Société

Dans l’étrange quotidien solitaire d’une mère au foyer mormone

Jour de la bénédiction. Toutes les photos sont publiées avec l’autorisation d’Amanda Bentley James

Amanda James avait 28 ans quand sa vie a changé. Et c’était de la manière la plus courante qui soit : elle est devenue mère. Cette Australienne élevée dans une communauté mormone était emballée à l’idée d’avoir des enfants. Puis son fils, aujourd’hui âgé de cinq ans, est né. Elle s’est vite rendu compte qu’être maman, malgré toute la joie et les bonheurs, putain que c’est pas de la tarte.

Elle a commencé à photographier son Utah pittoresque, les ciels bleus et les montagnes qui entourent sa maison qu’elle ne pouvait presque jamais quitter, car son bébé était trop jeune.

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Quand elle a commencé à prendre les photos, elle était étudiante aux beaux-arts. Elle ne pensait pas qu’elles auraient une grande valeur, jusqu’à ce qu’elle décroche le prix LensCulture cette année pour sa série « Sweet Little Lies ». Ses photos ont été exposées à Londres récemment, c’est pourquoi j’ai décidé de lui passer un coup de fil. « Je suis en train d’allaiter », m’a-t-elle dit. J’entendais son fils d’un mois gazouiller. Pendant qu’elle poursuivait ses multiples tâches, nous avons discuté des étranges photos d’enfants, de la culpabilité de voir des côtés négatifs à la maternité et de l’obligation de se dévouer corps et âme à sa famille.

VICE : Bonjour Amanda. Cette série de photos n’était pas censée porter sur la maternité de cette façon, c’est ça?
Amanda James Bentley : J’ai commencé ce projet quand j’étais étudiante. Avant, je faisais plutôt des mises en scène et des photos de spectacles. Cette fois-ci, je voulais faire quelque chose de différent. J’ai commencé à prendre des photos spontanément, chez moi ou dans la rue. J’ai photographié ma maison et mon fils aîné, qui avait deux ans. J’ai trouvé que les images avaient quelque chose d’obsédant. J’ai commencé à explorer ça.

Découpage de carottes. « La maternité est très monotone et répétitive. Tous les jours se ressemblent : il faut préparer les repas, faire la vaisselle, la lessive, etc. »

Qu’avez-vous remarqué?
J’avais du mal à regarder les photos au début, parce qu’elles avaient un côté sombre. Je me demandais : « Que se passe-t-il? Pourquoi ces photos de mes enfants paraissent-elles aussi étranges? Qu’est-ce qui ne va pas avec moi? J’adore mes enfants, pourquoi ces photos ressortent-elles comme ça? » Beaucoup de ces photos ne sont pas dans la série. Par exemple, j’ai photographié encore et encore l’immense montagne abrupte que je vois depuis ma fenêtre.

En y repensant, je faisais le deuil de ma liberté. À la seconde où vous donnez naissance à votre premier enfant, votre liberté s’éclipse du jour au lendemain. C’est un sentiment étrange et je sais que chaque femme le vit différemment. Mais la maternité m’a fait peur. Je suis un esprit libre, donc la stabilité d’un mariage ou l’achat d’une maison sont difficiles pour moi [rires]. Je n’avais pas du tout peur quand j’ai donné naissance à mon fils, mais il y a toutes ces responsabilités. Je me suis sentie piégée.

C’est intéressant, car vos photos sont pourtant lumineuses.
C’est contradictoire. Quand on a un enfant, on l’aime d’un amour infini. Mais, en même temps, j’ai le sentiment que mon identité m’a été enlevée. J’ai une sœur jumelle identique, donc j’ai dû partager mon identité toute ma vie.

J’ai lu que votre sœur avait posé pour ce qui semble être un autoportrait.
La photo de la fille sur le canapé vert? C’est elle. Je me suis questionnée toute ma vie sur l’identité. Nous partageons notre anniversaire, nous sommes identiques, nous avons épousé des frères. Nous partageons tout. Elle est peintre et je suis photographe, c’est la seule chose qui nous sépare. Nous sommes voisines [rires]. Mais donner naissance a été une perte identitaire complètement différente. Tout d’un coup, je suis devenue « une mère parmi d’autres ». C’était vraiment bizarre.

Femme. « C’est un portrait de ma sœur jumelle qui passe pour un autoportrait. Cette photo est une métaphore de l’identité qui a disparu quand je suis devenue mère. »

À quel moment avez-vous commencé à intégrer cette bizarrerie dans votre travail?
Cette série vient d’une grande frustration. Je voyais tous les efforts que mes collègues mettaient dans leurs projets, et ils progressaient vraiment vite. Moi, je ne pouvais pas tout le temps y mettre toute mon énergie. Je ne pouvais pas. Et cette frustration s’est ressortie dans les photos. Les critiques ont été vraiment dures. Je me sentais coupable d’avoir pris ces photos de mon fils, j’avais honte. Je me demandais : « Pourquoi est-ce que la maternité n’est pas assez bien pour moi? »

En avez-vous parlé à votre mari?
Je ne savais vraiment pas quel était le sens du projet avant d’y réfléchir un peu, mais il comprend. Il est très stable et était d’accord pour que je le prenne aussi en photo sans arrêt. Mais, comme il n’est pas artiste, il a du mal à comprendre pourquoi j’ai besoin de faire ça

IVous avez été élevée dans la religion, les traditions étaient prioritaires. Votre projet ne va-t-il pas à l’encontre de ce qu’on vous a inculqué au sujet du rôle de la femme?
J’aime ma culture et mon éducation. J’aime ma religion, mais c’est une culture difficile. Là où je vis, la plupart des femmes restent à la maison et regardent leurs enfants grandir, et elles adorent ça. Je me demandais ce qui n’allait pas chez moi. Je devenais folle en restant à la maison.

En quoi cette communauté est-elle différente de celle de votre enfance?
J’ai grandi à Salt Lake, pas loin d’ici, donc c’est assez semblable. Les gens ici sont gentils et j’aime que la famille soit une priorité. J’ai toujours voulu avoir des enfants — je viens d’une famille de neuf enfants — donc en avoir trois, ce n’est rien. Mais après avoir parlé à des mères, je me suis rendu compte que beaucoup de femmes avaient le même sentiment que moi. Il y a beaucoup de pression exercée sur les femmes dans les communautés religieuses. Je voulais être mère, mais quand mon premier enfant est né, je mourrais d’envie de travailler.

C’est pour ça que vous avez inclus des textes bibliques du Livre de la Genèse?
Ça me semblait injuste. Je me demandais : « Pourquoi? »

Aviez-vous remarqué ce double standard quand vous étiez jeune?
Non, jamais. En lisant la Genèse — je n’avais jamais vraiment lu la Bible — le texte réel m’a semblé vraiment sévère. Ça paraissait vraiment injuste pour les femmes. Pour ce projet, je me suis inspirée des photographes féministes que j’aime, comme Hannah Wilke, dont j’adore le travail. L’idée était de photographier ma famille et de faire le lien avec mes origines. Maintenant, mes enfants ont grandi, j’ai de l’aide si je me sens piégée. Mais dans les premières années, on ne sait pas vraiment ce qui nous tombe dessus. Il y a beaucoup de sentiments contradictoires.

Condamnée. « Dans ce texte, Adam est condamné à cause d’Ève. J’ai pensé que c’était la conclusion parfaite pour le livre : “… car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière”. Le début, c’est la vie avec mon bébé, et la fin la mort avec le retour à la terre. »

Homme

Création. “J’aime marcher dans un sentier qui mène à une rivière que je traverse sur un tronc d’arbre. Au printemps, quand la neige fond au sommet des montagnes, elle se déchaîne. Je l’ai photographiée pour la partie de mon livre sur la création de la Terre. »

« J’aime la vulnérabilité combinée à la tension dans cette photo. Un tendre moment entre une mère et son garçon tourne en frousse délicate pour lui. »

Et Dieu créa l’homme et la femme. « J’ai vu un lien entre l’histoire d’Adam et Ève et ma vie. Je voyais mon mari, qui travaille à la maison et prend soin de notre enfant. J’ai aussi ressenti une perte de mon identité. »

« C’est la tension délicate qui m’a amenée à prendre cette photo. Il y a aussi une domination dans cette main qui tient une chose si délicate. Je me suis sentie impuissante, comme si j’étais la bulle. »

« Je regardais ma nièce nager et elle essayait de retenir son souffle sous l’eau. Cette photo montre une petite fille qui flotte sur l’eau. Elle est terrifiante. Elle évoque la peur constante que quelque chose arrive à mes enfants. Il y a une peur persistante inhérente au rôle de mère. »

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