du jeu. La deuxième, c’est que les fans de heavy metal sont les plus fidèles et les plus gros consommateurs de musique qui existent. Les métalleux sont totalement investis dans la musique qu’ils écoutent, et parmi eux, on compte un grand nombre de collectionneurs toujours en quête du petit truc qu’il n’a pas. Je pense qu’entre nos lecteurs et nous, il y a une vraie connexion. On les connaît et on sait ce qu’ils attendent.

On n’a jamais voulu avoir 500 000 exemplaires en circulation ou ce genre de truc et quand on a commencé il y a 11 ans, on ne se doutait pas non plus que le marché allait s’écrouler à ce point. On est un magasine metal, point. On parle de ce qu’on connait, de ce qu’on aime et je pense que c’est ce qu’apprécient nos lecteurs. Je parlais tout à l’heure de Noisem et de Lucifer. On aime mettre ce genre de groupes en couverture, mais notre public sait qu’il peut aussi un jour tomber sur une couverture Slayer. Je pense que c’est aussi quelque chose qui leur plait. On a une approche différente des autres magazines et jusqu’à présent, les gens ont plutôt eu l’air d’apprécier notre travail.

Comme tu l’as dit, le public de Decibel est composé de fans et de collectionneurs. Tu contribues depuis quelques années à ça en accompagnant chaque numéro d’un flexi-disc contenant un ou plusieurs morceaux indédits ou exclusifs. Tu as noté une augmentation importante des abonnements et des ventes depuis que tu as lancé cette série de flexi-discs ?
Oui et la réaction a été presque immédiate. Mais en vérité, on s’est lancé là-dedans juste parce qu’on en avait envie, sans penser que ça nous serait bénéfique, car la produtcion de flexi-discs coûte cher. Au début, on était sponsorisés par Scion. Ça nous permettait de payer les coûts de production. Mais ils ont juste fait le premier, après quoi on a du se démerder seuls. On a réussi à trouver des sponsors à droite et à gauche et on a conclu quelques contrats qui nous ont permis de continuer. C’était un beau pari. Du coup, on touche parfois un nouveau public. Certains se rueront par exemple sur le numéro dans lequel il y a un flexi de Pallbearer, tout simplement parce qu’ils sont fans du groupe. Peut-être qu’ils ne connaissaient pas bien Decibel avant et que, grâce à ce numéro, ils continueront à acheter le mag et qu’ils en parleront autour d’eux. Même aujourd’hui quand on sort un numéro avec un flexi d’un groupe totalement inconnu, on reçoit des tweets de gens qui nous disent « Comment j’ai pu rater ces flexis pendant 5 ans ? »

Récemment j’ai donné une interview à NPR pour parler, justement, du retour des flexi discs, et j’ai appris que nous étions actuellement le premier éditeur de flexis aux USA et que notre démarche avait inspiré des gens comme Jack White et Dave Grohl. C’était vraiment génial d’entendre ça.

OK, donc apparemment, c’est une affaire qui roule. On va donc pouvoir parler de mon augmentation.
Attends, tu écris aussi pour Decibel ?

Le nouvelle version de Choosing Death est disponible ici.

J.Bennett écrit pour Decibel depuis 11 ans et est toujours fauché.