Atlantide, extraterrestres et distorsions temporelles : le mystère du triangle des Bermudes perdure

L’article original a été publié sur Motherboard.

Le triangle des Bermudes est l’une des zones les plus redoutées du monde, à cause d’étranges rumeurs de navires et d’avions y étant entrés mais n’en étant jamais sortis. Ce qui leur est arrivé est souvent attribué à des phénomènes surnaturels qui se produiraient dans le « triangle du diable » : une zone océanique triangulaire d’environ 500 000 kilomètres carrés au-delà d’une ligne imaginaire qui s’étend de Miami à Porto Rico en traversant les Bermudes.

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Les scientifiques ont réfuté la notion que ces eaux sont particulièrement meurtrières, expliquant à répétition qu’il n’est pas étrange que des navires disparaissent à l’occasion dans l’une des régions où il y a à la fois le plus de circulation et de tempêtes, et où il y a quantité d’écueils et de récifs. Selon la garde côtière et la marine américaines, le triangle ne prend pas un nombre inhabituel de vies par rapport à d’autres zones instables très fréquentées.

Le vrai mystère du triangle des Bermudes, c’est surtout la persistance des théories à son sujet. Des gens associent à cette zone océanique les pires cauchemars ou les phénomènes les plus fous, impliquant des extraterrestres, des portes du temps, la civilisation perdue d’Atlantide et d’autres activités paranormales.

Même en 2018, cette tradition se poursuit. Le réalisateur Sam Raimi travaille actuellement sur un film portant sur le triangle des Bermudes avec « des requins, des Vikings et des nazis », selon ScreenRant.

Mais soyons justes. Les légendes urbaines farfelues sont basées sur la réalité, du moins sur de vraies disparitions de navires dans le triangle des Bermudes. En passant en revue les accidents mortels dans cette zone, on a tendance à devenir perplexe. Navires et équipages ont disparu sans laisser de trace dans la zone au cours des années 1800 et d’autres ont été retrouvés abandonnés mystérieusement, comme le brick français Rosalie, en 1840. Le seul « membre d’équipage » resté à bord était un canari. On n’en a pas tiré grand-chose.

La disparition de l’USS Cyclops en 1918, avec 306 membres d’équipage et passagers à son bord, est la tragédie qui a fait le plus grand nombre de morts dans l’histoire navale des États-Unis sans rapport avec le combat. Naturellement, elle a fait croître les craintes au sujet de cette zone. Mais c’est en particulier après une série de tragédies survenues dans les années 40 que les histoires de vaisseaux fantômes ont commencé à véritablement se concentrer dans le triangle des Bermudes.

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USS Cyclops, 1911. Photo : United States Naval History et Heritage Command

En plus de la disparition de deux navires après le Cyclops, l’USS Nereus et l’USS Proteus, les années 1940 ont aussi été marquées par des disparitions d’avions dans la zone. L’histoire de la disparition du vol 19 en 1945 a en particulier circulé parce que l’avion de sauvetage amphibie envoyé à sa recherche a également disparu sans laisser de trace.

En 1950, le journaliste de Miami Edward Van Winkle Jones a décrit quelques disparitions survenues dans cette zone dans un article de l’Associated Press. Un autre journaliste, George X Sand, a poursuivi dans la même veine en 1952, avec un éditorial intitulé Sea Mystery At Our Back Door (« Le mystère océanique à notre porte ») paru dans le magazine Fate. Il y établissait les dimensions du triangle. La même année, le journaliste Allan Eckert a rapporté plusieurs disparitions d’avions, dont le vol 19, pour American Legion. Il a ajouté la dimension extraterrestre qui deviendrait centrale depuis que circule une rumeur voulant que les avions manquants « se soient envolés vers Mars ».

Mais le vrai père du mythe moderne autour de cette région océanique est l’auteur Vincent Gaddis, qui a inventé et popularisé le terme « triangle des Bermudes» dans un article intitulé The Deadly Bermuda Triangle (« le triangle mortel des Bermudes ») en 1964. Il avait le don de colporter de la pseudoscience, et, pour fonder durablement le mythe, il a aussi gonflé des légendes urbaines existantes sur la combustion spontanée.

Le feu avait été mis aux poudres du mythe. Malgré les grands efforts des scientifiques et des sceptiques pour l’éteindre au cours des cinq dernières décennies, il continue de brûler aujourd’hui. En fait, vu la réémergence de la pseudoscience sur internet, on pourrait s’attendre à ce que les légendes urbaines au sujet du triangle des Bermudes surgissent encore davantage en provenance des recoins profonds du web. D’ailleurs, il y a quelques jours, des rumeurs circulaient au sujet d’un vaisseau spatial extraterrestre découvert sur le fond marin du triangle des Bermudes, par exemple.

Mais qu’importe le nombre de personnes qui attribuent les disparitions dans cette zone à n’importe quoi, des nazis de l’espace à Cthulhu, le triangle des Bermudes n’est pas un croque-mitaine géographique. C’est par contre réellement une zone effrayante, mais pour des raisons normales : sa topographie est périlleuse, les tempêtes y sont puissantes, et il y circule un énorme flot de navires desservant les ports les plus achalandés des États-Unis.

C’est peut-être ce qui produit un autre phénomène dangereux, les vagues scélérates, selon des scientifiques de l’Université de Southampton. Ces vagues extrêmement puissantes peuvent être générées par des tempêtes et une collision de forte houe – un phénomène relativement courant dans le triangle des Bermudes. La première vague scélérate détectée, appelée vague Draupner, a balayé la mer du Nord au large de la Norvège le 1er janvier 1995 et atteignait une hauteur d’environ 25 mètres. Selon le New York Times, ces murs d’eau pourraient dépasser 30 mètres.

Dans le documentaire de la BBC et Channel 5 intitulé The Bermuda Triangle Enigma (« l’énigme du triangle des Bermudes »), diffusé le 31 juillet, l’équipe de Southampton a présenté des résultats de recherches donnant à penser que ces vagues pourraient être à l’origine des pires naufrages de l’histoire dans le triangle des Bermudes. Les scientifiques ont simulé l’impact de vagues scélérates sur des navires comme l’USS Cyclops, et des expériences en laboratoires ont montré que les gros navires sont particulièrement susceptibles d’être coupés en deux en raison de leur propre poids lorsque bombardés par ces vagues. Il est donc possible que l’USS Cyclops, un navire de 20 000 tonnes, ait été coulé par ce phénomène extrême.

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Les vagues scélérates sont une des nombreuses explications scientifiques des disparitions de vaisseaux et des vies perdues dans le triangle des Bermudes : les bulles de méthane, des dysfonctionnements de boussole et le turbulent Gulf Stream sont également considérés comme des causes possibles.

Les légendes produites par le fécond imaginaire collectif au sujet de cette zone témoignent davantage du besoin humain de trouver des explications même surnaturelles aux tragédies que d’enlèvements extraterrestres ou de civilisations englouties.