Bohemia Interactive est un développeur de jeu vidéo basé en République tchèque. Le studio, à l’origine d’Arma 3, une simulation militaire sortie en 2013 et reconnue pour son réalisme, a publié fin novembre un billet de blog dans l’espoir de résoudre un problème un peu particulier : avertir que des séquences du jeu sont devenues virales après que des internautes les ont fait passer pour des images d’une guerre bien réelle.
Ce n’est pas la première fois que des fake news circulent sur le web – de multiples articles sur Reuters et Associated Press se chargent spécifiquement de débunker les clips d’images de guerre suspectes. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, le phénomène s’est considérablement aggravé. Face au plus grand conflit terrestre en Europe depuis plus d’une génération, les gens consomment toutes les bribes d’information disponibles. Une aubaine pour les mystificateurs et autres facétieux qui tentent de tirer parti de la situation en publiant des images d’Arma 3.
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Arma 3 est une simulation militaire de type « sandbox » ou bac à sable. Le jeu se veut une modélisation hyper réaliste des conflits qui ont lieu dans le monde réel. Il s’est même associé au Comité international de la Croix-Rouge pour sortir des DLC qui détaillent les effets secondaires de ces campagnes militaires. Un studio cousin, Bohemia Interactive Simulations, a pris son indépendance en 2013 et réalise aujourd’hui des simulations pour le Pentagone en utilisant une technologie similaire. Arma 3 offre également à ses joueurs une grande liberté créative – chacun peut personnaliser son expérience du jeu comme ils le souhaitent – qui fédère une communauté de modding très dynamique (PlayerUnknown’s Battlegrounds a commencé sa vie comme un mod d’Arma 3).
« Nous déplorons l’idée que le jeu puisse être confondu avec des images de combat réelles et utilisé à des fins de propagande » – Pavel Křižka, responsable des relations publiques de Bohemia Interactive
Cet attachement au réalisme et à la liberté donnée à l’utilisateur fait d’Arma 3 la plateforme idéale pour créer de fausses séquences de guerre. « Bien qu’il soit flatteur de considérer qu’Arma 3 simule les conflits modernes de manière aussi réaliste, nous déplorons l’idée que le jeu puisse être confondu avec des images de combat réelles et utilisé à des fins de propagande », déclare Pavel Křižka, responsable des relations publiques de Bohemia Interactive, dans un communiqué de presse publié le 28 novembre. « Cela s’est déjà produit par le passé (des clips d’Arma 3 ont parfois été interprétés comme des vidéos d’affrontements ayant eu lieu en Afghanistan, en Syrie, en Palestine, et même entre l’Inde et le Pakistan), mais aujourd’hui, ce contenu connaît un regain d’intérêt à cause du conflit en Ukraine. »
Parmi les utilisations erronées d’extraits du jeu, on trouve cette chaîne de télévision russe qui diffuse en 2013 des images d’Arma 3 en prétendant qu’elles proviennent de la guerre en Syrie. En 2011, la BBC utilise un clip d’Arma 2 dans le cadre d’un documentaire sur l’IRA.
Des images du jeu montrant un jet MiG-29 face à un système de contre-roquettes, d’artillerie et de mortier (C-RAM) ont été montées dans plusieurs clips viraux différents pour illustrer les guerres en Afghanistan et en Ukraine.
Une vidéo téléchargée le 7 mai 2022 sur YouTube montre un drone ukrainien Bayraktar tirant sur des navires de guerre russes en mer Noire. Une version modifiée du clip s’est retrouvée sur Facebook et a été présentée comme une véritable vidéo de guerre. Elle a été vue des dizaines de milliers de fois avant que le réseau social ne la supprime.
Un clip d’un autre Youtuber uploadé en juillet montre des missiles antichars NLAW détruisant deux chars russes. La vidéo est clairement identifiée comme une simulation, mais elle a été retirée de YouTube, coupée, publiée sur Twitter et présentée comme une séquence réelle de la guerre en Ukraine.
Ce ne sont que quelques exemples mais il en existe des dizaines d’autres. Le cycle de vie de ce genre d’image est presque toujours le même. Un fan d’Arma 3 publie un extrait du jeu sur YouTube, d’autres internautes reprennent la vidéo, la montent pour la rendre plus réaliste, puis la font passer pour des images réelles du conflit. La vidéo devient virale puis les fact-checkers interviennent et expliquent que l’extrait tire son origine d’un jeu vidéo. Bohemia Interactive conclut par une déclaration et tout le monde attend le prochain fake.
« Nous avons constaté que la meilleure façon de s’attaquer à ce problème est de coopérer activement avec les principaux médias et fact-checkers. »
« Nous avons essayé de lutter contre ce type de contenu en signalant ces vidéos aux plateformes (Facebook, YouTube, Twitter, Instagram, etc.), mais c’est pour l’instant inefficace », regrette Křižka dans le communiqué. « Pour chaque vidéo retirée, dix autres sont mises en ligne chaque jour. Nous avons constaté que la meilleure façon de s’attaquer à ce problème est de coopérer activement avec les principaux médias et vérificateurs de faits (tels que l’AFP, Reuters et d’autres), qui ont une meilleure portée et la capacité de lutter efficacement contre la diffusion de ces fake news. »
Le communiqué de Bohemia Interactive est accompagné d’une liste d’indications destinées à aider les internautes à savoir si les images qu’ils voient sont tirées d’un jeu vidéo. On peut y lire que les fakes ont tendance à avoir une faible résolution, que la caméra est instable et que les faits se déroulent généralement la nuit. Elles sont souvent dépourvues de son, ne présentent pas de personnes en mouvement et incluent parfois encore les éléments d’affichage du jeu vidéo. On y trouve généralement des effets de particules peu naturels ainsi que des véhicules, uniformes et autres équipements totalement inventés.
En conclusion, Bohemia Interactive loue le comportement de ses fans qui ont dénoncé les vidéos fake quand ils en voyaient. « Nous avons constaté que de nombreux joueurs d’Arma ont signalé des séquences identifiées comme réelles par erreur, ce qui aide les spectateurs à comprendre ce qu’ils voient », assure le studio. « Merci de votre aide ! »
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