Emma Keppens (24 ans) et Adriënne van der Werf (29 ans) ont tiré les cartes de tarot ensemble pour la première fois en mars 2020. Adriënne, curatrice néerlandaise, s’est installée à Gand il y a 5 ans pour aller en école d’art ; Emma aussi y est restée après ses études de graphisme à Sint-Lukas. L’histoire remonte à quand les deux femmes vivaient ensemble : ça a commencé par une lecture de tarot autour d’un verre de vin, puis ça s’est transformé en un gros projet commun. Trois confinements plus tard, les notes pleine d’idées tachées de pinard sont enfin prêtes à être dévoilées au grand jour sous la forme de Tarot editions, un jeu de cartes de tarot et une exposition au 019 de Gand – qui présente le travail de 78 artistes de disciplines très diverses.
Tou·tes les artistes participant·es ont été choisi·es par Emma et Adriënne. C’est donc pas un hasard si on y trouve quelques-unes de leurs connaissances de Gand et des environs, bien qu’elles aient également fait appel à des artistes fraîchement diplômé·es de tout le pays. Architectes, peintres, photographes, sculpteur·ices, performeur·ses, artistes d’animation 3D, artistes du textile… Les artistes sont si différent·es qu’on ne peut les comparer. Cette diversité est voulue, car « à travers le format assez rigide de cette carte, on obtient une harmonie ».
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On a demandé au duo ce qu’il pense du passé, du présent et de l’avenir du tarot, et pourquoi tout le monde devrait se faire tirer les cartes au moins une fois dans sa vie.
VICE : Salut Emma et Adriënne, d’où vient votre fascination pour les cartes de tarot ?
Emma : En mars 2020, lors du premier confinement, on vivait ensemble avec Adriënne. C’est elle qui m’a fait découvrir le jeu de tarot, et ça m’a fascinée. On l’a testé ensemble pour la première fois pendant une soirée arrosée. J’ai même des notes qui traînent, pleines de taches de vin, avec l’idée de départ : lancer Tarot éditions.
Adriënne : J’avais 12 ans quand j’ai commandé mon premier jeu de cartes. Ça me fascinait, même si je n’y comprenais pas grand-chose, mais heureusement, y’avais un livret explicatif. J’ai emporté mes cartes lors d’un séjour en Grèce il y a quelque temps parce que j’étais fascinée par l’imagerie des différents jeux et par le côté historique des images des cartes. Et pendant ce séjour, j’ai remarqué qu’en jouant au tarot, on pouvait apprendre à connaître quelqu’un très vite. Les gens sont plus enclins à parler de sujets délicats avec ça. Cette démarche n’a pas vraiment pour but de répondre à une question spécifique, mais plutôt d’engager la conversation et de pouvoir envisager la situation sous un angle différent. Le médium, c’est l’échange qui se produit quand on tire les cartes, plus que la personne qui les tire.
« Le médium, c’est l’échange qui se produit quand on tire les cartes, plus que la personne qui les tire. »
Vous voyez plus ce projet comme un objet d’exposition ou utilitaire ?
Adriënne : C’est vraiment tout ce qui va ensemble : ces œuvres originales qu’on a créées sur des cartes et qu’on expose, mais aussi l’édition et l’enveloppe avec son timbre customisé, puis le livret dans lequel c’est présenté. Le but ultime, c’était l’expo ; mais la vente de l’édition est aussi là pour que cet échange ait lieu dans le monde réel. L’art, c’est très beau quand on le voit dans un espace et qu’il traite de quelque chose de social, mais s’il ne fait pas quelque chose d’efficace dans cet espace et n’entre pas dans le monde réel, ce n’est qu’une couche qui s’y superpose.
Du coup, l’édition est une sorte d’art abordable ? Un catalogue qui va vivre sa vie ?
Adriënne : Oui. Les gens disent que c’est très bon marché, mais on voulait justement que ce soit un objet abordable ; et pas en demander 100 euros. Beaucoup de personnes dont des étudiant·es n’auraient pas pu se permettre de l’acheter. C’est une belle façon d’avoir une œuvre d’art chez toi, même si c’est une reproduction.
Vous appelez ça un « jeu » et vous dites aussi que « tout le monde peut lire les cartes de tarot ». Vous n’avez pas peur que les gens prennent ça au sérieux et puissent mal l’interpréter ?
Emma : Je me souviens de la première fois qu’Adriënne l’a fait chez nous. J’ai été très impressionnée par les conversations qu’on avait eues. Plus tard, mes cousines sont venues me rendre visite et j’ai testé avec eux. J’avais observé comment Adriënne s’y prenait, et comment elle prenait ses cartes et son guide. On peut disposer nos cartes de différentes manières, mais la plus courante et la plus simple, celle que j’utilisais à l’époque, se déroule comme ça : la personne qui pose les questions choisit trois cartes qui représentent le passé, le présent et l’avenir. Je ne connaissais pas la signification des cartes spécifiques, mais j’avais la signification de chaque carte dans le manuel. Sur base de la question, on peut ensuite adapter et relier ça à des choses qui se sont produites dans le passé. La carte du présent a aussi une signification spécifique que j’ai pu découvrir avec le manuel. On a eu des conversations très approfondies sur le sujet et elles nous ont amenées à tirer des conclusions qui ont influencé certains choix assez importants.
« Ça fait ressentir quelque chose aux gens et ça permet d’engager une conversation. Je le vois plus comme une thérapie. »
Ok, donc ça ne tombe pas du ciel. Il y a des règles.
Adriënne : Il doit y avoir une différence dans la façon dont on pose les cartes de tarot. Je trouve ça très important que les personnes qui croient au médium et aux cartes conservent leurs croyances. J’ai pas envie de dire « ça c’est bien, ça c’est mal ». C’est comme ça qu’on l’a interprété et on trouve que ça fonctionne. Ça fait ressentir quelque chose aux gens et ça permet d’engager une conversation. Je le vois plus comme une thérapie. Ce qu’Emma a pris de moi, je l’ai pris de mon psychanalyste, par exemple. Il faut aussi rompre un petit peu avec la tradition. L’artiste donne une interprétation de la carte et ça lui donne un nouveau sens. Après, il y a aussi un sens spécifique à la question qui est posée, à la personne qui pose la question, etc. Mais le cœur de la carte reste le même.
D’où vient le mystère des cartes de tarot ?
Adriënne : C’est lié à l’histoire du tarot, de la numérologie, de la Kabbale… Il y a plein de couches de croyances qui se cachent derrière ces cartes. Le mysticisme vient aussi d’une tradition du XIXe siècle qui reliait les cartes de tarot à un livre égyptien : le Livre de Thot. Ce livre n’avait pas le droit d’être expédié en dehors de l’Égypte. Il a été transformé en un jeu de cartes qui aurait été apporté en Europe par le peuple rom. Du coup, tout le mystère du tarot est une excroissance de l’égyptomanie depuis l’époque où les colons ont découvert les pyramides et sont entrés dans les tombeaux. Les cartes de tarot sont souvent utilisées par les personnes issues de la communauté rom. C’était l’un des seuls moyens pour se faire de l’argent en tant que peuple nomade. Ça fait partie de leur culture, et c’est important de le reconnaître.
« Le tarot était l’un des seuls moyens que les Roms avaient pour se faire de l’argent en tant que peuple nomade. Ça fait partie de leur culture, et c’est important de le reconnaître. »
On a toujours ce courant mystique, mais on remarque aussi qu’il existe des manières de plus en plus libres d’interpréter le tarot. De nombreux·ses artistes ont collaboré et grâce à ça, c’est devenu une tradition dans le domaine des arts. Salvador Dalí a peint un jeu de cartes, et beaucoup de tatoueur·ses ont aussi dessiné des jeux. Robbert&Frank/Frank&Robbert, qui participent aussi à ce projet, ont réalisé un jeu de cartes qu’ils n’ont jamais publié. Beaucoup d’artistes qui participent sont elleux-mêmes des lecteur·ices de tarot, et on le savait pas au début.
Vous pouvez acheter l’édition du Tarot pendant l’exposition au 019 du 3 au 25 avril, les samedis et dimanches de 10h00 à 18h00. Vous pourrez également voir les cartes originales dans une scénographie réalisée en collaboration avec Bert Villa.
Les artistes participant·es sont Jacopo Pagin, Elisa Pinto, Lisa Ijeoma, Loulou João, Maya Strobbe, Toon Boeckmans, Louise Delanghe, Dieter Ravyts, Indre Svirplyte, Jonas Dehnen, Koi Persyn, Robbert&Frank/Frank&Robbert, Lisa Ottenburgh, Quinten Cartrysse, Dries Segers, Jules Labath, Olivier Goethals, Joëlle Dubois, Natasja Mabesoone, Katya Ev, Adriaan Marin, Flor Maesen & Sadrie Alves, Romane Claus, Gaia Lufrano, Jan et Randoald, Renée Pevernagie, Nokukhanya Langa, Steven Deprez, Sofie Vandevoorde, Manor Grunewald, Maxim Ryckaerts, Justine Bougerol, voisins, Lieselotte Vloeberghs, Mariana Rebola, Raphaël Lecoquierre, Chloé Arrouy, Yoel Pytowski, Alexander Deprez, Dieter Durinck, Pommelien Koolen, Dominiek Colpaert, Atelier Brenda, Flexboj & L. A., Evy Bosman, Joselito Verschaeve, William Ludwig Lutgens, Ines Claus, Lysandre Begijn, Klaas Op De Beéck, Lindert Steegen, Lien Buysens, Sam Timmerman, Cecile Broekaert, Paul Ferens, Charlotte Symoens, Catharina Dhaen, Sybren Vanoverberghe, Tine Deboelpaep, Celina Vleugels, Rémie Vanderhaegen, Ellen Meers, Titus Simoens, Pieter Chanterie, Jan Laroy, Jade Kerremans, Lore Smolders, Jore Dierckx, Eva Vermeiren, Nello Margodt, Nina-Joy Thielemans, Jan Vandeplancke, Les Monseigneurs, Emma Robertsson, Thomas Boussu, Marlies De Clerck, Thomas Vandenberghe et Apparatus 22.
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