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Après des années de doutes et d’interrogations, Rose Mercie sort enfin l’album que le monde attendait

Pardonnez-nous la (douce) ironie du titre de cet article, car dans les faits, personne ou presque n’attend réellement le premier album de Rose Mercie. Mais c’est là que le subterfuge en question prend tout son sens, ou en tout cas sa pleine justification : si leur premier album éponyme, sorti en début de mois en co-production chez SDZ Records, Jelodanti et Monofonus Press, n’était peut-être pas effectivement attendu par les masses ou les directeurs artistiques des quelques majors qu’il nous reste (d’ailleurs ils ont bien tort, mais c’est leur affaire), il l’était en tout cas fébrilement, sincèrement, totalement par nous.

C’est là que c’est important. Car ce titre n’est pas tant là pour dire son contraire (soit une définition un peu basique de l’ironie) que pour dire qu’on prend Rose Mercie, groupe-somme de la scène parisienne, comme un monde en soi, et que son premier album est si important à nos yeux qu’à son écoute, nos planètes s’aligneraient toutes autour de l’axe Montreuil / Porte des Lilas / Portel des Corbières (commune occitane où a déménagé Louann, qui officie principalement à la batterie), comme l’indique leur page Soundcloud.

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Composé de membres des délicieux Belmont Witch, La Ligne Claire, ou encore Charlene Darling, Rose Mercie a, dès ses débuts il y a un peu plus de cinq ans, collaboré avec la Grande Triple Alliance de l’Est ou mamiedaragon, et joue ce soir en compagnie de ces derniers mais également de la relève en la matière de pop flageolante Nina Harker, pour une release party aux Instants Chavirés qu’on ne peut que trop vous conseiller de ne pas louper.

Leur premier album, qui arrive enfin après quelques années de galère, sonne comme quelque chose de très simple et de très étudié à la fois, un mélange de fugacité et d’immédiateté qui dépasse des influences évidentes (pour aller vite, des Raincoats à Electrelane) et qui arrive à nous faire dire qu’il ne faut pas grand-chose, un geste, un accord barré un peu loupé mais gardé tel quel, un chœur un peu à côté ou un poil trop fort, pour amener ce petit plus de spontanéité (et donc de vivant) qui manquent tant aujourd’hui à une partie de la scène française dite « de marge ».

À les voir en action, c’est la même chose : dans leur studio charmant de Pantin, où elles répètent, puis dans un kebab juste à côté qui s’appelle Le Titanic, pour une interview où elles sont absolument ravies qu’on leur offre des bières et des pâtisseries turques, il suffit d’un rien (mais c’est ce rien justement qui fait toute la différence) pour que notre post-modernisme un peu foireux, notre distance de journalistes un peu blasés, bref, nos airs de petits malins, fondent comme neige au soleil.

Noisey : Belmont Witch, Le Villejuif Underground, Charlene Darling, La Ligne Claire, etc… On a l’impression que vous êtes un peu au croisement d’énormément de projets de ce genre à Paris. D’une certaine scène, si on peut dire.
Louann : On a beaucoup joué avec le Villejuif au début, ouais. À l’époque où il s’appelaient encore Geto Tropic, avant que Nathan Roche n’arrive.
Charlotte : On jouait souvent avec mamiedaragon aussi au début. Mais après on ne joue pas beaucoup, non plus. Ou en tout cas plus beaucoup. Louann est partie vivre dans le Sud, ça fait presque trois ans maintenant.

C’est pour ça que votre premier album a mis autant de temps à sortir ?
Michèle : Oui, entre autres. En gros, le label SDZ allait le sortir. Il y a eu des contretemps financiers, des priorités, et nous on a pris du temps à nous décider sur la pochette : ce mélange a fait que tout a trainé.

Louann : Et puis on n’avait pas trop de fric, fallait qu’on se paie le mastering, tout ça.

Michèle : On en a vraiment chié. Là tu nous vois, on est bien, il y a la release party, etc… mais en vrai pendant un an, deux ans, on n’y croyait plus.

Charlotte : On cherchait d’autres co-prods, d’autres solutions, ça n’a pas trop marché. Au final c’est Jelodanti qui nous a sauvées.

Ils font surtout des rééditions, eux, non ?
Louann : Ouais, on est le premier groupe en non-réédition. Et là bah du coup ils ont pris une bonne vague et vont sortir plein de choses.

Charlotte : Ça nous a vachement remontées en fait, et on s’est reconnue dans leur identité visuelle. Le fait de pouvoir faire les pochettes à la main, c’était quand même super chouette. Elles sont tamponnées.

Louann : Ils sont artistes, ils font plein de choses à la fois, tu vois.

C’est pas une perte de temps en plus de s’imposer ça ?
Louann : Ah non c’était la récré ! C’était génial d’avoir un vrai objet dans les mains.

Charlotte : Mais ce qui est important de dire, c’est que pendant six mois, un an, on a fait écouter notre album à tous les copains qui avaient des labels, et personne n’en voulait ! [Rires] On s’est pris que des vents, à tel point que ça nous a vachement fait douter.

Le son est beaucoup plus propre que ce qu’on entendait sur vos enregistrements précédents.
Charlotte : Parce qu’on devait encore payer le mastering, on s’est dit qu’on avait fait un truc trop propre, alors qu’on avait enregistré live dans le salon à Villejuif, dans la maison du Villejuif Underground, justement.

Vous habitiez avec eux ?
Michèle : Non, mais comme on est hyper potes avec eux, on avait plein de temps.
Louann : Moi j’étais à l’école avec Adam et Thomas, on a eu notre bac ensemble. Du coup, on était les bienvenues dans leur salon.

Mais vous venez d’où en fait ? De Montreuil, de Porte des Lilas, de Paris ?
Charlotte : Ouais j’ai vécu à Montreuil, mais on est vraiment une bande de Parisiennes de base, quoi. Inès a vécu à Montreuil, mais à la base on vient toutes de Paris-Paris. Sauf Michèle qui vient de Mexico.

Il y a une raison autre que financière d’habiter plutôt à Montreuil qu’à Paris intra muros ?
Louann : Ah oui, les gens, les bars.

Charlotte : C’est plus agréable.

Michèle : La vibe, les cafés.

Louann : Les Instants Chavirés.

Et comment vous en êtes venues à faire de la musique ensemble ?
Charlotte : Il y avait La Ligne Claire, notre groupe d’avant. On a commencé en 2007-2008. En fait Inès et moi ça fait dix ans qu’on fait de la musique ensemble, j’ai beaucoup de mal à réaliser ça.

Et vous avez quel âge, d’ailleurs ?
Charlotte : Je viens d’avoir 30 ans.
Michèle : Moi je vais avoir 28.
Louann : Pareil.
Inès : Moi 25.

(c) Tarnish Vision

Charlotte : Et du coup quand on s’est rencontrées Inès et moi j’avais 20 ans et elle 16, on faisait La Ligne Claire, on a fait ça pendant trois ans. Mais moi j’avais envie de changer d’instruments, et Louann n’avait jamais joué de batterie, en tout cas c’était comme ça qu’on a commencé. Et c’était un peu la galère Rose Mercie à trois, Michèle nous a sauvées. Elle est apparue un peu comme par magie, je l’avais un peu stalkée sur Internet, j’avais vu qu’elle faisait de la musique, qu’elle était mexicaine, qu’elle faisait de la guitare, etc…

Michèle : C’était pile l’époque où je faisais de la musique toute seule, où je commençais tout juste à assumer de mettre mes propres trucs sur Soundcloud.

Tu viens de Mexico toi, du coup ? Tu y as vécu jusqu’à quand ?
Michèle : Jusqu’en 2010. J’avais un groupe au lycée, et je faisais de la guitare depuis petite, mais quand je suis arrivée, j’ai acheté une interface de micro, un micro, un pied de micro, et je faisais de la musique comme ça. J’avais même pas d’ampli, j’enregistrais la guitare directement sur mon ordi, des trucs comme ça. En tout cas c’est quand je suis arrivée à Paris que j’ai commencé à faire de la musique de façon, disons, « consciente ».

Pourquoi tu es venue à Paris à la base ?
Michèle : Parce que j’avais commencé une école de journalisme là-bas, et ça me saoulait, et j’avais beaucoup de circonstances personnelles et familiales là-bas qui ont fait que j’ai bougé ici.

Louann : Elle était recherchée par la police.

Michèle : Voilà, c’est ça. J’étais liée aux narcos et tout, vraiment une sale histoire.

Louann : C’est pour ça qu’on a voulu qu’elle intègre le groupe, d’ailleurs.

Tiens, je la cherchais, mon accroche Vice, elle est toute trouvée maintenant.

Louann : « Jeune mexicaine en cavale monte un groupe de rock »…

Charlotte : En fait le Titanic c’est une couverture !

Michèle : Pour revenir à ta question initiale, c’est un mélange de tout, Rose Mercie. Y’a des gens qui sont encore en études, Charlotte qui prépare sa thèse, d’autres qui y étaient, mais qui se sont dit qu’elles préféraient faire de la musique et organiser des concerts.

Comme toi, avec ton orga Doxa Esta, qui organisez des concerts à la Pointe Lafayette. Vous n’avez pas l’impression qu’il y a un dénominateur commun un peu générationnel, dans cette idée de faire tout soi-même, de l’enregistrement maison au fait d’organiser ses propres concerts ? Aussi bien pour des raisons financières, qui résultent d’une certaine précarité, mais aussi des raisons plus esthétiques, qui font qu’on ne veut surtout pas lâcher le bébé à d’autres. Je me trompe ?
Michèle : Oui, après moi c’est presque devenu comme un taff, parce que je dois le faire pour que ça tourne, mais en fait quand je suis à l’entrée et que je fais la caisse, j’oublie tout. Tu oublies l’espèce de responsabilité, parce qu’il y a des groupes de ouf qui prennent 60 euros, ou 80, ou 100, et qui viennent d’hyper loin. Je pense qu’à ce moment-là on comprend tous pourquoi on est là, et c’est trop bien.

Louann : C’est sûr que d’être musicien à la base ça t’aide plus à comprendre ces choses-là.

Charlotte : Mais à la base quand on a commencé à organiser des concerts à la Pointe Lafayette, c’était pour nous-mêmes, et de temps en temps les copains que personne ne voulait faire jouer si on ne se bougeait pas pour que eux jouent. Et je sais que tous les concerts que j’organisais au départ c’était ça. Les trucs que je faisais dans ma maison c’était pour ça. Mais toi tu as un peu professionnalisé le truc, Michèle.

Après, tout le monde va vouloir avoir sa petite touche DIY, même des trucs très institutionnalisés, alors que nous on se fait chier à trimballer des amplis sur des vieux diables dans le métro, et c’est pas parce que c’est cool, c’est juste parce qu’on n’a pas de bagnole ! [Rires]

Pourtant, à l’écoute de votre album, on sent une sorte de maturation, on a l’impression que ça fait plusieurs années que le truc a été pensé…
Charlotte : On s’est jamais autant appliquées, c’est pour ça. Cyril Harrison, le type qui nous a enregistrées, a fait du field recording un peu partout, des enregistrements en Afrique, il du super matos, des racks et des cartes et des machins. Mais il a fait en sorte d’avoir le matos studio le plus compact possible, qu’il peut amener n’importe où. Et on s’est retrouvées avec un pur son de studio alors qu’on était à moitié en train de jouer sur le canap’.

J’ai l’impression que ça se fait de plus en plus, ces manières d’enregistrer. Soit parce que le matériel est plus performant, et plus simple d’utilisation, mais aussi parce que c’est un choix délibéré de ne pas aller en studio.
Charlotte : Nous c’est vraiment ça, c’est sûr. Après je pense que c’est vraiment très difficile de trouver un son qui te corresponde. Pour ma part j’ai vraiment beaucoup de mal à sortir du son lo-fi. Là c’était vraiment une super expérience, et j’ai appris à l’aimer ce disque. Et l’album solo en studio j’ai appris à l’aimer aussi. Mais j’ai beaucoup de mal à voir comment lier un truc, où tu vas poser des micros des machins.

Michèle : Peu importe le groupe ou le contexte, mais je pense qu’on est toutes un peu dans l’idée de comment tu traduis, comment tu expliques ce que tu veux. Tu sais ce que tu fais, et tu le vis et tu le joues. Mais passer de ça à en parler, ou à l’expliquer à quelqu’un, ou à le traduire (parce que l’enregistrement c’est ça), c’est très difficile.

Charlotte : On veut garder une démarche assez brute, assez intuitive. Et passer par une case enregistrement, ou arrangements, c’est compliqué. Tu parlais de ça Michèle pour parler à tes musiciens dans ton projet. Et j’ai eu ça aussi, vu que je ne connais pas le solfège. Réussir à traduire ça soi à un ingé son, soit à quelqu’un qui fait de la musique un peu plus fine. Mais c’est ça qui m’a surprise par rapport à ce que les gens en ont retenu, du disque, ils trouvent ça tout de même très brut, etc…

(c) Tarnish Vision

Il y a un côté très spontané, en fait. On ressent ça chez le Villejuif Underground, d’où ma comparaison du début.
Louann : On s’adapte. Moi je sais que j’ai joué sur 10 000 batteries différentes, on échange nos instruments. On n’a jamais joué sur le même matos, on s’incruste toujours sur celui des groupes en concert.

Michèle : Ou une guitare acoustique à deux cordes, parce qu’il n’y a que ça pour la radio. Des trucs comme ça.

Charlotte : Mais du coup c’est trop marrant de voir toujours ces mots sortir de la bouche des gens et des journalistes, « bancal »…

Toutes ensemble : « De guingois » !

Charlotte : Alors que mec, putain, on était tellement appliquées ! [Rires]

Michèle : Dans un lexique plus péjoratif, on nous a dit qu’on était décousues.

Louann : Ah non c’est pas trop péjoratif.

Si, un peu, quand même…

Charlotte : Nan mais le pire c’était hier soir. Je le dis ou pas ?

Louann : Ouais, on s’en fout.

Charlotte : Alors, il y a un mec qui est venu pendant qu’on répétait, il s’est assis, il venait pour faire de la batterie pour s’entrainer, il nous a écoutées sans rien dire, après il a fait la morale parce qu’on avait pris des mauvais amplis, touché à des câbles et des machins, et que bon il fallait mettre tout propre à la fin. Classique, quoi. Mais moi j’étais à la batterie, et il me fait : « Ah mais c’est vraiment mignon, c’est marrant parce que t’es pas batteuse de nature, toi, ça se sent, hein. Moi qui suis vraiment batteur, par exemple, je ferais jamais des trucs comme ça, mais c’est mignon, hein… » Alors que ça fait douze ans que je fais de la batterie, connard !

Louann : Comment insulter quelqu’un en étant sympa !

Michèle : Tout ça c’est pour dire qu’on a du mal à dire ce qu’on fait, décrire un truc qui est de l’habitude, pardon, mais ça marche pareil avec le journalisme musical, ça va direct vers des trucs qui sont ultra casés. Enfin le mauvais journalisme musical, hein.

Charlotte : « Ça se tient pas bien », ça arrive même dans les reviews positives !

Et les comparaisons avec Kleenex, les Raincoats, tous les groupes de post punk féminins en fait. Le truc, c’est que j’ai l’impression qu’on fait ça que avec les meufs, on les compare toujours à des groupes de meufs.

Louann : Ouais, ça c’est pénible.

Charlotte : Clairement, en plus pourquoi on nous parle jamais de Wire, de Gang of Four, des choses comme ça ?

Michèle : Il y a eu une première chronique qui citait les Raincoats, et beaucoup de blogs ont repris ça, et les Slits, mais moi j’ai découvert les Slits en lisant le bouquin de Viv Albertine, mais c’était jamais une référence.

Charlotte : Moi ce que je trouve dingue c’est qu’on n’a absolument pas des rythmiques post punk, en plus. Mais absolument pas. Jamais on ne fait ne serait-ce qu’un morceau de batterie avec les bras croisés.

Louann : Mais on va essayer.

Et puis on parle de groupes qui datent quand même d’il ya plus de trente ans, il y a eu d’autres choses depuis quand même.

Louann : Ouais, un jour on m’a parlé de Marianne Faithfull, j’ai halluciné…

Fallait une meuf, visiblement.

Louann : Ouais voilà !

Charlotte : Parfois il y a un parallèle à faire entre un ingé son et un critique musical, il va faire un espèce de son qu’il a décidé dans sa tête, et qu’il a décidé qu’il serai bien pour nous, et le critique va interpréter lui aussi à sa manière ce que font les autres et essayer d’adapter la musique à sa grille de lecture.

Inès : Et le matériel qu’on utilise a une influence, ça on l’a redécouvert en faisant l’album.

Charlotte : On a découvert que le dictaphone ça a une compression de malade.

Michèle : Mais c’était un bon parti pris de le faire sonner comme ça, ça va moins vieillir, en tout cas pour nous.

Inès : La preuve, t’y as cru, toi.

Mais je suis très crédule, vous savez.

Le premier album de Rose Mercie est sorti le 2 mars sur SDZ Records, Jelodanti et Monofonus.

Marc-Aurèle Baly est sur Noisey.