L’arrivée de la Reine de la fondue chinoise ne s’est pas faite au son d’une fanfare royale. He Yongzhi débarque comme une tornade dans la pièce, sur fond de « slurps » et de petits rots. Vêtue d’un manteau aux couleurs du drapeau national chinois, elle porte un rouge-à-lèvre pétant assorti et des montures de lunette dorées mais sans verres.
Alors qu’elle s’enfonce dans son trône en face de moi, un laquais dépose timidement un bol de nouilles qu’elle commence à avaler bruyament alors que notre audience d’une demi-heure vient de débuter – sans autre forme de procès.
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Si je n’avais pas eu vent du CV de He avant de la voir, tout avait été fait pour que je comprenne qu’elle n’était pas là pour rigoler. À la tête de la Hot Pot Association de Chongqing, ville géante du Sichuan dans le sud-ouest de la Chine, elle a accepté de m’accorder un bref entretien pour éduquer les lecteurs de MUNCHIES et raconter l’histoire de la fondue épicée, fil rouge de la cuisine local et de sa propre carrière.
He est à la tête de la chaîne de restaurants Little Swan. En Chine, il en existe une centaine dont celui situé à Hongyadong, un batîment qui aurait inspiré à Hayao Miyazaki les décors du Voyage de Chihiro, son film d’animation culte sorti en 2001. Après avoir démarré modestement, He est aujourd’hui à la tête d’un empire de fondue qui la place parmi les femmes les plus riches du pays.
« Il y a beaucoup de gens qui se donnent le titre de ‘déesse de la fondue’ mais personne ne s’est adjugé celui de ‘reine’ à part moi », raconte He entre deux bouchées. « J’aime bien le nom – c’est la CCTV, la chaîne de télévision nationale, qui me l’a donné. Les gens peuvent s’affubler des sobriquets qu’ils veulent mais il n’y a que le travail et la sueur qui comptent vraiment au final. »
Le style de cuisine qui a fait la fortune de He existe depuis des siècles. Selon le musée de la fondue de Chongqing (Hot Pot World Feast Museum pour les intimes), situé sous le restaurant, les premières techniques de fondue sont apparus dans la région sous les dynasties Shang et Zhou. (En 1570-1045 et 1045-256 avant JC.)
Pendant les dynasties Tang et Song (respectivement 618-907 et 960-1279 après JC), les pêcheurs utilisaient l’eau des rivières de la région pour faire cuire des tripes ou des intestins de canard, posant les bases de la version moderne de la fondue chinoise. Aujourd’hui, les clients cuisent eux-mêmes les ingrédients dans des marmites remplies d’huile épicée placée au centre de la table, ou en version individuelle pour chaque convive, avant de les manger.
Comme la Reine le dit, lors de la première moitié du XXe siècle, la fondue chinoise était considérée comme une cuisine de pauvres. Ceux qui n’avaient généralement plus que les abats pour se nourrir, les meilleurs morceaux étant réservés aux classes supérieures. Elle raconte que la fondue a ensuite gagné en popularité pendant les années de guerre civile, entre 1927 et 1950, quand Chongqing est officiellement devenue la deuxième ville de Chine et que les gens sont venus s’y installer en masse.
« Ici, le climat est humide et les gens ont besoin de quelque chose d’efficace pour s’en défaire », assure-t-elle. « Deux frères, appelés Ma, ont alors diffusé le concept de fondue au plus grand nombre. À l’époque, ils utilisaient une marmite géante avec neuf compartiments et un poêle à charbon en dessous. Ils y versaient constamment de la sauce et des ingrédients, comme si le repas n’avait pas de fin. On raconte qu’une marmite pouvait durer dix ans. »
Selon He, quand la République Populaire de Chine a été fondée en 1949, la fondue chinoise a perdu de sa superbe. Dans les années 1980, à mesure que la Chine s’ouvre et se réforme, l’image du plat change au même rythme que le pays.
He, qui travaillait à l’époque dans une usine, s’est lancé, comme d’autres avec elle, dans l’aventure de la fondue. En 1982, elle décide d’ouvrire sa propre adresse pour capitaliser sur le changement de perception du public. Little Swan est né. Une des innovations qui a permis à la marque de faire son trou pour devenir une des plus connues dans le pays c’est de faire des marmites à deux contenants – un épicé et l’autre pas – un style qu’on retrouve aujourd’hui dans les restaus à travers la Chine.
« Avant, il n’y avait pas de pont à Chongqing », raconte He. « Un jour, à bord d’un ferry, j’ai remarqué que l’eau était comme divisée en deux : d’un côté celle de la rivière Jialing, qui était un peu jaune, et de l’autre, celle du Yangtze, plus pure et transparente. Cela m’a inspiré : Pourquoi ne pas prendre une marmite et la diviser en deux ? On était pauvre, et on ne voulait pas jeter nos marmites, donc on a juste ajouté une pièce de métal au milieu pour que les sauces ne se mélangent pas. »
He ajoute que Chongqing se considère comme la première ville de Chine en matière de fondue. Depuis 2000, la ville a organisé de nombreux festivals dédiés à la fondue et pas mal d’événements comme celui où des milliers de personnes en ont mangé en même temps. Chengdu, la capitale du Sichuan, est aussi connue aussi pour sa fondue épicée mais He insiste pour dire que sa ville est la meilleure en matière de marmite. « La fondu de Chongqing est reconnue à travers le monde. C’est devenu la référence carte de visite de la ville. ».
L’association de He revendique 50 000 restaurants de fondue à Chongqing. Ce qui peut paraître beaucoup mais correspond à la population urbaine de la ville – environ 37 millions d’habitants. Après mon audience avec la Reine, elle me remet une copie de son autobiographie, brillament baptisée Life Has to be More Wonderful (La vie doit être encore plus incroyable) et je me rends dans le restau au-dessus du musée pour une démonstration culinaire.
Le chef Chen Xiao Bin, qui travaille la fondue depuis 30 ans, remplit une marmine d’huile végétale avant de déclencher uen tempête d’épices. Cette mixture à base d’huile dans laquelle on plonge la nourriture pendant le repas, est la colonne vertébrale d’une bonne fondue chinoise.
Le mélange est régulièrement remué. Des gros bouts de beurre fondent dans l’huile tandis que Chen ajoute sporadiquement du gingembre, du poivre de Sichuan (le fameux huajiao) de l’ail et de la pâte de haricot douban – un ingrédient particulièrement important. Il verse aussi quelques rasades de baijiu – la liqueur la plus populaire de Chine – qui permet d’évacuer tous les goûts indésirables.
Alors que Chen agite sa louche, il explique que, même si la fondue chinoise n’est plus considéré comme une cuisine de la classe populaire, les ingrédients utilisés sont souvent de l’estomac de bœuf et des intestins de canard : une sorte d’hommage aux premiers chefs. Les cubes de sang ont aussi leur public. Alors que les techniques de réfrigération s’amélioraient à mesure que la Chine post-révolution culturelle s’ouvrait, d’autres ingrédients sont apparus comme les fruits de mer.
« Je suis né dans les années 1960, les options étaient plutôt limités », souligne Chen. « Il n’y avait que des tranches de viande classiques et des oignons. Il n’y avait pas de restaurants de fondue décorés comme celui-ci et on utilisait du charbon sous la marmite, ce qui provoquait pas mal de fumée et d’inconvénients. Aujourd’hui, avec les cuiseurs électriques ou au gaz, c’est bien plus propre et les gens peuvent manger ce qu’ils veulent ».
L’intestin de canard et l’estomac de bœuf sont des denrées un peu trop étranges pour mon palais (pas si téméraire) d’anglais, mais la fondue amène un goût très agréable. Le restaurant est assez touristique donc la soupe n’était pas aussi épicée que je l’aurais aimée (les restaus à fondue de Chongqing ont la réputation légendaire d’enflammer les bouches) – mais c’était quand même un repas de qualité.
J’ai hâte d’essayer les 49 999 autres spots à fondue de la ville du coup.