Je suis arrivé dans le skate sur le tard. Pendant le confinement en 2020, c’est un peu devenu ma béquille pour tenir le coup. Puis c’est vite devenu une obsession. Quand j’en faisais pas, je cherchais des spots ou je regardais des vidéos sur YouTube. C’est comme ça que j’ai fini par découvrir Ali Boulala alors que ça fait un bail que le mec est une légende du skate.
En octobre dernier, il était à Bruxelles pour l’avant-première de The scars of Ali Boulala, un documentaire qui retrace sa vie. Après la projection, j’ai pu gratter une petite heure pour discuter avec lui. Quand on le voit, on sent que quelque chose est brisé à l’intérieur de lui mais il dégage toujours un truc qui fait qu’on a envie de devenir son pote. Avant d’évoquer le film, on a parlé de tout et de rien, et notamment de ses guitares. Il m’a par exemple montré le site d’un gars qui fabrique des pédales et qui a promis de lui en envoyer.
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Il y a plus d’une vingtaine d’années, Ali Boulala était l’incarnation d’un mode de vie Live Fast Die Young. Il avait débarqué aux States depuis Stockholm à l’âge de 16 ans pour représenter Flip Skateboards. Son talent parle alors pour lui, mais il accumule aussi les abus en tous genres. Pour résumer, son quotidien est imprégné de drogue et d’alcool. Quand j’ai découvert l’histoire de ce gamin propulsé dans un environnement pour lequel il n’était visiblement pas préparé, ça a fait écho à quelque chose en moi. Quand j’avais 14 ans, je m’ennuyais beaucoup à l’école, j’aspirais à autre chose et je me suis mis à traîner avec des mecs plus âgés. Comme beaucoup de gens de mon âge, j’ai commencé à boire, fumer de l’herbe et tester des drogues – je prenais surtout ce qui traînait dans l’armoire à pharmacie. Ça me rendait ultra relou, mais disons que j’ai grandi dans une petite ville où les perspectives d’avenir se résumaient à trouver un taf chiant et faire des gosses. Du coup, me défoncer était devenu plus qu’un hobby et je me suis vite retrouvé piégé dans ce personnage que j’avais créé pour surmonter l’ennui. Le pire, c’est que j’aimais pas ça. Quand je buvais par exemple, j’avais la gerbe, mais je me disais que ça devait être cool. Si j’avais connu Ali Boulala à cette époque, je me serais sûrement identifié à lui.
« Tout le monde autour de moi avait conscience que ça allait mal finir mais ils étaient tous en train de couler dans le même bateau. »
Bref, c’est précisément cette représentation « cool » d’un mode de vie autodestructeur qui a poussé Ali à devenir cette icône. Vers la fin des années 1990, il devient la tête la plus connue des PISS DRUNX – un crew de skaters ainsi nommé en référence à une track de Notorious B.I.G. – et contribue fortement à installer l’image d’un truc excessif-punk-rock dans le monde de la planche à roulettes. Leur mode de vie No Future participe à la popularisation du skate mais aussi à sa rentabilité. Les contrats des sponsors arrivent de partout. Lui veut juste faire du skate, mais commence à se créer un personnage. Son histoire, c’est donc aussi celle d’un gamin qui fait le clown et qu’on pousse à aller toujours plus loin. Et que personne n’a essayé d’arrêter. Il souffle : « Tout le monde autour de moi savait que ça allait mal finir mais ils étaient tous en train de couler dans le même bateau. »
Ali me confie qu’il avait pour modèle Jim Morrison et Sid Vicious – respectivement morts à 27 et 21 ans —, qu’il a d’ailleurs bien failli rejoindre, à l’aube de la trentaine, le jour où il se prend un mur en pleine face alors qu’il est au volant de sa moto en Australie. Le passager, Shane Cross, skater pro lui aussi, meurt sur le coup. Ali passe quelques semaines dans le coma avant d’être emprisonné pendant deux ans. Les séquelles que laissent l’accident marquent la fin de sa carrière.
Depuis, le milieu du skate a quelque peu changé. Il est devenu plus mainstream et « bankable », comme en témoigne son entrée aux Jeux Olympiques cette année. Les skateparks se retrouvent quant à eux envahis de certain·es gamin·es vêtu·es de fringues hors de prix et les skaters pros commencent à troquer leurs cannettes de bière bon marché au profit de smoothies bio. À l’exception de Dustin Dollin, tous les anciens membres des PISS DRUNX ont également rejoint le chemin de la sobriété. Une bonne partie de ces mecs gèrent aujourd’hui les marques préférées des cool kids comme Baker ou Deathwish et disent se sentir mieux dans leurs baskets. Ils parlent ouvertement des avantages d’un mode de vie plus sain, comme en 2019, quand Thrasher Magazine avait publié une série de portraits de skaters pros ayant décroché.
Selon moi, la vidéo Classics: Ali Boulala “Sorry” est la meilleure vidéo de skate de tous les temps. Mais quand je lui en parle, Ali me confie qu’il ne s’y reconnaît pas et qu’il déteste ces images. Aujourd’hui, il est devenu un homme qui porte le poids de sa culpabilité au quotidien. Il me dit qu’il ne se passe pas une journée sans qu’il ne pense à l’accident et qu’il a souvent l’impression qu’il ne mérite pas d’être pardonné. Alors, même s’il considérait encore il y a peu qu’être en vie était une punition, Ali voyage maintenant pour faire de la prévention. C’est l’un des buts principaux du film selon lui : « Montrer les choses de façon honnête, telles qu’elles se sont passées, ne pas laisser de place à l’interprétation et briser ce cycle de représentation morbide qui se répercute d’une génération à l’autre, cette culture de la défonce jusqu’au-boutiste, cette sacralisation du mal-être. »
Comme c’est le cas depuis qu’il parcourt le monde pour donner des conférences, Ali Boulala n’est pas venu à Bruxelles en donneur de leçons. Il était juste là pour raconter son passé.
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