Culture

Après 10 secondes sur Instagram je suis tombé dans le puits sans fond des antivaccins

Instagram like and a needle

Ça a pris environ 10 secondes.

Mercredi, je me suis créé un tout nouveau compte Instagram, et je me suis abonné à Beware the Needle, un utilisateur qui compte 34 000 abonnés et qui publient un flot constant de matériel antivaccination. Je me suis aussi abonné au compte « backup » mentionné dans sa description, la personne qui l’a créé étant bien consciente qu’Instagram pouvait supprimer son compte principal à tout moment. Aussitôt, Instagram m’a fait des suggestions personnalisées : « Vaccines are Genocide » et « Vaccine Truth ». Je me suis abonné au deuxième, et j’ai vérifié ce qu’Instagram me recommandait ensuite : parmi d’autres, 24 comptes explicitement décrits comme antivaccination ou qui publient du matériel antivaccination.

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Il y avait du matériel pseudo-scientifique soutenant que les vaccins causent l’autisme, des comptes promettant de révéler « la vérité » sur la vaccination, au moyen de mèmes et d’illustrations avec des statistiques trompeuses, suivis par des dizaines de milliers de personnes, ainsi que des mères colportant de prétendus dangers que l’on fait courir aux enfants quand on les vaccine contre la rougeole, la polio et d’autres maladies graves.

« Les moutons continuent de faire la file pour le massacre, et aucune question n’est posée », affirme par l’entremise d’une illustration « Vaccine Truth ».

Au cours des derniers mois, des politiciens, des scientifiques et des médias ont souligné les risques de la dissémination de messages antivaccination sur les réseaux sociaux, qui renforce chez des gens la conviction qu’il ne faut pas faire vacciner les enfants. Dans le dernier mois, Facebook a annoncé des modifications au fonctionnement d’Instagram pour rendre ce type de contenu moins facile à trouver sur le site, pour le retirer de la section « Explorer » (qui montre à l’utilisateur du nouveau contenu qu’il pourrait aimer), et pour le dissocier de certains mots-clics.

Mais notre expérience montre que la fonction de recommandation personnalisée d’Instagram propose aux utilisateurs de suivre plus de comptes antivaccination.

Les comptes recommandés par Instagram dans notre compte créé pour ce test comptaient de 800 à 150 000 abonnés chacun et de quelques dizaines à quelques milliers de publications. La majorité des comptes ne publiaient que du matériel antivaccination, tandis que quelques-uns le mélangeaient à d’autres théories du complot. Instagram a aussi suggéré des comptes sur la médecine alternative ou holistique, proposant par exemple des régimes. Certains de ceux-ci relayaient aussi du matériel antivaccination, mais ce n’était pas leur intérêt principal. (Nous n’avons pas compté ces derniers dans les 24 comptes.)

Certains des comptes exploitaient aussi la fonctionnalité des stories pour faire circuler des mèmes d’autres comptes ou des sondages à leurs abonnés pour savoir s’ils préféraient un sac réutilisable ou un badge dans leur boutique en ligne (hors d’Instagram).

« Révéler les vrais motifs de la vaccination et faire circuler l’information sur des sujets connexes touchant la santé » et « Des histoires vraies. Des problèmes de santé à cause des vaccins. Des décès à cause des vaccins. Ce que les médias grand public ne vous montreront pas », lit-on dans les descriptions d’autres comptes recommandés.

Après des pressions, plusieurs médias sociaux, dont Pinterest, Facebook et YouTube, ont agi pour contrer la prolifération de matériel antivaccination. En février, The Guardian a décrit comment Facebook et YouTube contribuaient à la propagande contre les vaccins : des recommandations de YouTube incitant à passer de vidéos factuelles à du matériel antivaccination, et des résultats de recherche de Facebook dominés par les pages antivaccination. Adam Schiff, élu démocrate de Californie à la Chambre des représentants, a ensuite envoyé une lettre au PDG de Facebook, Mark Zuckerburg, pour l’enjoindre de prendre des mesures supplémentaires pour stopper cette prolifération. Dans le dernier mois, Facebook a annoncé de nouveaux changements, comme l’exclusion de groupes et de pages antivaccination dans les recommandations ou prédictions de recherche, le rejet des publicités contenant de fausses informations sur la vaccination, et évalue des moyens de diffuser du matériel pédagogique sur les vaccins.

Dans un échange par courriel avec VICE, Erin Elizabeth, blogueuse qui a écrit sur le mouvement antivaccination, a dit que Facebook avait nui à la circulation de son contenu. « C’est décourageant de voir que Facebook a choisi de rétrograder et pourrait supprimer notre contenu, un fait encore plus inquiétant parce qu’il possède Instagram », a-t-elle ajouté.

Facebook a annoncé que la compagnie ne montrerait pas et ne recommanderait pas de matériel publié avec certains mots-clés dans la section « Explorer » ou dans les pages de mots-clics sur Instagram.

Cette mesure n’est manifestement pas mise en œuvre. Des mots-clics comme « vaccineskill » (« les vaccins tuent ») et « vaccinescauseautism » (« les vaccins causent l’autisme ») étaient associés à des milliers, voire des dizaines de milliers de publications, avec du contenu antivaccination, au moment de la rédaction de cet article. Instagram a dit que l’on en verrait les effets dans les prochaines semaines.

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L’expérience de VICE portait cependant davantage sur les suggestions personnalisées, basées sur le profil d’un utilisateur et les comptes auxquels il est déjà abonné, pour voir en combien de temps ces fonctionnalités font la promotion de comptes antivaccination.

Ce n’était pas explicitement mentionné dans l’annonce de Facebook. Un porte-parole d’Instagram a dit que la compagnie évaluerait différentes façons de réduire le nombre de recommandations de ce type, notamment dans la section des « Suggestions pour vous ». Instagram n’a cependant pas donné d’échéance à ce sujet, disant seulement qu’elle tiendrait la communauté au courant de ses efforts.

En attendant, Instagram reste un média social où la désinformation sur la vaccination prolifère et est très facile à trouver.