« Une des routes principales vers Mossoul passait juste devant notre maison. »
Regina, une jeune femme amish-mennonite, me raconte son récent voyage en Irak du Nord. Elle s’y est rendue au côté d’autres membres de sa communauté dans le but de reconstruire les maisons en ruines de Bachiqa, une ville située non loin de Mossoul. Pendant son séjour, les combattants de l’État islamique qui occupaient la ville ont mené leur dernier combat contre les forces de la coalition, avant de perdre leur bastion au début du mois de juillet.
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Une zone de guerre active en Irak du Nord est bien le dernier endroit où je m’attendrais à voir des Amish passer leurs vacances d’été. Bien entendu, l’endroit où j’ai rencontré Regina – Dunmore East, un village situé dans le comté de Waterford, en Irlande – est tout aussi incongru, en tout cas d’après mes connaissances de la communauté amish-menonnite, qui se résument essentiellement à l’émission télévisée Breaking Amish. Regina a passé sa vie entre l’Irlande et tout endroit ou l’ont menée ses missions de solidarité. Elle m’a raconté son histoire dans le salon des Gregory-Smith, également membres de la petite communauté amish-mennonite de Dunmore East.

En 2015, on comptait environ 2,1 millions de Mennonites à travers le monde, selon la Conférence mennonite mondiale, allant des « Gens Simples » – à savoir ceux qui portent des vêtements vieillots et s’isolent du monde moderne – aux (relativement) progressistes, comme les Amish-Mennonites de Dunmore East, en passant par les Mennonites qui s’habillent et vivent comme la majorité des gens que vous côtoyez. Les Mennonites sont présents partout dans le monde, mais la communauté de Dunmore East est la première et la seule existante en Irlande ; elle a été fondée en 1991 par William McGrath, un Amish-Mennonite irlando-américain ayant décidé de s’installer dans le pays de ses ancêtres.
Avant de rencontrer Regina, j’ai discuté avec le fils cadet des Gregory-Smith, Henry, devant la chapelle locale, après qu’il a assisté à l’office du dimanche d’une durée de deux heures. À l’intérieur, Henry a attiré l’attention de la congrégation sur les dangers de la technologie.
« Nous restons très prudents, car c’est un piège énorme, la technologie », m’a-t-il déclaré avec un accent britannique prononcé, contrairement aux voix américaines que j’ai pu entendre jusqu’à présent. « Beaucoup de mauvaises choses proviennent d’un téléphone ou d’un ordinateur. » Malgré les dangers potentiels, les Amish-Mennonites de Dunmore East semblent être à l’aise, quand ça les arrange, avec la technologie. Nombre d’entre eux conduisent une voiture, la communauté possède son propre site Internet et le pasteur assis derrière moi pendant l’office préparait même son sermon sur un iPad.
Leur volonté d’embrasser une petite quantité de technologie moderne les aide à répandre la bonne parole au sein de la communauté locale – mais Henry tient à souligner qu’ils s’intéressent réellement aux gens auprès desquels ils font du prosélytisme et ne se contentent pas seulement de les spammer à grand renfort de textes sacrés. « Nous distribuons peu de tracts, m’explique-t-il. Selon moi, lorsqu’on prêche l’Évangile, il ne s’agit pas seulement de remettre un bout de papier à une personne, mais de s’intéresser à elle en tant qu’individu. »
« Prêcher l’Évangile », en l’occurrence, est un terme relatif ; à Dunmore East, aucun Amish-Mennonite ne viendra toquer à votre porte pour vous demander si vous êtes au courant des dernières nouvelles concernant notre Seigneur et Sauveur. « Nous tenons un étal de marché à Waterford une fois par semaine », m’explique Henry, en insistant sur le fait qu’ils interagissent souvent avec la communauté dans son ensemble. « C’est l’occasion pour nous de sensibiliser les gens. Nous nous y rendons aussi très souvent pour chanter. »
Reste que la communauté, dans sa majorité, se tient à l’écart ; les enfants suivent l’école à la maison ou sont scolarisés dans l’école amish locale, et développent leurs compétences sociales dans le groupe de jeunes de l’église.
Henry a reçu des cours à domicile pendant plusieurs années avant d’intégrer l’école amish à l’âge de 14 ans. Cette école compte actuellement « 16 ou 17 » élèves, un chiffre en baisse depuis qu’une famille de sept Amish-Mennonites est partie vivre ailleurs – un fait mentionné plusieurs fois au cours de l’office, puisqu’il s’agit d’une grande perte pour la communauté. En raison de l’isolement et du faible nombre d’Amish-Mennonites habitant Dunmore East – environ 70 – je demande à Henry s’il est difficile de trouver une épouse, un facteur important lorsque vous avez un mode de vie aussi traditionnel et centré sur la famille.
« C’est en partie le but du groupe de jeunes [de l’église], me répond-il. On apprend à mieux connaître les gens au sein du groupe, et tout part de là. En général, on épouse une personne qui appartient à notre communauté ou qui possède le même état d’esprit. » Il ajoute qu’il existe également la possibilité de se rendre aux États-Unis afin de trouver une femme, ou d’en rencontrer une en participant aux différents programmes d’entraide des Amish-Mennonites, à l’instar du récent séjour de Regina en Irak.
« [Dunmore East] est un endroit où les jeunes gens peuvent facilement se rendre dans d’autres régions, m’explique Regina. C’est une sorte de base, de communauté sécurisée où les enfants et les adolescents peuvent grandir et apprendre les principes de la charité, de l’altruisme et de la vie en communauté. »
Ces principes de charité se reflètent dans le travail qu’effectue Henry dans un centre de retraite amish pour les jeunes défavorisés, situé dans les montagnes proches de Comeragh.
« Certains [des enfants qui intègrent le centre] sont enchantés par toute cette histoire d’Amish-Mennonites, déclare Henry. Un garçon est revenu plusieurs fois car il s’intéressait à ce que nous faisons et les raisons pour lesquelles nous le faisons ; nous avons pu lui tendre la main et lui parler. Nous nous efforçons de les introduire au christianisme pendant qu’ils sont là – nous faisons nos dévotions le matin et nos prières le soir. Nous avons également un office à la chapelle s’ils souhaitent rester là le dimanche. »
Bien qu’il soit aujourd’hui un fervent adepte de ce mouvement, Henry est le fils d’un prédicateur anglican gallois nommé Hew. C’est Hew qui a pris la décision de devenir amish-mennonite et de quitter le pays de Galles pour s’installer à Waterford. Henry explique qu’« en discutant avec ces gens, nous avons commencé à changer notre mode de vie et de pensée ». Suite à quoi toute la famille a suivi les traces de Hew et s’est convertie.

Tandis que je discutais avec Henry dans la chapelle, Hew m’a invité à déjeuner chez lui avec sa famille. La maison des Gregory-Smith se trouve à côté de la chapelle et de Jaybee’s – l’endroit où travaille Hew, qui fait office de boulangerie et de magasin de meubles. Mauvaise nouvelle : ces dernières années, les ventes de meubles de Jaybee’s ont chuté, ce qui inquiète les membres de la communauté qui comptent beaucoup sur la boutique pour l’emploi. Bonne nouvelle : la boulangerie a gagné en popularité. Autre mauvaise nouvelle – pour moi, du moins : elle n’est pas ouverte le dimanche, je n’ai donc pas pu goûter à ses délicieuses marchandises cuites au four.
Les membres de la communauté locale cultivent généralement leurs propres produits, et comme beaucoup d’autres, Hew arrondit ses fins de mois en vendant les légumes qu’il cultive. Le plus frappant chez les Gregory Smith est leur immense jardin – une grande source de joie pour Hew – qui comprend des légumes, des oies et des poulets. L’intérieur ressemble à n’importe quelle maison de campagne britannique : une cuisine encombrée quoiqu’organisée, des pots de confiture et des produits saumurés entassés sur les étagères.
Ce jour-là, pour le déjeuner, nous avons mangé de délicieuses pâtes faites maison, servies avec une sauce italienne aux saucisses, suivies de fruits frais recouverts de crème. Après quoi nous avons joué à un jeu de cartes dont je n’avais jamais entendu parler : le Dutch Blitz. La table a été rapidement nettoyée et les cartes à l’effigie du peuple amish ont été tirées.

Il s’avère que le Dutch Blitz est le jeu préféré du peuple amish-mennonite. Le jeu se compose de 4 séries de 40 cartes. Chaque série contient dix cartes rouges, dix bleues, dix jaunes et dix vertes. Chaque série de couleur est numérotée d’un à dix. Les cartes sont divisées de manière égale entre les joueurs. Le but du jeu consiste à poser le plus rapidement possible des cartes de la même couleur.
Malheureusement, je ne maîtrisais pas tout à fait les règles. La famille m’a demandé si j’étais daltonien – j’ai répondu que non. C’est là que leur indulgence a cessé. S’ensuivit la partie de cartes la plus impitoyable à laquelle j’ai jamais joué. Les Amish-Mennonites ont une coordination œil-main aiguisée grâce à des années de pratique. Pour ma part, je me suis laissé absorber par un tourbillon de couleurs primaires. Plus tôt dans la journée, Hew m’avait expliqué que les Amish-Mennonites pratiquent la doctrine de la non-résistance ; ils refusent de porter des armes ou de porter plainte. J’ai toutefois découvert que cette attitude pacifiste ne s’appliquait pas aux jeux de cartes. Au quatrième tour de Dutch Blitz, j’étais sous le choc et en sueur. Heureusement pour moi, Regina devait partir plus tôt, ce qui a mis un terme à la partie.
J’en ai profité pour entamer mon trajet de retour à Dublin et Hew m’a escorté jusqu’à Jaybee’s, où m’attendait mon taxi. Tout en faisant signe à Hew, je me suis avachi sur mon siège pour reprendre mon souffle. Il aura fallu quatre parties de Dutch Blitz pour que les Amish viennent à bout de moi.
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