Un nouveau système de protection des salaires (« Wage protection system » en anglais, ou WPS) est en cours de lancement au Qatar. Cette mesure vise à obliger les entreprises à payer leurs employés en temps et en heure, une première dans ce pays régulièrement critiqué pour son manque d’encadrement des conditions de travail.
Malgré une entrée en vigueur prévue pour ce mardi 18 août, l’effectivité de sa mise en oeuvre reste floue pour le moment. D’après le quotidien qatari The Peninsula, le gouvernement du pays aurait décidé ce lundi de repousser la date d’entrée en vigueur du WPS au 2 novembre prochain. Ce journal explique notamment ce retard par le fait que certaines entreprises ne sont pas encore en mesure de faire partie du WPS.
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Ce mardi, VICE News a appris de sources qataries officielles que le lancement du WPS n’était pas encore effectif ce mardi, mais les mêmes sources nous ont indiqué cependant ne pas disposer d’informations pour pouvoir commenter une date ultérieure de lancement, comme par exemple cette date de novembre. Le gouvernement Qatari, lui, n’a pas fait de déclaration officielle. S’il n’est pas effectif ce mardi, le WPS pourrait donc l’être dans les prochains jours.
Le WPS concernerait près de 1,5 million d’ouvriers immigrés au Qatar, d’après des chiffres de l’ONG Amnesty International. Ils travaillent notamment sur des chantiers dans le cadre des préparatifs de la Coupe du monde de football qui aura lieu en 2022.
« Ce système est très bien, sur le papier »
« Le Qatar cherché à gagner du temps, » regrette Mustafa Qadri, chercheur pour l’ONG Amnesty International, spécialisé en droit du travail dans les pays du Golfe, interrogé ce mardi par VICE News. Il estime que le Qatar « laisse planer le doute sur ce système, alors que ce pays très riche a clairement les moyens de le mettre en oeuvre. »
Ce système de protection des salaires (WPS) avait d’abord été adopté en février dernier par le gouvernement du Qatar, au travers d’une modification du Code du travail qui stipule que les entreprises du pays doivent verser les salaires directement sur le compte en banque des travailleurs, et ce à intervalles réguliers — tous les mois pour ceux qui disposent d’un contrat annuel, toutes les deux semaines pour les autres.
Dans le cadre du WPS, tout employeur ne se conformant pas à cette règle risque en principe jusqu’à un mois de prison et une amende pouvant atteindre 6 000 riyals qataris (soit environ 1490 euros).
« Ce système est très bien sur le papier, mais ce n’est pas suffisant, » estime Qadri. « Très peu de détails ont filtré concernant le WPS, » nous explique-t-il, « Nous ne savons pas si les femmes seront elles aussi concernées par cette protection, ni comment le gouvernement compte s’y prendre pour faire respecter cette règle. »
D’après Qadri, « Le WPS constitue bien sûr un progrès mais il faut rester très prudent sur sa réelle application, » prévient-il. Le chercheur donne l’exemple de la confiscation du passeport par les entreprises, une pratique illégale au Qatar mais qui est « encore très répandue dans le pays » nous indique-t-il.
À lire : Les chantiers délirants du Golfe menacent les travailleurs immigrés
De nombreuses ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch enquêtent depuis plusieurs années sur les conditions de travail des ouvriers immigrés, notamment sur les chantiers de construction.
« Ils sont très nombreux à venir d’Inde et du Népal, » nous explique Mustafa Qadri, qui a effectué plusieurs visites d’observation au Qatar ces derniers mois. Le chercheur nous décrit des conditions de vie « très difficiles » pour ces ouvriers qui vivent dans des baraquements en périphérie des villes. « Ils dorment souvent à 10 dans une seule chambre, les salles de bains et les cuisines sont minuscules et très sales, » nous raconte-t-il.
Sélectionné en 2010 par la Fédération internationale de football (FIFA) pour organiser la Coupe du monde de football de 2022, le Qatar a entrepris plusieurs chantiers pour moderniser ou construire de nouveaux stades — dont le nombre devrait être porté à huit d’ici 2022. À ces chantiers s’ajoutent la construction de routes, d’hôtels et d’infrastructures pour accueillir les équipes, sponsors et supporters lors de cette compétition.
Dans un rapport intitulé « Promettre peu, faire encore moins » publié le 21 mai 2015, Mustafa Qadri et d’autres chercheurs d’Amnesty International ont dénoncé ces conditions de travail, un an après les annonces du Qatar qui promettait d’entreprendre des réformes pour améliorer les conditions de vie de ces ouvriers étrangers.
En mai dernier, le journal américain The Washington Post avait tenté de comptabiliser le nombre d’ouvriers morts au Qatar sur les chantiers de la Coupe du monde 2022 — soit 1 200 décès tragiques selon les premières estimations de ce journal — ce qui avait provoqué la colère des autorités qataries qui, dans un long communiqué, ont formellement rejeté les chiffres et critiqué les méthodes du journal et les « dommages causés à l’image du pays. »
« Ce que nous savons avec certitude, c’est que 414 travailleurs étrangers sont morts au Qatar au cours de l’année 2014, » nous indique Mustafa Qadri, qui précise que ce chiffre rassemble « toutes les causes de décès. »
Le Kefala
« Beaucoup de travailleurs que j’ai rencontrés m’ont décrit les dérives et la souffrance causées par le système, » poursuit Qadri.
Ce système, c’est celui du kefala, une sorte de « parrainage » qui régit la manière dont sont attribués les visas de travail au Qatar. Pour pouvoir travailler dans ce pays — et ainsi espérer envoyer de l’argent à des proches restés au pays — un ouvrier étranger doit obligatoirement être parrainé par un citoyen qatari qui le recommande ensuite à une entreprise locale.
« Les ouvriers ne peuvent littéralement pas sortir du pays s’ils ne sont pas accompagnés de leur parrain, » nous explique Qadri, qui précise que ces travailleurs « n’ont pas le droit de changer d’employeur sans l’autorisation de leur parrain, et peuvent être expulsés sans être payés, sur simple demande de leur employeur. »
En mai dernier, Amnesty International appelait notamment la FIFA « à s’engager véritablement pour que la Coupe du monde Qatar 2022 ne s’appuie pas sur l’exploitation des travailleurs et les atteintes aux droits humains. »
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Image via Flickr / Dean Hochman