Sur Terre, il y a seulement trois remèdes contre la gueule de bois qui fonctionnent vraiment. Le premier exige de boire une canette de Coca sous la douche, le deuxième de fumer trois clopes et de boire cinq cafés devant Cauchemar en Cuisine, et le troisième de rester assis, entièrement nu, sur la chaise la plus rigide que vous avez et de lire Au-dessous du volcan, le roman qui sent l’alcool de Malcolm Lowry, jusqu’à ce que l’odeur nauséabonde de la tise qui s’échappe du livre ne vous plonge dans un sommeil profond et déprimant et ne vous force effectivement à dormir pendant cette gueule de bois. Voilà.
Vous n’avez pas besoin de manger un petit déjeuner complet, même si l’idée des tartines bien beurrées est très tentante. Ça ne sert à rien de se lancer dans un mélange du genre vinaigre de cidre bio avec du miel pur, de l’eau et une pincée de sel rose de l’Himalaya. Et vous ne voudrez absolument pas vous retrouver assis dans le même café que celui dont vous êtes sorti en titubant quelques heures plus tôt, au moment où, vêtu de votre pull de promo, vous essayiez vaillamment de siffler un Bloody Mary parsemé de Tabasco. Ce moment où l’estomac fait mal et où vous essayez tant bien que mal de suivre la conversation qui porte sur la hausse des prix du logement dans le 11ème.
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Vous pouvez l’écrire sur un papier que vous gardez précieusement dans votre portefeuille, le tatouer à l’intérieur de vos paupières, le placer devant votre appartement en lettres hollywoodiennes – faites tout ce que vous pouvez pour vous assurer qu’au prochain réveil où vous aurez l’impression que votre tête est pleine d’enduit, telle est la doctrine à suivre.
« La gueule de bois est indéniablement un truc d’adulte, une manifestation de propriétés destructrices du vieillissement, une preuve (s’il y a besoin d’une preuve) qu’on doit savourer, chérir et s’accrocher fermement à la jeunesse. »
Évidemment, les gueules de bois font autant partie de la culture de la nuit que les tacos à 10 balles et les gens qui prétendent que les soirées underground sont un moyen de changer le monde. Bien que la redescente – le jumeau maléfique de la gueule de bois – soit plus étroitement liée à une vraie grosse soirée, c’est-à-dire celle où l’on sacrifie l’argent d’un mois de bouffe pour un sachet de poudre blanche avec des têtes de morts qui a pu autrefois ressembler à de la cocaïne, la modeste gueule de bois frappe l’homme depuis que notre vieil ami Dionysos a décidé de nous noyer dans la liche.
Plus jeunes, les gueules de bois sont une île lointaine au sein d’un océan que nous n’avons pas encore contemplé et dans lequel nous n’avons encore moins commencé à baigner. La gueule de bois est indéniablement un truc d’adulte, une manifestation de propriétés destructrices du vieillissement, une preuve (s’il y a besoin d’une preuve) qu’on doit savourer, chérir et s’accrocher fermement à la jeunesse – parce que ce qui vient ensuite, c’est l’enfer. Être adulte c’est être gros, chauve, mécontent, pâle, et avoir la gueule de bois. Je ne ressemblerai jamais à ça, se dit-on en tant que tendre adolescent qui chasse facilement les soucis gastriques. Je ne serai jamais vieux. Je n’aurai jamais la gueule de bois.
Pourtant vous le serez et vous l’aurez. Toutes ces choses vont vous arriver à mesure que vous vous engluez lentement dans les sables mouvants temporels : un plus grand tour de taille, moins de cheveux, et la disparition dans les cieux de cette capacité surhumaine à picoler comme un Gérard Depardieu sans foie, aux côtés de vos espoirs, de vos rêves et de vos attentes. Ça arrive à 23 ou 24 ans et ça vous percute comme un TGV. Il n’y a pas moyen de fuir, de niquer le système, de réduire la peine qui oblige à bien se comporter à vie. Nous sommes tous condamnés à l’extension douloureuse d’une vie marquée par les gueules de bois.
On prête à Benjamin Franklin, un des pères fondateurs des États-Unis et amateur de cerf-volant au demeurant, cette affirmation : « La bière est la preuve que Dieu nous aime et veut que l’on soit heureux ». Ne le prenez pas mal M.Franklin, mais honnêtement, c’est une connerie. La bière est la preuve que Dieu, s’il existe – et sincèrement je doute que ce site internet soit le meilleur endroit pour se lancer dans une discussion de la plausibilité des êtres divins – nous déteste, ou perçoit du moins l’humanité avec un dédain qui empiète sur le sadisme. Un Dieu juste, bienfaisant, attentionné et aimant ne nous aurait pas donné de la bière pour que cette bière nous donne des gueules de bois et qu’en définitive, les gueules de bois servent uniquement à nous rappeler que nous fonçons vers une vaste, insensible et permanente tombe.
Mais il l’a fait, et désormais nous avons les gueules de bois et nous devons accepter le fait que la conséquence logique de l’ouverture de six bouteilles d’un lager espagnol sans gluten dans une boîte de nuit le samedi soir est un dimanche où chacune de nos fibres s’époumone pour obtenir un peu de relâchement. Une bonne nuit est tristement synonyme de mauvaise après-midi. On fixera les murs avec des yeux de chien battu, on pleurera sous la douche, on sentira toutes ses entrailles se réorganiser et on se traînera au tabac du coin pour acheter un Mars et un paquet de blondes.
Le truc avec les gueules de bois, et avec l’âge adulte en général, c’est que même dans les cas les plus terribles, les plus pourris et les plus dévorants… ça va. C’est juste un mal de tête, un estomac à l’envers, des tremblements constants, de la nausée, de la panique, des regrets, de l’angoisse, des remords, des peurs et un petit (tout petit) désir de mourir instantanément, mais à part ça, les gueules de bois, ça va !
Il est très facile d’imaginer qu’être adulte est une galère sans fin entre les formulaires d’attestation d’assurance et devoir faire semblant d’apprécier soudainement le goût et la polyvalence des utilisations du chou kale, et de penser que ces choses sont difficiles, douloureuses et moins marrantes que de prendre des gorgées bruyantes de schnaps et porter des costumes rigolos… TG. Ce sont des conneries.
Du moment qu’on ne met jamais, jamais, jamais ça derrière les termes « être un adulte », être vraiment un adulte est bien plus préférable que d’être dans cet âge post-adolescent mortifère où on ne sait jamais qui on est vraiment et ce qu’on veut. Une énorme partie de ce qui consiste à permettre de profiter que l’âge adulte se répande dans votre vie réside dans l’idée d’accepter l’importance de la responsabilité.
En dehors des véritables et importantes responsabilités auxquelles vous allez probablement être confrontés au cours de votre marche difficile jusqu’à la mort, celle qu’il est le plus important d’assumer pour vous, jeune personne qui aime les discothèques, est la gueule de bois. Il faut lui tenir tête avec fierté, l’accueillir convenablement, la regarder dans les yeux, lui serrer la main et l’inviter à entrer. Il faut lui servir des toasts, des tortillas, et s’allonger avec elle sur un canapé qui pue pour devenir deux être humains grisonnants et conscients de leurs échecs.
Les astuces données au début de cet article seront vos meilleurs alliés. Le Coca vous mettra sur les nerfs, Philippe Etchebest va tellement vous ennuyer que vous n’aurez pas d’autre choix que de sortir dehors prendre l’air, et Malcolm Lowry vous donnera envie de ne plus jamais boire.
Enfin, jusqu’à 16h, moment où votre coloc ouvrira une Heineken « pour décompresser un peu ».
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