Alors que je me balade dans les allées de la 19ème édition du Northern Rockies Machine Gun and Cannon Shoot (NRMGCS), je suis surpris par le bruit tonitruant d’un canon, qui expulse des projectiles de 90mm. Ces énormes engins résonnent dans la plaine et emplissaient l’air d’un nuage de poussière si épais et si dense qu’il est impossible de savoir si les tirs ont atteint leur cible. Une détonation a balayé la casquette d’un spectateur présent sur les lieux, comme dans un dessin animé.
Le NRMGCS a lieu tous les ans à Casper, dans le Wyoming. Pour ceux qui ne comprennent pas bien le principe d’un tel évènement, on peut dire qu’il consiste à ce que des gens se réunissent pour utiliser des armes de guerre – telles que des chars ou des fusils automatiques – le tout pour le plaisir, selon les dires de Stu « Doc » Rubens, l’un des organisateurs. Doc, médecin à la retraite, a fondé le NRMGCS en 1997, alors qu’il tentait de regrouper des propriétaires de mitrailleuses pour pratiquer le tir dans un ranch. « La première fois, c’était au printemps, le temps était horrible et il faisait froid, me raconte Doc. Il n’y avait que six personnes mais on a bien rigolé. »
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L’événement a pris de l’ampleur au fil des années. Ainsi, les propriétaires de ces armes ont fondé une organisation à but non lucratif – la Wyoming NFA Shooters – et ont organisé des rencontres dans des lieux plus grands. Des badauds ont commencé à louer des armes dans des stands de tir afin de pouvoir profiter de l’excitation engendrée par l’utilisation d’une arme à feu énorme.
« On ne dénombrait que dix stands de tir lors de la dixième édition, en 2006 », précise Gareth West, l’un des organisateurs, gérant d’une boutique de réparation d’armes à feu. « Il s’agissait majoritairement de lieux sans âme. Les gens venaient, tiraient puis repartaient. Aujourd’hui, nous comptons plus de 72 stands de tir et c’est devenu un événement familial. On croise des femmes enceintes, des bébés – j’ai même vu des personnes âgées en fauteuil roulant. On trouve de tout ici. »
Une petite fille cherche des munitions à l’aide d’un aimant.
Tous les Américains sont, de près ou de loin, concernés par les armes à feu – même si la nature de cette relation varie fortement. Une semaine après le NRMGCS, Omar Mateen ouvrait le feu avec une arme semi-automatique Sig Saeur MCX dans le Pulse à Orlando, entraînant la mort de 49 personnes. Trois semaines plus tard, Micah Xavier utilisait un AK-74 pour tuer cinq policiers à Dallas. Ces incidents ne sont que les derniers chapitres en date dans la longue histoire des tueries de masse aux États-Unis.
Malgré cela, Gareth s’irrite lorsque l’on compare son droit de porter une arme à celui d’Omar Mateen – qui, faut-il le rappeler, était surveillé par le FBI. « Une arme est seulement un outil, avance Gareth West. Tout dépend de ce que vous en faites. Le problème réside dans la volonté de son utilisateur. Quand quelqu’un se sert d’une arme pour tuer, il ne faut hésiter à dire ouvertement que c’est ce mec qui est en faute. »
Des spectateurs font une pause.
L’un des objectifs de Gareth est de démythifier et de normaliser les armes militaires aux yeux du grand public. Dès l’arrivée, le visiteur a l’impression de déambuler dans n’importe quelle fête foraine organisée dans le Wyoming. Les voitures sont garées en plein milieu du terrain, des mecs vendent des sandwichs et des t-shirts, etc. On se croirait dans un marché agricole, sauf que les étals sont couverts d’AK-47, d’Uzi, de PKM, et j’en passe. « Pour faire simple, nous avons toutes les armes auxquelles vous pourriez penser », affirme Gareth.
À près de 400 mètres de là, Russ Morgan trône fièrement sur son char M3 Stuart, cigare à la bouche comme le Général Patton. À ses côtés se tiennent deux hommes en habits confédérés. Ils insèrent de la poudre dans la réplique d’un canon d’époque. L’amour de l’Histoire du pays attire un grand nombre de participants – à l’image de Doc Rubens, qui affirme que c’est son intérêt pour l’histoire militaire qui l’a poussé à acheter sa première arme à feu. Sans surprise, de nombreux vétérans sont de la partie – à l’image du plus visible d’entre eux, Bill Black, un ancien de la Navy. Juché en haut d’un container, ce dernier fait part des événements à venir. La plupart des participants sont venus pour jouer à la guerre et prennent un malin plaisir à contempler le plus gros canon présent, qui a servi en 1967 lors de la Guerre des Six Jours – quand Israël a commencé à occuper la bande de Gaza et d’autres territoires palestiniens. Son propriétaire, Dean Kingersmith, m’a précisé qu’il ne s’en servait que deux fois dans l’année lors de réunions de passionnés. Le reste du temps, il l’utilise comme objet décoratif sur sa pelouse.
Bill Black, directeur du stand de tir au NRMGCS
« Peu de gens savent qu’ils peuvent posséder une arme de catégorie C », précise Gareth. La catégorie C (ou article 2) fait référence aux armes régulées par le National Firearms Act (NFA) – une loi datant 1934, modifiée dans les années 1960. Ces armes vont des pistolets automatiques aux carabines en passant par les tanks et les bazookas.
« Tant que vous êtes majeur et possédez un permis, vous pouvez acheter une arme de catégorie C », rappelle Gareth. Si votre casier est vierge, vous pouvez vous offrir un pistolet-mitrailleur MAC-10 pour 6 500 $ ou un Thompson pour 25 000 $.
L’arrivée de Barack Obama à la tête des États-Unis a fait exploser le nombre d’achats d’armes de catégorie C. De par leur positionnement stratégique au sein de l’appareil politique, les défenseurs du port d’armes ont fait échouer les nombreuses tentatives de régulation ayant germé après les récentes tueries.
Dès lors, comment parvenir à distinguer les passionnés des criminels ? De nombreux Américains responsables, à l’image de Gareth, ont fait du tir un hobby. Ils se regroupent dans des lieux reculés du pays et ne blessent personne avec leurs « fusils d’assaut » – Gareth tient d’ailleurs à préciser que ce terme a été inventé par les médias et n’a aucun poids dans le monde des armes à feu. De fait, les armes lourdes sont rarement utilisées dans des actes criminels – les fusillades et tueries de masse sont presque toujours perpétrées avec des armes semi-automatiques, moins chères et plus accessibles. Les fusils d’assaut sont donc surtout victimes d’une mauvaise réputation.
Malgré ces chiffres, certaines personnes défendent un plus grand contrôle des mitrailleuses en se demandant si, au sein d’une société pacifiée, il est vraiment utile de voir des types s’éclater avec des armes lourdes. La violence armée gangrène les États-Unis – on a recensé plus de 300 000 décès entre 2005 et 2015 à cause des armes à feu. Toutefois, la plupart de ces 300 000 personnes sont mortes à cause d’armes de poing et non d’un AR-15. De plus, quand on se rend compte que les Noirs représentent la moitié des victimes des armes en Amérique, on saisit que ces quelques armes lourdes, terrifiantes en apparence, ne constituent pas le problème à résoudre. En lieu et place de quelques déclarations instrumentalisées, il faudrait surtout s’attaquer aux réels enjeux : le racisme, la pauvreté, le chômage, l’éducation inégalitaire, l’incarcération de masse.
Après, les armes de guerre demeurent extrêmement dangereuses – même pour les tireurs expérimentés que j’ai croisés à Casper. Les participants ont tous en mémoire le tragique incident survenu en 2008, lorsqu’un enfant s’est tué en utilisant le mini Uzi de son père.
Face à ce danger, les organisateurs ont interdit la location des armes jugées trop instables et ont appelé à davantage de vigilance. Si beaucoup d’enfants se prêtent au tir, ils doivent être encadrés et surveillés de près par des adultes compétents.
Des participants admirent des tirs de mortier.
En tant que mec issu d’une famille de chasseurs du Wyoming, je ne suis pas surpris de voir des enfants tenir des fusils. Dans mon État natal, les gens n’ont pas honte de leurs armes – à dire vrai, ils en sont plutôt fiers. Le Wyoming a le plus haut taux de port d’armes du pays alors que son taux de criminalité est l’un des plus bas. Toutefois, son taux de suicide est très élevé et la plupart des victimes se tuent avec des armes.
La « minute folle »
La nuit tombée, des familles entières se pressent dans les allées. Les enfants sont enjoués, rieurs. Les adolescents se réunissent ou se baladent main dans la main. Le terrain a un goût de poussière et l’odeur de la poudre. Les gens hurlent à cause de leur cache-oreilles.
Le ciel s’assombrit et Bill Jack, toujours juché sur son container, annonce le lancement de la « minute folle ». Les tireurs ouvrent le feu et des milliers de munitions traçantes surgissent. Le ciel s’illumine de traînées qui virevoltent, ricochent à flanc de colline et se perdent dans les airs. Elles flottent délicatement avant de disparaître, telles des lucioles.
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