De nombreuses superstars du rap international se produisent volontiers aux Émirats. La scène locale, quant à elle, reste marginale et réservée aux connaisseurs du genre faute de visibilité. Résultat, il est parfois difficile pour les rappeurs de remplir les salles. Impossible aussi pour eux de se produire dans les rues du pays pour une performance spontanée et improvisée.
Pourtant, le rap est bel et bien présent dans la culture de la jeunesse émirienne. Hass, aka Big Hass, est un de ceux qui essaye de la faire rayonner. Ce saoudien installé à Dubaï est l‘un des grands connaisseurs du rap arabe. Il anime l’émission “Pourquoi le Hip-Hop ?” sur les ondes de la radio saoudienne FIRST FM. Son blog RE-VOLT recense d‘ailleurs une vingtaine de rappeurs basés aux Émirats, majoritairement à Dubaï.
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Alors que le rap du Maghreb ou du Machrek est davantage politique, celui du Golfe « a commencé du mauvais pied » juge Big Hass. Selon lui, « le rap local s‘inspirait bien trop du gangsta rap américain au début des années 90. Mais cela a changé » nuance-t-il.
Mustafa Ismail, aka Freek, est sans doute le plus célèbre des rappeurs de la scène émirienne. Son art lui vaut même de s‘exporter au Royaume-Uni, notamment grâce à son titre “Salah” qui rend hommage au célèbre attaquant égyptien de Liverpool. Originaire de Somalie et âgé de 27 ans, il rap en arabe. « J’avais l’impression que nous avions besoin d’un son aux Émirats arabes unis d‘authentique. Je ne savais que ça allait prendre autant de temps à construire, mais finalement ça a marché. Je voulais entendre de l’argot des Émirats arabes unis et ressentir quelque chose de cru ».
Les rappeurs de la scène émirienne sont bien souvent d‘origines étrangères. Ils amènent avec eux dans leur bagage des influences très diverses. « Nos origines peuvent provenir de pays différents, mais nous sommes de Dubaï… pour la plupart d’entre nous, nous sommes nés et avons grandi ici » argumente les trois rappeurs du groupe The Recipe. « Cette génération a réussi a développé un son et un style uniques à la ville » poursuit le trio de trentenaires qui avec vingt ans d‘expérience est l‘un des plus anciens ambassadeurs du rap dans le pays.
Ce cosmopolitisme, N1yah le ressent aussi. « L’avantage de vivre à Dubaï, c‘est que je peux interagir avec différents types de personnes du monde entier et en tant qu’artiste, cela m’aide à être diversifiée » analyse la jeune femme d‘origine libanaise que l‘on surnomme aussi la “Nicky Minaj du Moyen-Orient”. Près de 80% de la population est expatriée aux Émirats.
Elle est l‘une des rares rappeuses de la région. « Cela s’accompagne à la fois d’une grande responsabilité et d’un privilège » estime la jeune femme âgée de 27 ans. Elle espère ainsi “préparer le terrain” pour que plus de femmes s‘imposent dans ce paysage. Avec son rap, N1yah se met en scène comme un personnage fictif pour encourager de manière subliminale la jeunesse « à être consciente de ses propres intentions et ainsi agir clairement ».
Une richesse exploitée en langue anglaise par N1yah. « J’essaie toujours de connecter et de combler les lacunes que les langues créent. Par conséquent, j’ai choisi l’anglais parce que c’est une langue internationale qui, je crois, peut m’aider non seulement à communiquer, mais aussi à partager mes histoires et expériences avec un public plus large. J‘espère leur dire que nous sommes tous les mêmes et que nous pouvons nous relier les uns aux autres. Peu importe les différences ».
Dans un pays souvent jugé artificiel et où le côté bling-bling – notion d‘ailleurs issue de la culture du hip-hop – est décrié, l‘authenticité est une arme. « Dubaï a acquis cette réputation défavorable. Les lieux et les clubs haut de gamme perpétuent cette réputation en faisant venir des célèbres rappeurs pour un salaire très élevé. Presque sur un coup de tête. Ce n’est pas quelque chose dont je suis très fier » poursuit Khaled Fouad, aka Kafv, un jeune rappeur basé à Sharjah et âgé de 27 ans.
Cette réputation à l‘échelle internationale de l‘émirat s‘accompagne aussi de difficultés pour les rappeurs de la scène locale. Elles ont un impact sur leur travail. Kafv a dû produire entièrement seul, depuis la maison et avec des logiciels professionnels son premier album intitulé Akshun sorti à l‘été 2019. Car il n‘existe pas encore dans le pays suffisamment d‘infrastructures.
Même les artistes renommés du pays y vont de leur commentaire. Freek estime « toujours devoir mettre un filtre sur certains sujets pour ne pas offenser quiconque ». Pour le trio The Recipe, « une majorité d‘artistes doit avoir un autre travail pour poursuivre en parallèle leur objectifs dans la musique. Nous devons être employés pour avoir un visa et rester dans le pays ». Le groupe a notamment collaboré avec de grands noms du rap US comme Mobb Deep ou encore Talib Kweli.
Malgré ces difficultés, la scène rap n‘en demeure pas moins prometteuse. « Les rappeurs franchissent les barrières et sont maintenant plus conscients de la façon d’aborder leur carrière musicale et aussi plus créatifs » analyse The Real SQ, un artiste avec la citoyenneté émirienne âgé de 33 ans. The Real SQ s‘apprête d‘ailleurs à ouvrir en 2020 à Dubaï l‘un des tout premiers espaces dédiés à la culture urbaine. Pour que la scène rap des Émirats puisse enfin se révéler.
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