Est-ce qu’on boit parce qu’on aime la musique ou est-ce qu’on aime la musique parce qu’on boit ? Voilà une question que l’on n’a pas fini de se poser – surtout ces matins difficiles où l’on sort d’un des nombreux établissements parisiens ayant la particularité de servir de la bière en musique dans notre belle capitale. Ce qui en amène forcément une deuxième, de question : c’est quoi (et surtout comment) de tenir un bar rock à Paris ? Celle-là, je suis allé la poser aux tauliers des trois bars que je fréquente après le boulot : le Rochelle, le Motel et de la Mécanique Ondulatoire, trois bars du 11e arrondissement, à Paris.
Noisey : On fait un tour de table pour commencer ?
Djavid (Le Motel) : Là, je suis tout seul pour cette interview, mais on est super nombreux au Motel. On s’est rencontrés au Pop In, à une époque où c’était un des rares bars rock/indé de Paris. On a commencé par les soirées « Pop & Curry » au Bleu Cerise, rue des Petites Écuries, on offrait des assiettes de poulet au curry et on écoutait les Smiths. C’est comme ça qu’on a commencé. Et après, il y a eu le Motel.
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FX (Le Rochelle) : J’avais ouvert un bar sous une pizzeria sur la Butte aux Cailles qui s’appelait Le Ménestrel. C’est là que j’ai rencontré Fafane, qui jouait dans Bosco. Ensuite, j’ai acheté le Planète Mars qui était rue Manuel Valls, à Paris [ surnom semi-officiel de la rue Keller]. Après ça, on a monté le Plastic, Fafane et moi. On l’a ensuite vendu pour acheter Le Rochelle, où on est aujourd’hui.
Fafane (Le Rochelle) : Avec FX, on se connaît depuis 1990.
Topper (La Mécanique Ondulatoire) : Après un déménagement, je me suis pris une cuite monumentale dans un bar et le patron m’a proposé de bosser pour lui. J’étais avec Frédovitch, qui joue dans King Khan. C’étais il y a 10 ans et je suis toujours là-dedans aujourd’hui.
Manu (La Mécanique Ondulatoire) : Moi la Mécanique Ondulatoire, c’est le premier bar où je suis allé en arrivant à Paris en 2007. J’ai monté l’asso Vicious Soul avec laquelle j’organisais des concerts et des soirées et Topper m’a débauché.
Votre bar, c’est juste un boulot ou ça va plus loin ?
FX : On boit de la bière depuis qu’on a 14 ans, on écoute de la musique depuis qu’on a 10 ans. On a passé notre vie dans des lieux où on sert de l’alcool et on écoute du son.
Djavid : On est plus passionné par la musique que par la boisson quand même.
Topper : C’est une grande famille, moi j’allais au Planète Mars quand FX s’en occupait. On est tous dans le 11e.
FX : En fait, tu te crées un entourage. J’ai toujours fait de la musique. Tu deviens un peu le QG de tes potes, des gens de passage qui viennent de province et au final tu te crée une vraie bande, qui fait fonctionner le bouche à oreille. Quand j’ai fait mon premier bar je voulais que ce soit très rock que ça me ressemble. Au bout d’un moment, je pouvais mettre ce que je voulais comme musique, la clientèle était faite de gens qui gravitaient autour du rock.
On dit souvent qu’à Paris, à la différence de la Province, il n’y a pas de scène…
Topper : Je suis pas d’accord. Je viens de Rennes à la base, et quand j’ai commencé à organiser des soirées à Paris, il y avait une petite effervescence. Et quand on est arrivé à la Méca le patron a fait visiter la salle à plein de gens, des groupes, des labels…
Le bar devient un point d’ancrage ?
Djavid : Moi c’est pour ça que j’ai ouvert un bar. Pour que des groupes se forment chez nous et que untel ou untel trouve son nouveau bassiste en buvant une pinte. C’est chez nous que Kevin Parker de Tame Impala a rencontré Julien Barbagallo, par exemple.
FX : On a senti une perte de repères d’ailleurs avec l’arrivée des réseaux sociaux. Avant ça, les gens allaient dans un bar car ils savaient qu’ils allaient rencontrer ceux qui écoutaient la même musique qu’eux. Avec la fin de Myspace et l’arrivée de Facebook, c’est devenu plus compliqué. D’un seul coup, les gens avaient l’impression qu’ils pouvaient aller partout. Etre rock pour un bar c’est peut-être justement d’arriver à retrouver cet esprit originel là en ce moment. De ne plus être juste une étape sur un circuit de nuit.
Topper : Heureusement que la passion de la musique est là parce qu’avec toutes les galères qu’on a, on a tous eu envie d’arrêter plus d’une fois.
Vous avez souvent envie d’arrêter justement ?
FX : Moi, je me le suis dit trois fois et à chaque fois j’ai changé de bar. Quand j’arrive au bout d’un cycle, j’en ai marre du lieu, j’en ai marre des gens. On a eu la chance de pouvoir bien vendre et ré-ouvrir ailleurs. En général, tu retrouves 50 % de tes clients – ils ont changé mais toi aussi. Il ne faut pas oublier qu’il y a des gens qui nous suivent depuis la cave de la pizzeria ! On leur a fait passer des pastilles sur la musique, la façon de consommer. C’est un truc de confiance.
Et justement comment on se sent quand le bar est rempli de touristes et/ou d’employés de bureau ?
Fafane : C’est là qu’il faut être sûr de toi, de ce que tu aimes, de « ta marque », pour passer outre. Sinon tu te fais bouffer. Des fois tu es dans le jus, quelqu’un te dit « je peux mettre un morceau », tu dis ok et tu te retrouves avec Taylor Swift qui passe dans ton bar. Là, c’est à toi de reprendre le contrôle.
FX : Ça sert aussi à payer tes soirées de passionnés avec ton pote avec ses 45 tours à 200 balles pièce qui ramènent 10 potes un samedi soir. C’est super mais quand c’est fini, tu te dis « merci l’afterwork du lundi ».
Manu : Nous, à la Méca, on n’a pas ce problème, on est trop codifiés, trop crades. Le gars qui cherche un afterwork il rentre dans le bar, y’a les mummies à fond, il voit les toilettes complètement ravagées, il s’en va direct.
FX : Nous, on veut que ça se mélange. On ne veut pas que des tatoués. Sinon on s’emmerde. Le mec d’afterwork va avoir envie d’écouter ce que tu lui passes, des fois. Si on se retrouve que entre nous à se dire « tu l’as ce 45 tours ? », c’est la soirée entre collectionneurs de timbres. Un bar ça sert aussi à éduquer les gens.
Justement il faut communiquer plus maintenant sur le bar ? Faire des événements spéciaux, etc. ?
FX : Ce serait génial que ce truc là s’arrête et que les gens se démerdent. Mais bon tu es obligé.
Manu : Nous, on a essayé plein de trucs, on communique avec des blagues. On va décrire un groupe ultra pointu avec des vannes bas du front qu’on aurait pu faire au bar.
À la méca, vous avez dû gérer quelques polémiques…
Manu : Toute à l’heure j’ai refusé les Pussy Grabbers, un groupe de hard rock, juste à cause de leur nom.
Topper : Fasciste !
Manu : La grosse polémique, ça a été quand on a programmé Viol. Le collectif des Effrontées s’est insurgé contre le fait de programmer un groupe avec ce nom là. Et comme on était en période électorale, ça a fait effet boule de neige. Résultat, ce groupe – pas très bon, au demeurant – s’est fait de la pub sur notre dos et Topper a reçu des tonnes de mails d’insultes.
Topper : Je n’ai pas pu répondre à tout le monde et je m’en excuse. [ Rires]
Manu : J’ai essayé de gérer le truc en expliquant aux gens qu’on est un des endroits qui fait jouer le plus de filles à Paris par exemple. Ça, les gens ne le savent pas. C’était frustrant, parce qu’on avait l’impression de parler dans le vide. Les gens qui se sont insurgés contre nous ne connaissaient pas le lieu, n’y avaient jamais mis les pieds.
Comment gérez vous les excès de vos clients dans vos bars?
FX : Moi j’ai eu un enfant avant de bosser en bar et ça m’a beaucoup aidé. C’est un peu comme la crèche.
Djavid : Ce qui me rend dingue ce sont les gens devant la porte qui foutent le bordel, qui te répondent en gueulant : « C’est bon, c’est la rue, c’est un lieu public » et qui sont les premiers à appeler les flics quand il y a du tapage en bas de chez eux.
FX : C’est pas dans le bar, le problème. Les gens se tiennent en général. C’est devant le bar le souci.
Topper : Après il y a des moments de grâce. Tu fais des super rencontres, c’est génial.
FX : Tous les commerces de nuit ont ce genre de problèmes. Les gens sont mythos la nuit.
Et vous, vous gérez votre consommation ?
[ Rire général]
Fafane : On pense tous qu’on gère, mais c’est pas le cas.
FX : Moi j’ai appris à fermer ma gueule là dessus.
Topper : Les afters du Plastic étaient très musicales pourtant.
FX : Celles de la Méca aussi.
Topper : Y’a jamais d’after à la Méca.
Djavid : Au Motel non plus [ Rires].
Et les clients ça leur arrive de transférer sur vous ?
Topper : Ha oui carrément. Tu as des gens qui ne peuvent pas rester chez eux. Tu deviens leur famille.
FX : Tu en as qui se vexent, à qui tu dois presque rendre des comptes. Qui te gueulent dessus parce que la soirée de samedi leur a pas plu. C’est l’amour vache.
Topper : C’est comme quand tu es disquaire. Tu es associé au lieu : « Ah, c’est machin de la Méca ». Des fois tu en as marre. Et si tu les reconnais pas en dehors du bar alors là c’est le drame.
FX : Il faut toujours garder les rênes de ton lieu. Que les gens ne pensent pas qu’ils sont plus chez eux que toi. Ça rejoint ce que disait Fafane toute à l’heure.
Justement dans cette relation aux clients, vous vous sentez aussi responsables d’eux ? Je pense aux évènements récents et aux attentats à Paris.
Topper : On se sent responsable, bien sûr. Combien de fois, tu paies un taxi à un mec raide mort, combien de fois tu gardes un oeil sur les filles qui partent toutes seules…
FX : C’est sûrement ce qui nous différencie des bars classiques. Bon, après, si le gars nous a cassé la tête toute la soirée, il peut se brosser pour son taxi, hein [ Rires]. Ça devient un vrai boulot au bout d’un moment, la musique s’efface. C’est pour ça que je suis content de changer de lieu régulièrement.
Topper : Les clients nous font changer aussi. On l’a bien senti avec les nouvelles façons d’écouter de la musique. Tu vois débarquer des gamins qui ont tout écouté, qui connaissent tout sur le bout des doigts et qui te mettent une branlée.
FX : Nous on met un point d’honneur à ce qu’on écoute que du vinyle chez nous. Il n’y a qu’une platine d’ailleurs.
Toi, Djavid tu te diversifies : vous avez ouvert un restaurant.
Djavid : Oui mais on arrête avec ces conneries, là [ Rires]. On revend. C’est beaucoup plus simple de tirer de la bière que de devoir gérer l’ego d’un chef. Après on fait beaucoup de bars sur les festivals. On est content d’y aller, mais c’est pas la même chose. On fédère une équipe et ça fait rentrer des sous mais c’est pas le Motel.
FX : Moi si 1000 personnes de mon entourage venaient chaque mois dans mon bar (et que j’avais aucune emmerde avec les voisins), je ne ferais aucune pub. Ça, ce serait rock. Un peu comme Xavier, le patron du Fanfaron. Son truc c’est la fin du monde. Il pète des assiettes dans son bar, sur la tête des gens. Il est tout seul à gérer ça avec 20 à 80 personnes dans son bar tous les soirs, les Cramps à fond. Là, t’es dans un vrai truc white trash.
Topper : L’autre pression c’est qu’on n’est pas des bars à cocktails. On est les premiers à se plaindre de l’attente pour avoir une bière parce que le gars derrière le bar prépare un cocktail.
FX : Ça, c’est la génération rock hipster qui ne boit pas de bière, qui veut seulement super bien consommer, boire des cocktails à 12 balles.
Fafane : Ils passent de temps en temps s’encanailler et après ils vont aux Bains-Douches.
Djavid : Il y a des bars à cocktails cools quand même.
Là tu fais un peu le mec du Front National qui a un ami noir
Djavid : Non, le Lone Palm par exemple, c’est super.
FX : Ouais mais ce sont des mecs qui viennent du rock, c’est normal.
Manu : La première fois que je suis allé au Baron j’ai halluciné.
Topper : C’est ça être rock aussi : on est tous allé au Baron [ Rires]
FX : Moi j’y ai joué trois fois c’était cool. Que des mecs qui n’y connaissaient rien en costard venus juste pour kiffer et se démonter la tête.
Quand le Silencio a ouvert, ça vous a fait quoi ?
FX : Moi j’ai jamais pu y rentrer.
Topper : J’ai jamais compris. Ils laissent personne rentrer, du coup le groupe joue devant 10 personnes. La programmation est cool mais bon ils ramènent un peu le rock aux bourges. Après, ce genre de gentrification ça ne nous impacte pas. On est dans autre chose. Les groupes qui jouent chez nous dépensent leur cachet dans la junk-food et la dope, vendent leurs petits 45 tours. C’est un autre monde.
Fafane : Moi quand tu me parles de gentrification du rock, c’est comme quand je pense à la Fnac. C’est comme si ça existait pas. Ça ne nous concerne pas.
FX : Moi j’ai quand même une fierté : on a une clientèle de médecins de la Salpétrière depuis l’époque du Plastic et je les ai tous converti aux Monks.
Manu : Ils se sont fait la tonsure aussi ?
Et le peak time de vos bars respectifs ?
Djavid : Quand Steven des Pastels est venu passer des 45 tours chez nous. Il était tout gentil et j’étais hyper fan.
Topper : Moi j’ai eu les sœurs Native avec le mec de Pow Wow. J’étais en pleine ramasse et je me disais « surtout, ne pas chanter “Le Lion est mort ce soir” ».
FX : Le mien, je peux pas le raconter.
T’inquiètes je ne le mettrai pas dans mon article . Regarde, j’éteins mon téléphone.
FX : J’étais à l’apéro et là y’a un mec en costard qui rentre avec deux sbires.
Djavid : Emmanuel Macron !
FX : Non, pire.
Fafane : Le raconte pas, s’il te plait.
FX : Allez, je te le raconte. Le gars rentre, commande un verre et moi je pensais que c’était le gars de Stade 2 qui présente le rugby, donc j’étais hyper sympa avec lui. Une fois qu’il est parti, ma serveuse me dit : « T’es vraiment un gros enfoiré, je ne pensais pas que t’étais comme ça ». C’était le mec de Marine Le Pen, en fait.
Ah oui, Louis Aliot. C’est vrai qu’il a un petit air de ressemblance avec Lionel Chamoulaud, en effet.
La Mécanique Ondulatoire, 8 passage Thiéré, Paris 11e.
Le Motel, 8 passage Josset, Paris 11e.
Le Rochelle, 103 rue de la Folie Méricourt, Paris 11e.
Adrien Durand, Noisey, Paris 19e.