Depuis l’attentat qui a coûté la vie à trois soldats français dans le nord du Mali, le 12 avril dernier, la situation est particulièrement tendue dans la région : trois humanitaires de la Croix-Rouge ont été enlevés par un groupe djihadiste avant d’être libérés ce vendredi, et une manifestation contre les forces internationales responsables du maintien de la paix s’est soldée ce lundi par deux morts dans les rangs des manifestants.
Derrière ces deux actions aux profils très différents, on retrouve une requête semblable : la libération d’individus arrêtés par les forces françaises présentes au Mali, dans le cadre de la mission Barkhane, qui lutte contre les groupes djihadistes dans cinq pays du Sahel, dont le Mali.
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D’un côté, le groupe djihadiste qui a revendiqué ce jeudi l’enlèvement des humanitaires, réclame la libération d’un homme arrêté par les forces de Barkhane. De l’autre, les habitants de Kidal (une ville du nord du Mali) manifestent depuis ce lundi contre des arrestations jugées » arbitraires et abusives » par les militaires de Barkhane.
La menace Ansar Dine
Ce qui a sans doute motivé la multiplication de ces arrestations décriées par la population, est l’enquête portant sur l’attentat qui a fait trois victimes parmi les militaires français, il y a une dizaine de jours.
D’après l’armée française, le véhicule blindé placé en tête d’un convoi logistique de Barkhane reliant Kidal à Tessalit, le 12 avril dernier, a roulé sur une mine tuant sur le coup un soldat et blessant deux autres, qui décéderont des suites de leurs blessures. Trois jours plus tard, Ansar Dine revendique l’attentat contre le convoi. C’est ce même groupe qui a revendiqué l’enlèvement des humanitaires désormais libérés.
Suite à cet épisode meurtrier, les forces françaises ont donc procédé à plusieurs interpellations à Kidal et Tessalit, ce qui est relativement fréquent selon le porte-parole de l’état-major des armées, le colonel Gilles Jaron.
Ce serait donc pour protester contre une arrestation de ce type qu’Ansar Dine aurait alors procédé à l’enlèvement des trois humanitaires samedi dernier, alors que la petite équipe de la Croix-Rouge rejoignait son camp de base à Kidal.
Dans une interview accordée ce jeudi à l’AFP, un porte-parole d’Ansar Dine, Nourredine Ag Mohamed, affirmait que son groupe souhaitait obtenir la libération du guide des humanitaires, Miyatène Ag Mayaris, arrêté dernièrement par les soldats de Barkhane. En échange de sa liberté, Ansar Dine promettait de libérer les otages.
Après une petite semaine de captivité, les humanitaires ont été libérés ce vendredi matin, a annoncé sur Twitter, Dominik Stillhart, le directeur des opérations de la Croix-Rouge. Ils sont de retour à Kidal. Nous ne savons pas pour le moment si le guide des humanitaires a été libéré comme le réclamait Ansar Dine.
Manifestation anti-Barkhane
De leur côté, des habitants de Kidal manifestent depuis ce lundi pour réclamer la libération de « personnes arbitrairement détenues par ou à travers l’opération Barkhane ».
La manifestation a commencé ce lundi matin, quand plusieurs dizaines de manifestants ont commencé à se diriger vers l’aéroport de Kidal, gardé par la MINUSMA (la mission de maintien de la paix au Mali des Nations unies).
Si les manifestants s’en sont pris à la force onusienne, ils visaient bien les forces françaises. « Pour eux, Barkhane et la MINUSMA c’est la même chose, » nous indique un journaliste malien qui était présent à Kidal ce lundi et qui s’exprime sous couvert d’anonymat.
Alors que la manifestation de lundi débutait de manière pacifique, des jeunes se sont joints au cortège et ont commencé à tirer sur l’enclos protégeant l’aéroport. La clôture finit par tomber et les manifestants pénètrent dans l’enceinte de l’aéroport. Rapidement ils retrouvent à proximité de la piste d’atterrissage.
« Ils commencent à jeter des cailloux, brûler des conteneurs et des générateurs, » nous explique le journaliste malien. Dans une certaine confusion, les Casques bleus auraient lancé du gaz lacrymogène pour disperser les manifestants — sans grand succès puisqu’ils avaient le vent de face.
« Puis ils ont commencé à tirer, » explique le journaliste. « Un jeune manifestant a été touché en pleine tête et un autre aux poumons. Ils sont tous les deux morts. »
Suite à cet incident, la MINUSMA a publié un communiqué dans lequel l’institution confirme que « deux participants ont perdu la vie, et quatre autres ont été blessés », mais précise que les tirs sont « d’origine inconnue. »
« Une commission d’enquête vient d’être mise en place, » continue le communiqué. « Ses conclusions devraient permettre d’identifier la provenance des tirs, la MINUSMA entend prendre sa part de responsabilité le cas échéant. »
Une vidéo présentée comme tournée ce lundi à Kidal lors de la manifestation circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. On y entend des coups de feu dans un paysage quasi désertique. Puis le cadreur se met à courir pour arriver devant deux jeunes hommes mortellement touchés par des tirs, avec en arrière plan des blindés blancs de l’ONU.
Une grogne qui dure
Depuis ce mardi, la mobilisation continue à l’aéroport de Kidal, dont la piste est occupée par quelques tentes et plusieurs manifestants — principalement des femmes et des jeunes. Un militant a publié des images de ce camp improvisé sur twitter.
Ce jeudi, les manifestants ont formulé leurs doléances dans un communiqué.
Ils souhaitent pêle-mêle la « libération immédiate et sans conditions des personnes arbitrairement détenues », mais aussi que la MINUSMA reconnaisse sa « responsabilité dans la mort par balles des deux jeunes manifestants » à l’aéroport de Kidal.
D’après le journaliste malien présent à Kidal, la population est en colère depuis un certain temps contre les forces françaises. Certains jeunes de la ville lui ont confié que des soldats de Barkhane « auraient humilié des Touaregs, en les fouillant devant leurs femmes et leur demandant de retirer leurs turbans. » Des accusations que ni le journaliste, ni VICE News, n’ont pu vérifier.
« Le ressentiment anti-Barkhane existe depuis longtemps au nord comme au sud du Mali, » nous explique ce jeudi Pierre Boilley, le directeur de l’Institut des mondes africains (IMAF). « Mais, la population reste tout de même assez partagée. Beaucoup de gens ont le sentiment que les Français aident à l’amélioration de la situation. »
Si les manifestants affirment que les arrestations de ces derniers jours sont « arbitraires », Boilley note que « Barkhane a arrêté plusieurs personnes qui pourraient être des salafistes… Des gens de Kidal, dont une femme, qui auraient joué un rôle dans la mobilisation de ces derniers jours, pourraient être des membres d’une cellule dormante d’Ansar Dine à Kidal. Ces arrestations ne seraient donc pas nécessairement arbitraires, » pondère ce spécialiste du Mali qui se base sur ses propres sources dans la région.
Joint par VICE News, l’état-major des armées français a fait savoir qu’il ne livrerait aucun commentaire sur les accusations formulées contre Barkhane par les manifestants de Kidal. La MINUSMA est la seule habilitée à s’exprimer sur ces manifestations, nous a-t-on précisé.
Pour Pierre Boilley, il n’est pas impossible qu’Ansar Dine soit derrière les manifestations de cette semaine. « C’est une technique classique de tout groupe armé que de retourner la population contre les forces étrangères présentes dans le pays, » indique Boilley. « Iyad Ag Ghaly [Ndlr, le chef d’Ansar Dine] a tout intérêt que la population locale s’énerve contre la France. »
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Photo : Des troupes de Barkhane en opération dans la région de Tessalit (État major des armées)
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