Ce reportage est le fruit d’une collaboration entre VICE World News et The Fuller Project.
DANDORA, Kenya — Lorsque Winnie Wanjira passe au crible les montagnes de déchets de la décharge de Dandora, à Nairobi, ce ne sont pas les aiguilles usagées qui la dérangent le plus. Ni les débris de métal qui pourraient déchiqueter sa peau. Pas plus que le soleil brûlant qui s’abat sur les ordures rances, donnant à cette femme de 36 ans un vertige tel qu’elle peine à remplir son sac de bouteilles en plastique.
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Si aujourd’hui cette mère de six enfants est anxieuse, c’est à cause de ses règles. « C’est intense », dit-elle. Elles sont si abondantes qu’elle a passé les deux derniers jours allongée dans sa maison sans fenêtre et sans réelle chambre à coucher, incapable de bouger. « Les saignements… ce n’est pas une blague », explique-t-elle au Fuller Project et à VICE. « Je ne peux pas aller travailler, je ne peux aller nulle part ».
Elle est de retour au travail en ce troisième jour de règles, espérant que le pull-over noué autour de sa taille couvrira les taches. « Et c’est genre, noir, même pas la couleur normale des règles », continue-t-elle. « Cet endroit… ça vous tue. Ça vous tue vraiment. »
Dès 2007, le Programme des Nations unies pour l’environnement a prévenu que la décharge de Dandora représentait une grave menace pour la santé des personnes travaillant et vivant à proximité. Pourtant, si l’on sait que l’exposition aux produits chimiques toxiques présents dans les décharges peut entraîner des cancers, des problèmes respiratoires et des infections cutanées, les scientifiques et les défenseurs de l’environnement affirment que l’on a accordé relativement peu d’attention à leur impact sur la santé génésique des ramasseurs de déchets, souvent des femmes. Les matériaux tels que le plastique et les restes électroniques contiennent un cocktail de produits chimiques dont les études montrent qu’ils peuvent perturber le système hormonal. Alors que des volumes toujours plus importants de déchets continuent de finir dans les décharges, les travailleuses informelles comme Winnie sont en première ligne de ce que les scientifiques appellent « un problème émergent d’intérêt mondial ».
Depuis des années, une fumée âcre s’échappe de cette décharge tentaculaire, qui couvre une surface équivalente à 22 terrains de football dans la capitale kenyane. Les jours de grand vent, les nuages de fumée envahissent les quartiers voisins. « On ne peut plus respirer », raconte une femme qui travaille dans une pharmacie voisine à VICE.
Le problème n’est pas spécifique à Dandora. D’après un rapport de 2017 du gouvernement et des Nations unies, un mélange potentiellement toxique d’à peu près tout et n’importe quoi — cartons de lait, vieux pneus — est détruit par brûlage à l’air libre dans toutes les décharges du Kenya. Et une grande partie des quelque 20 millions de ramasseurs de déchets dans des pays comme l’Inde, le Ghana et le Vietnam sont probablement confrontés à des problèmes de santé similaires. Les estimations varient, mais les études montrent que cette main-d’œuvre informelle est souvent majoritairement composée de femmes.
« Il s’agit d’un problème mondial », déclare Griffins Ochieng, directeur général du Centre pour la justice environnementale et le développement (CEJAD), une organisation à but non lucratif basée à Nairobi qui se concentre sur le problème des déchets plastiques. « Dans toute décharge — tout endroit où il y a une pollution plastique — les femmes seront touchées ».
En effet, de nombreux matériaux qui finissent à la poubelle contiennent des substances toxiques. On sait que les plastiques et les déchets électroniques contiennent et lixivient des produits chimiques dangereux dans l’environnement, notamment des perturbateurs endocriniens. Ces derniers ont été associés à une baisse de la fertilité, à des pertes de grossesse et à des cycles menstruels irréguliers, entre autres. Les brûler libère ou génère un certain nombre de produits chimiques hautement toxiques et de métaux lourds, avec des effets similaires signalés. Les toxines ne sont pas seulement présentes dans l’air, mais aussi dans le sol et l’eau, et pour les nombreux ramasseurs de déchets qui mangent dans les décharges, dans la nourriture également.
Alors que les hommes jouissent souvent d’un rôle plus important de supervision, les femmes passent toute la journée les mains dans les déchets, explique Ochieng. « Elles sont dans le feu de l’action… mais l’environnement est une menace pour leur santé ».
D’un point de vue planétaire, la quantité de déchets que nous produisons — et l’endroit où les stocker — est un problème de plus en plus grave. Chaque année, les hommes génèrent 2,01 milliards de tonnes de déchets ménagers, soit l’équivalent de plus de 6 000 Empire State Buildings mis à la poubelle tous les 12 mois. D’ici 2050, ce chiffre devrait augmenter de plus de 70 %. Dans les pays à faible revenu, plus de 90 % des déchets sont soit jetés en plein air, soit brûlés.
C’est pourquoi les ramasseurs de déchets, comme Winnie, sont souvent décrits comme l’épine dorsale de l’industrie du déchet et du recyclage. Ils constituent une main-d’œuvre informelle, souvent invisible, sur laquelle s’appuient les gouvernements de certaines régions d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique. Passant de longues journées courbés, à ramasser et à trier les déchets jetés dans les rues et les décharges, ils récupèrent plus de matériaux recyclables que les systèmes formels de gestion des déchets et pourtant, ils représentent certaines des populations les plus marginalisées de la société. Au Kenya, entre 3 000 et 5 000 ramasseurs de déchets se dispersent chaque jour sur les collines de Dandora. Bien qu’il n’existe aucun chiffre officiel, les organisations locales estiment que leur nombre atteint près de 50 000 dans tout le pays.
Si les règles abondantes et douloureuses de Winnie n’étaient pas un problème récurrent, elle aurait peut-être été moins inquiète. Mais d’après ses dires, elle est confrontée au même problème depuis environ 20 ans, et souvent deux fois par mois. Lorsque Winnie avait environ 13 ans et que sa famille ne pouvait plus payer ses frais de scolarité, elle a abandonné l’école et a commencé à travailler avec Jane, sa mère, qui était également ramasseuse de déchets. C’est quelques années plus tard que les problèmes de menstruation de Winnie ont commencé.
« Le lien entre les produits chimiques toxiques et les impacts sur les femmes n’a pas vraiment été abordé. C’est une question de la plus haute importance, mais qui reste négligée. » – Sara Brosché
Et elle n’est pas la seule. Lors d’entretiens avec 32 femmes à travers Dandora et Gioto, une autre grande décharge située à Nakuru, à trois heures de route de Nairobi, 21 femmes ont déclaré avoir des règles irrégulières. Beaucoup, comme Winnie, ont des règles très abondantes et douloureuses une ou deux fois par mois. D’autres attendent les leurs pendant huit mois. Une femme sur trois dit avoir souffert de problèmes graves pendant sa grossesse, notamment une fausse couche, une mortinaissance ou une naissance prématurée. Selon les chiffres de March of Dimes, une organisation qui travaille sur la grossesse et la santé post-partum, environ 10 à 15 % des grossesses dans le monde se soldent par une fausse couche, tandis que la mortinaissance et la naissance prématurée sont beaucoup plus rares.
Une femme âgée de 59 ans travaillant à Dandora depuis presque trente ans est actuellement traitée pour un cancer de l’utérus.
« Nous entendons ce genre de problèmes tout le temps », déclare Joyce Wangari, une ramasseuse de déchets de 23 ans qui travaille à Dandora depuis ses douze ans. Elle n’a ses règles que tous les deux ou trois mois. « C’est tellement courant ».
Selon Sara Brosché, conseillère scientifique à l’International Pollutants Elimination Network (IPEN), un réseau mondial consacré à l’élimination des produits chimiques toxiques, il n’existe malheureusement aucune preuve définitive que les problèmes rencontrés par ces ramasseuses de déchets sont dus à l’exposition aux produits chimiques toxiques. Cela dit, il est fort probable qu’il s’agisse d’un facteur sous-jacent.
« Les faits le démontrent », dit-elle. « Mais le lien entre les produits chimiques toxiques et les impacts sur les femmes n’a pas vraiment été abordé. C’est une question de la plus haute importance, mais qui reste négligée. »
Lors d’une conversation WhatsApp, Daniel Wainaina, responsable de la santé publique du comté de Nakuru, nous affirme que la santé des ramasseuses de déchets n’est pas analysée au niveau individuel, mais que ce serait « un domaine intéressant pour des études prospectives. » Il n’a pas répondu aux questions spécifiques concernant l’impact des produits chimiques toxiques sur la santé reproductive.
Ni le gouvernement du comté de Nairobi ni l’organisme national chargé de superviser les politiques environnementales n’ont répondu à nos multiples demandes de commentaires.
Les médecins de plusieurs cliniques médicales situées à proximité des décharges soulignent que le choix des travailleuses en matière de planification familiale joue probablement un rôle important. De nombreuses options de contrôle des naissances, notamment la pilule, les implants et les dispositifs intra-utérins (DIU), peuvent entraîner des modifications du cycle menstruel. La génétique, la nutrition et les mauvaises conditions de vie et de travail peuvent également jouer un rôle. La plupart des ramasseuses de déchets manipulent les ordures sans gants ni masque, et elles vivent souvent à proximité (voire sur) les décharges, ce qui intensifie leur exposition aux risques sanitaires.
Pourtant, un tiers des femmes interrogées nous ont dit qu’un professionnel de la santé les avait informées que leurs problèmes de santé reproductive étaient ou pouvaient être liés à leur environnement de travail. Certaines ont commencé à ramasser les ordures à l’âge adulte et affirment qu’elles n’avaient aucun problème de santé reproductive auparavant. D’autres disent n’utiliser aucun moyen de contraception, ou rapportent que leurs problèmes ont persisté après l’arrêt de la pilule ou le retrait de l’implant. Plusieurs de ces femmes ont commencé à prendre une contraception hormonale dans l’espoir de réguler leurs menstruations — souvent sans grand succès.
« Avant de venir ici, mes règles étaient normales », raconte une ramasseuse de déchets dont nous tairons le nom pour des raisons de sécurité. « Mais ensuite, elles sont devenues très abondantes et survenaient plusieurs fois par mois ». Cette femme a commencé à ramasser les ordures lorsqu’elle avait environ 30 ans. Aujourd’hui âgée de 58 ans, elle n’a plus ses règles, probablement en raison de la ménopause. « Mais cette fumée pénètre dans votre corps. Vous vous sentez faible, tellement faible. »
« Et c’est pareil pour ces trucs sur lesquels nous nous asseyons », poursuit-elle en désignant les sacs aux couleurs vives remplis de lambeaux de films plastiques empilés sous leurs pieds. « Ils contiennent des produits chimiques. On ne sait jamais s’ils nous affectent, mais on finit par ressentir des douleurs. Dans la poitrine principalement, autour de l’abdomen et au niveau du dos. Quand je m’assieds, j’ai l’impression que quelque chose de très pointu me transperce. »
Considéré comme pratiquement sans valeur il y a une vingtaine d’années, le plastique est aujourd’hui très demandé. Winnie peut vendre un sac d’un kilo de bouteilles en plastique à des intermédiaires ou à des commerçants pour l’équivalent de 13 centimes (le coton, par comparaison, se vend 2 centimes). Les bons jours, elle gagne environ 2,50 euros ; les mauvais jours, seulement 80 centimes. Avec l’augmentation de la demande de produits emballés et fabriqués en masse, la production de plastique a explosé, dépassant la capacité du monde à y faire face. Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, seuls 9 % des plastiques sont recyclés avec succès, la majeure partie finissant dans des décharges, incinérés ou largués dans l’environnement. Si aucune mesure n’est prise pour limiter son utilisation, la production et l’élimination du plastique devrait tripler d’ici 2060.
« C’est devenu complètement incontrôlable », déplore Ochieng.
Lorsque les plastiques sont brûlés ou se dégradent en microplastiques, les personnes qui vivent à proximité des décharges sont exposées à des risques sanitaires dus à des produits chimiques toxiques. Il peut s’agir de dioxines, de mercure et de polychlorobiphényles (PCB), qui ont été interdits aux États-Unis en 1979 et sont qualifiés de probables cancérigènes.
Pourtant, des études montrent à quel point ces produits chimiques peuvent facilement se retrouver dans nos aliments. Au Ghana, dans la plus grande décharge de déchets électroniques au monde, on brûle les fils inutilisables et les morceaux de plastique issus de vieux appareils électroniques. Selon un rapport de 2019 de l’IPEN, les œufs des poules qui se sont nourries à proximité contenaient le deuxième niveau le plus élevé de dioxines bromées jamais mesuré. Ces produits chimiques peuvent nuire aux fœtus, interférer avec les hormones, provoquer des problèmes reproductifs et des cancers..
« Venez », dit Winnie, nous ouvrant la voie vers sa maison qui se trouve de l’autre côté d’un pont en bois de fortune. L’eau de la rivière en contrebas est d’un gris trouble, de vieux récipients en plastique jonchent les berges. À l’intérieur, Jane, la mère de Winnie, est assise tranquillement, enfilant de petites perles orange sur une cordelette. Ayant cessé de travailler à Dandora il y a plusieurs années, elle vend maintenant des bracelets pour gagner un peu d’argent.
« Je tombais constamment malade », dit-elle en parlant de ses 40 années passées à ramasser des déchets. Jane a commencé au début des années 80, plusieurs années avant la naissance de sa fille. Si ses règles n’ont jamais été affectées, elle souffre maintenant de diabète, d’arthrite et d’hypertension artérielle.
« Peut-être qu’elle serait tombée malade de toute façon. Mais il semble que l’environnement soit si toxique que la plupart de ses problèmes de santé pourraient en découler. » – Pauliina Damdimopoulou
Jane a une cinquantaine d’années et il est possible que ses problèmes de santé soient liés à son âge, explique Pauliina Damdimopoulou, chercheuse principale en produits chimiques et fertilité féminine au Karolinska Institutet, une université médicale en Suède.
« Peut-être qu’elle serait tombée malade de toute façon. Mais il semble que l’environnement soit si toxique que la plupart de ses problèmes de santé pourraient en découler. En ce qui concerne les cas individuels, il est toujours difficile de dire comment cette toxicité se manifeste. »
Pour les ramasseuses de déchets de deuxième génération comme Winnie, les risques sanitaires sont plus importants, ajoute Damdimopoulou. Les produits chimiques présents dans l’organisme d’une personne enceinte ou allaitante pouvant être transmis au fœtus ou au nourrisson via le placenta ou le lait maternel, il est possible qu’elles y aient déjà été exposées, avant même leur naissance, ajoute-t-elle. Et elles pourraient tout aussi bien transmettre ces produits chimiques à leurs enfants. Lorsque l’exposition a lieu à un stade précoce, que ce soit dans l’utérus ou pendant l’enfance, les effets sur la santé peuvent être bien pires, car le corps est encore en développement.
« Et plus vous êtes exposé longtemps à ces produits chimiques, plus les niveaux sont élevés », explique Damdimopoulou. « D’après moi, il est fort probable que ces femmes sont encore plus touchées que les autres ».
Il y a douze ans, alors que Winnie était enceinte de jumeaux, elle a abandonné le ramassage des ordures au cœur de la décharge pour un travail plus tranquille sur sa périphérie, qui consistait à collecter les capsules de bouteilles en plastique. Elle avait ressenti une pression dans ce qu’elle décrit comme ses parties intimes, mais les tests effectués à l’hôpital n’avaient rien révélé. Après avoir déjà perdu deux grossesses — l’une par fausse couche, l’autre par mortinaissance — elle a quand même décidé de se ménager. Les médecins lui ayant dit que les toxines provenant de la décharge avaient un impact sur son cycle menstruel, elle a voulu s’en protéger.
Les jumeaux sont arrivés sains et saufs, mais ils sont asthmatiques. Un autre enfant est épileptique, dit-elle. Elle ne peut pas se permettre de payer les 4 800 shillings kenyans (40 euros) habituels pour leurs inhalateurs, et utilise plutôt ceux qu’elle trouve jetés dans les décharges. « Je ne regarde pas la date d’expiration, ce qui, je le sais, est risqué ».
Elle se souvient qu’un médecin lui avait suggéré que les jumeaux avaient été impactés dans son utérus par les toxines qu’elle avait inhalées à la décharge. « Mais je ne peux rien faire contre ça », dit-elle. « Il faut bien que je puisse nourrir mes enfants. »
Rita Mokhwana, infirmière dans une clinique voisine de Dandora, n’est pas surprise par les problèmes rencontrés par les ramasseuses de déchets. Elle estime qu’environ la moitié de ses patients travaillent sur la décharge. Les fausses couches sont monnaie courante et elle traite trois à quatre femmes par semaine pour des problèmes de menstruation. La majorité d’entre elles ne prennent aucune contraception. « La plupart du temps, les causes sont liées à la décharge — la fumée, les femmes enceintes qui se surmènent », explique-t-elle.
« Si le gouvernement essaie de nous mettre dehors, on peut toujours aller au tribunal et dire que nous avons des droits, que nous travaillons ici. Où d’autre pourrions-nous aller ? » – Winnie Wanjira
Malgré ça, de nombreuses ramasseuses de déchets hésitent à faire part de leurs inquiétudes, de peur que le gouvernement du comté ne ferme la décharge. La plupart d’entre elles savent bien que cet environnement est nocif pour leur santé, mais il s’agit de leur unique moyen de subsistance. Une bouée de sauvetage vitale, bien que périlleuse. Depuis que le site de Dandora a été déclaré plein en 2001, de multiples efforts ont été déployés pour nettoyer la zone — le dernier remonte à juillet de l’année passée, lorsqu’un tribunal a ordonné au gouvernement du comté de déplacer la décharge vers un site plus respectueux de l’environnement, où les déchets seraient correctement séparés et recyclés dans un délai de six mois. Pourtant, la décharge est toujours en activité. Chaque jour, 850 tonnes supplémentaires de déchets provenant des 4,3 millions d’habitants de la ville entrent entre ses murs, qui ont bien du mal à tout contenir.
En tant que dirigeantes de la toute nouvelle Nairobi Recyclable Waste Association, Winnie et Joyce s’organisent au nom de quelque 300 membres pour promouvoir et protéger les droits des ramasseuses de déchets. Les deux femmes se démènent actuellement pour recruter de nouveaux membres. Plus le groupe est important, plus sa légitimité et son pouvoir de négociation augmentent lorsqu’il s’agira de demander au gouvernement des conditions de travail sûres et saines, explique Ochieng du CEJAD.
« Prendre position en tant que représentantes des ramasseurs de déchets ne nous fait pas peur », affirme Winnie. « Si le gouvernement essaie de nous mettre dehors, on peut toujours aller au tribunal et dire que nous avons des droits, que nous travaillons ici. Où d’autre pourrions-nous aller ? »
Si les ramasseuses de déchets du Kenya exigent un changement, elles ont bien choisi leur moment, dit Ochieng. Il y a deux mois, les dirigeants du monde entier se sont réunis à Nairobi pour élaborer le tout premier traité mondial visant à limiter la crise de la pollution plastique. L’objectif est non seulement d’améliorer les méthodes de recyclage et de s’attaquer au problème des déchets plastiques dans le monde, mais aussi de mettre un frein à la production de plastique.
Les détails seront réglés au cours des deux prochaines années, mais Ochieng a bon espoir. Pour la première fois, le nouvel accord reconnaît officiellement la contribution significative des ramasseurs de déchets dans l’économie du plastique. Si l’on ne sait pas encore dans quelle mesure les choses vont changer, un nouveau projet de loi sur la gestion des déchets au Kenya, qui incite les ménages au tri sélectif, représente également un changement de mentalité : la réutilisation, la reconversion ou le recyclage des matériaux sont privilégiés par rapport au simple fait de les jeter.
« Et les ramasseuses de déchets doivent faire partie de ces conversations formelles », dit Ochieng. « C’est d’ailleurs l’idée autour du fait de monter cette organisation… Quelqu’un doit se battre pour le rôle qu’elles jouent ».
De retour à la décharge de Dandora, Winnie feuillette une pile de papiers froissés arrachés à un manuel scolaire. De chaque côté, une liste de noms de femmes — ses dernières recrues d’une décharge voisine pour son association des ramasseuses de déchets. « J’ai inscrit 70 mamans l’autre jour », nous dit-elle en souriant. Pourtant, elle semble nerveuse : elle pense toujours que le gouvernement va la chasser si elle se plaint de la pollution de l’air.
« Mais je ne suis pas la seule. Toutes les femmes de la décharge souffrent. Elles ont besoin de notre aide… Il faut que leurs histoires soient entendues. »
Article rédigé avec la contribution d’Eriss Khajira.
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