Culture

Quelques albums poussiéreux de soukous congolais enregistrés à Bruxelles

Soukous congolese muziek

À l’occasion du Black History Month, on revient sur l’histoire de la diaspora africaine, on célèbre sa culture et on creuse les questions que soulèvent le colonialisme.

Quand les esclaves Noir·es du Congo sont déraciné·es de force pour être déporté·es vers leur lieu de servitude que sera Cuba, la nkoumba les accompagne pour panser leurs plaies. Cette danse du nombril originaire (en partie) du Royaume Kongo, territoire situé entre les actuels Angola et République Démocratique du Congo, y reviendra bien plus tard, muée.

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Au début du 20ème siècle, les descendant·es d’esclaves caribéen·nes arrivent à leur tour au Congo belge, sur les chantiers du colonisateur. Entre-temps, la nkoumba, devenue rumba cubaine, a eu le temps de se mélanger à d’autres courants musicaux et d’évoluer. Avec les instruments importés par la colonisation ainsi que l’influence de l’arrivée de musiciens européens, le Congo devient à nouveau terre de rumba vers la fin des années 1930. Portée par le succès, la rumba devient même la musique de l’indépendance.

Selon l’écrivain congolais Sylvain Bembe, « c’est est une musique de pauvres qui a fini par conquérir les grandes villes nanties. » Logiquement, sa popularité influence la nouvelle génération qui crée de nouveaux genres. Souvent mentionné à tort comme synonyme de la rumba dont il est un dérivé, le soukous prend forme à la fin des années 1960. Inspiré·es du rock’n’roll, de jeunes téméraires de Kinshasa créent un son à la cadence plus élevée et mettant davantage l’accent sur les longs solos de guitare électrique. Cette nouvelle musique naît avec les mecs de Zaïko Langa Langa, qui se forment autour du chanteur Papa Wemba, alors humblement appelé Jules Presley. Avec ses rythmiques funk, le soukous est une révolution.

Dans les années 1980, le soukous gagne une popularité telle qu’elle dépasse les frontières, et plusieurs formations quittent les quartiers populaires de Kinshasa pour les studios d’enregistrement bruxellois.

Zaïko Langa Langa – Zaïko Eyi Nkisi

En 1985, Zaïko Langa Langa a déjà sorti une chiée d’albums. Ça fait aussi près d’une décennie que ça se chamaille et que plusieurs membres fondateurs ont quitté le groupe – Papa Wemba inclus – tandis que des petits nouveaux comme Likinga Redo rejoignent l’écurie. En référence aux différents changements que subit le groupe, celui-ci se rebaptise officieusement « Tout-choc Anti-choc Zaïko Langa Langa ».

Lesdits résistants enregistrent leur album « Zaïko Eyi Nkisi » à deux pas de la place de Brouckère, au Studio D.E.S., une ancienne salle de répète reconvertie en studio-bar-restaurant. C’est là que cette gauloiserie qu’est la « Danse des canards » a notamment été enregistré d’ailleurs. Zaïko Langa Langa en est aujourd’hui à son demi-siècle d’existence et se produira à BOZAR en fin février.

Bimi Ombale ‎– Balle De Match

Bimi Ombale intègre Zaïko Langa Langa comme batteur deux jours avant le premier concert du groupe. Alors qu’il convoite un intouchable statut de chanteur, des tensions naissent entre lui et les leaders en place. Au hasard des départs successifs, il gagne finalement une place centrale et deviendra, jusqu’en 1988, l’un des auteurs-compositeurs les plus prolifiques du groupe. En solo, Bimi sort peu d’albums. « Balle de match » sera l’un d’eux. Le quatre titres est enregistré au Studio Caraïbes, à Forest. De 1988 à 1991, il mènera le Zaïko Langa Langa Familia Dei, une fraction dissidente du groupe initial, créé suite à des interminables conflits internes.

Lors de ses funérailles en 2011, Papa Wemba résume plus ou moins la carrière de son ex-pote : « Nous avons grandi ensemble à Matonge. Ce n’était pas un garçon prétentieux, mais c’était quelqu’un qui ne se laissait pas faire et qui pouvait avoir mauvais caractère. C’était un faiseur de tubes, aucune de ses chansons dans Zaïko n’est passée inaperçue. Son riche et abondant répertoire en témoigne. »

Likinga Redo – Likinga Chante Olemi

Autre ex-membre de Zaïko Langa Langa, Likinga Redo a eu un parcours plus tumultueux que son homologue Bimi. En 1975, il est recruté dans Zaïko pour pallier au départ de Papa Wemba. Au sein du collectif, il se distingue par son séduisant timbre de voix. En 1983, dans la lancée de sa carrière en groupe, Redo s’offre un album solo de qualité avec « Likinga Chante Olemi », enregistré dans la grosse villa du Studio Katy à Ohain, dans le Brabant Wallon, où « Midnight Love » de Marvin Gaye a notamment été conçu.

Après ça, c’est la prison ferme durant plusieurs années pour trafic de stupéfiants, ce qui bousille son potentiel succès. À sa sortie de prison, Likinga Redo, intègre puis quitte Zaïko Langa Langa Familia Dei, travaille un temps à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle puis se met finalement à chanter pour Dieu. On aura beau louer son talent, lui confessera plutôt à la radio congolaise : « Dieu m’a aidé dans ma longue maladie et m’a sauvé de la mort. J’ai fait le bilan de ma vie d’artiste et je n’ai rien trouvé à montrer comme trophée ou acquisition de quelque sorte. »

Seigneur Ley Rochereau ‎– En Amour Y A Pas De Calcul

En 1982, Tabu Ley Rochereau enregistre « En amour y a pas de calcul », ce qui est bien trop beau pour ne pas être un hasard pour un mec qui, selon les différentes sources, aurait entre 35 et 120 enfants. Le grand-père de Shay enregistre son disque au Shiva Studio, près de la Gare du Midi, dans un bâtiment que la ville de Bruxelles a racheté en 2008 pour le détruire.

Rochereau a apporté son lot d’innovations à la rumba, notamment en y introduisant l’usage de la batterie. Il est aussi le premier artiste africain à être monté sur la scène de l’Olympia. Impliqué dans la vie politique, il s’oppose à la dictature de Mobutu depuis la Belgique, et à la chute du régime, revient au pays et devient vice-gouverneur de Kinshasa avant de finalement décéder à Bruxelles en 2013. Comme le dira l’un de ses fils : « Notre père était non seulement le nôtre, mais aussi celui des artistes africains. » Voir plus si affinités.

Franco ‎– Attention Na Sida

Hélas, en SIDA non plus, y a pas de calcul. En 1985, deux ans et onze albums après son grand succès « Mario », Franco sort « Attention Na SIDA ». Mêlant altruisme bienveillant et ronflante arrogance, la jaquette présente : « Le grand maître Franco interpelle la société dans “Attention Na SIDA” ». Une seconde phrase rappelle avec suspense au bas de la cover : « Franco s’insurge contre… le SIDA ». Et pour les plus avides d’informations, un texte de trois colonnes sur l’arrière de la pochette explique en long et en large le pourquoi du comment : « C’est sans doute en raison du fait que l’acte sexuel – par le biais de la production du sperme – est l’une des voies privilégiées empruntées par le virus pour entreprendre son travail de sape dans l’organisme humain, que Franco met davantage l’accent sur les précautions à prendre, pour éviter de tomber sous le jour du mal. »

Le disque est produit par African Sun Music, alors basé à Ixelles. Décédé près de Dinant en 1989, François Luambo Makiadi Lokanga La Djo Péné est toujours considéré comme l’un des plus grands maîtres de la musique congolaise. Concernant le SIDA, la relève est (plus ou moins) assurée.

Vital – Experimental Soukous

En 1991, Vital Lukaya Lua Zala enregistre l’album six titres « Experimental Soukous » entre le Studio Caroline à Paris et le mythique Studio Madeleine à Bruxelles, avec l’aide de Roland Leclercq, également ingé son sur les projets de Placebo (le groupe jazz-funk belge et non les emos mal coiffés).

Selon Clément Ossinonde, expert de la musique congolaise et ancien animateur radio, le titre phare de l’album « Lukaya lua zala » est un « hymne national à la pénibilité du travail et au miroir aux alouettes que constitue le rêve européen ». Vital tape donc dans le mille, puisque son album ne réussira jamais à percer.

Koffi Olomide – Ngounda

Avant d’être une superstar extravagante, de sortir des dizaines de VHS de ses concerts France, de poser avec le polo de Rohff sur une Rolls Royce, d’oser appeler l’un de ses fils Saint James Rolls et d’être inquiété pour plusieurs affaires de viol sur mineure, Koffi Olomide n’était rien de plus qu’un artiste ambitieux. Déjà connu comme guitariste pour Papa Wemba, Koffi se lance en solo en 1983 avec « Ngounda », enregistré au Studio Madeleine.

Il faut toutefois attendre le troisième solo, « Diva », pour pouvoir tutoyer le succès. Toujours au Studio Madeleine, celui qu’on appelle « L’Homme Aux Mille Idées » investit encore plus le registre sentimental et le disque est un succès auprès de la gent féminine. D’innombrables albums suivront, et un succès inestimable avec. Toujours infatigable à quasi 60 ans, il sort en 2015 un titre intitulé « Selfie ». Toujours plus malaisant, on peut encore aujourd’hui croiser « Le Grand Ché » à Bruxelles, taper l’incruste au Parlement Européen.

Ngouma Lokito ‎– Wabi

https://www.youtube.com/watch?v=g9uokZ5Pvag&feature=emb_title

C’est encore au Studio Madeleine que le soukous ultra dansant de Shungu Omba est enregistré par Didier Pitois en 1992. L’album s’appelle « Wabi ». Quatre ans plus tard, il sort l’album « Talisman » sur lequel il s’essaye à l’anglais. Injustement, la carrière de Lokito en tant que chanteur est restée plutôt confidentielle, avec quatre albums seulement, dont un Best Of.

En parallèle à sa carrière de chanteur, Chandile Nguma a surtout été un bassiste prolifique, prenant part à plus d’une centaine d’albums (Pepe Kalle, Nyboma, Anti-Choc, etc.) ; si bien que sur son Best Of, c’est « Meilleur bassiste du 20e siècle » qui est inscrit. On aurait pu croire que personne ne se souvient de lui comme chanteur, mais c’était sans compter sur une nouvelle génération qui a toujours le flair pour dépoussiérer les trésors oubliés.

La plupart d’entre eux n’atteindront pas le succès européen attendu. Plus généralement, le soukous s’est simplement essoufflé depuis. On lui reproche pas mal de choses, mais surtout de s’être dénaturé ; et de toute manière, ces longs textes en lingala ne l’ont jamais vraiment rendu accessible au public étranger – sauf exceptions.

À Bruxelles, le soukous ne passe plus dans les bars de Matonge et Musicanova, le seul magasin bruxellois de disques africains, n’existe plus que sur les étiquettes à l’arrière de ces disques vinyles. On se consolera en se disant qu’étant produits à Bruxelles, ceux-ci restent assez aisément trouvables.

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