Les monts Hybléens s’élèvent en arrière-plan. Au milieu de la boue et des mauvaises herbes, la vigne est là, surprenante. Des arbres fruitiers et des arbustes émergent aussi de la terre rouge, parsemée de calcaire blanc. Hier, il a plu. Les ceps s’enfoncent dans la terre meuble et encore humide.
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« On vient tout juste de ‘nourrir’ la vigne, précise Arianna Occhipinti (qui utilise une technique d’enfouissement de plantes autour des pieds de vigne pour augmenter la fertilité du sol)
C’est pour ça que le terrain est plutôt meuble. On n’utilise pas d’engrais. Seulement ce que la nature veut bien donner. En Sicile, on a des herbes et des fleurs qui poussent toute l’année – même en hiver. C’est pour ça qu’on plante dans la terre autour des ceps, de façon à ce qu’ils puissent tirer tous les nutriments qu’apportent ces herbes. »
Arianna est chez elle à Vittoria, dans la province de Ragusa, au sud-est de la plus grande île de la Méditerranée ; en Sicile. Parcourir les vignes avec elle, c’est l’assurance de tomber sur quelque chose de nouveau à chaque pas. C’est ici, sur l’une de ses parcelles, qu’elle récolte ses raisins – notamment le Nero d’Avola et le Frappato, deux cépages propres au coin. Les cultures d’Arianna ont beau être toutes différentes, elles n’en restent pas moins articulées autour d’une même philosophie : le respect du sol, de ce qu’il y avait avant et de ce qu’il y aura après.
« Je ne possède pas cette terre, dit-elle fièrement , je la considère plutôt comme un ‘prêt’ que je transmettrai à mes enfants ». Malgré son jeune âge, Arianna est déjà une star du vin. Elle a publié un bouquin, Natural Woman et participé au Concerto del Primo Maggio à Rome, un événement musical diffusé à la télé italienne – devant une Piazza San Giovanni noire de monde, elle avait raconté son histoire et celle de ses vins.
Cette histoire, qui s’écrit au féminin, est faite en grande partie de courage et de détermination. C’est ce qui transparaît quand elle explique précisément son travail à ses collaborateurs ou dans la façon qu’elle a d’aborder le terrain et la cave. Arianna est une de ses femmes à la beauté rugueuse et magnétique. La rencontrer en chair et en os est un privilège.
Je suis une interprète de cette terre et mon rôle c’est d’en faire ressentir toutes les particularités, y compris l’aspérité qui est une caractéristique authentique du Cerasuolo di Vittoria.
Avant, Vittoria n’était entourée que de maisons en ruines (« sgarrupate ») et de vieilles vignes presque abandonnées. Aujourd’hui, l’avenir est plus radieux. Après 14 vendanges, le projet d’Arianna brille et éclaire de ses rayons le secteur viticole d’un territoire entier. La région a toujours eu un potentiel mais l’absence de vision à long terme a longtemps été un frein important à son développement.
« Ma passion pour le vin n’est pas née subitement, précise Arianna, j’ai commencé à faire du vin en 2004 mais il était déjà entré dans ma vie grâce à mon oncle Giusto, le frère de mon père. C’était un producteur connu en Sicile. Le week-end, il m’emmenait faire des dégustations dans les caves. Je me suis prise de passion pour le vin et j’ai décidé d’aller étudier la viticulture à Milan. Là-bas, j’ai pu sortir de l’île – ce qui était, à l’époque, un désir assez fort – et apprendre à connaître d’autres cultures viticoles. »
Arianna n’a jamais douté. Son choix se porterait uniquement sur la production de vins naturels. « J’avais décidé dès le début de me dédier au naturel. J’ai toujours su qu’en viticulture, l’approche ne pouvait être que celle-là. »
Elle poursuit : « Pour moi, le vin naturel est un vin qui respecte la nature sous toutes ses formes et toutes ses saisons. Un vin en adéquation avec le terroir et ses traditions, qui parle aussi d’un choix humain. Je suis une interprète de cette terre et mon rôle c’est d’en faire ressentir toutes les particularités, y compris l’aspérité qui est une caractéristique authentique du Cerasuolo di Vittoria. »
Juste après mon diplôme, j’aurais pu louer la première parcelle de terre n’importe où, raconte-t-elle, je connaissais même mieux la culture viticole du nord de l’Italie que celle de chez moi
« La définition du vin naturel ne me plaît pas forcément, précise Arianna, mais elle était nécessaire parce qu’il a fallu, à un moment, se démarquer d’une période de vingt ans pendant laquelle la figure de l’œnologue était devenue plus importante que celle du terroir. »
Partant du prêt d’un petit lopin de terre, d’une cave minuscule et de pas mal d’outils de seconde main, Arianna a inconsciemment ravivé les espoirs de toute une région. « Juste après mon diplôme, j’aurais pu louer la première parcelle de terre n’importe où, raconte-t-elle, je connaissais même mieux la culture viticole du nord de l’Italie que celle de chez moi. Pourtant, j’ai choisi de retourner ici. À la maison. Je crois que, paradoxalement, il y a plus d’opportunités pour les jeunes qui veulent partir d’une page blanche. Ici, les terrains ne coûtent pas très chers. On a aussi plus de libertés pour faire des choses nouvelles. De ce point de vue là, on est vraiment chanceux mais il faut quand même avoir la capacité d’imaginer, de voir les choses autrement tout en gardant un œil sur le futur. »
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En traversant les champs, on découvre les différentes tailles de vigne choisies par Arianna qui explique que son agriculture repose sur les substances organiques des sols et sur un travail entièrement manuel – de la gestion du feuillage à la récolte. « Notre vinification dans des cuves en ciment est naturelle. Elle se fait sans levure parce que ce n’est pas nécessaire. Dans la cuve, le raisin déclenche seul la fermentation. J’aime l’idée que chaque vigne fermente avec son propre bagage de levures et son apport microbiologique. »
Dans les vins d’Arianna, le terroir vient avant tout le reste et le « naturel » est un choix, c’est la combinaison d’une approche sincère de la vie et d’un style de vinification. Pour ses nouvelles vignes Arianna choisit de ne pas planter de clones (ces pieds de vigne obtenus par multiplication génétique à l’identique) parce que chaque vigne doit exprimer sa diversité et son rapport au sol. Elles sont donc sélectionnées parmi les bourgeons puis « greffées » directement sur les plantes plus robustes – une technique ancienne des paysans pour résister au Phylloxera.
« Moi et cette terre, on marche ensemble. J’ai besoin d’elle et elle a besoin d’être accompagnée par quelqu’un pour dire sa vérité. Ce quelqu’un, c’est moi. »
Dans la vigne, elle n’utilise aucun pesticide, seulement un peu de souffre et de cuivre ainsi que des herbes spontanées ou de la féverole. Les vignes ne se ressemblent pas. Certaines sont taillées en gobelet, d’autre en Cordon de Royat. Elles sont disposées en ordre dispersé sur tout le territoire. Elles sont toutes uniques en leur genre parce qu’Arianna a voulu respecter « ce qui était déjà là ». Par opposition, sa nouvelle cave est un espace moderne et propre. À l’intérieur, on a le souffle coupé devant les énormes cuves ou le raffinement des tonneaux qui se découpent à perte de vue dans la pierre de calcaire.
Chez Occhipinti, les vendanges se font manuellement. Les raisins sont récoltés sur les différentes parcelles avant d’être déposés sur la grande table de tri pour l’égrappage (quand on leur retire la partie végétale). Les grains sont ensuite soumis à un pressage délicat à travers deux rouleaux différents. Les cuves de fermentation sont en ciment cru – parce qu’il rappelle la roche calcaire dans laquelle se nourrissent ses vins, roche qui formait les palmenti dans lesquels on écrasait le raisin. Arianna observe la fermentation spontanée des vins sans intervenir ni bidouiller quoi que ce soit, Chaque cépage fermente dans son coin avant d’être assemblé. La cuve de ciment les dorlote pendant 6 à 8 mois avant la mise en bouteille ou dans des tonneaux de bois délicats et clairs.