Parfois, dans un groupe, celui qui fait boudoum-boudoum tranquillement dans son coin finit par péter un câble, tout envoyer chier et se frayer son propre chemin vers la lumière. Du boudoum-boudoum, Marion Leclercq en fait pendant longtemps sans jamais chercher à tirer la couverture vers elle, s’accrochant du mieux qu’elle pouvait au bordel ambulant que fut Overmars, groupe post-hardcore de la région lyonnaise qui a laissé derrière lui deux albums sortis sur le label de Vindsval de Blut Aus Nord et pas mal de blessures pas encore tout à fait pansées. La façon dont le groupe s’est d’ailleurs fatalement sabordé au terme d’une tournée américaine désastreuse est sûrement l’une des raisons pour laquelle Mütterlein existe aujourd’hui. Mais pas que.
Car avec ce faux groupe et vrai projet solo, Marion se fait un peu une crise d’adolescence très personnelle. Avec moins de boutons sur la gueule et d’appareils dentaires et plus de mélodies new-wave… Ces dernières années, Marion a en effet tout envoyé bouler. Tout. De son boulot (elle était psy de formation, elle retape aujourd’hui un hôtel où il espère installer une épicerie bio et une salle de concerts et de répétitions) à ses amis en passant par sa vie amoureuse, elle a tout détruit pour mieux tout reconstruire. Et Oprhans of the Black Sun c’est un peu le carnet de bord de ce grand nettoyage par le fond.
Noisey : En fait, je me rends compte que l’on connaît peu de choses sur ton passé musical, à part ton passage dans Overmars en fait…
Marion Leclercq : C’est vrai que j’ai fait pas mal de trucs avant mais disons que ce fut mon premier groupe « sérieux » si l’on peut dire, avec des discussions avec des labels, pas mal de concerts etc. Mais à la base, j’ai fait énormément de piano avec une grosse formation classique et puis après, je suis passée au black-metal ! [Rires]
Ah bon ?
Oui, mon premier groupe était un groupe de black bien pourri. Mais bon, j’avais quatorze ans et on jouait dans la cave des parents, du black-metal tranquille si tu préfères…
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En sachant que si la tradition fut respectée et vu ton âge d’alors et l’époque, le milieu des années 90, tu étais sûrement cantonnée à être la « fille » du groupe qui balance trois notes sur son clavier Bontempi planquée derrières les autres non ?
Tout à fait, je jouais la potiche de service. J’avais un super synthé avec lequel je faisais des bruits de tonnerre, de la pluie qui tombe tout ça. Ouais, ce n’était pas terrible en fait… Heureusement, il ne reste pas de traces de ce grand moment musical.
Mais tu avais des corpsepaints, des vêtements intégralement noirs et tout le tralala ?Justement, non. Je détonnais un peu des autres car j’étais très propre sur moi, avec petite chemise et col en V. Je ne collais pas vraiment. Mais vu que j’avais étudié le piano, j’adorais l’utilisation du clavier dans le black d’alors, même si je n’écoutais pas des trucs très pointus mais plutôt Samael, Crade of Filth et tout ça.
Je vois très bien ce genre de sonorités, avec un look très travaillé et des arrangements aux synthés dignes de Rondo Veneziano qui ont parfois très mal vieilli…
Oh là, oui. Parfois, par pure nostalgie, j’en remets une sur ma platine mais cela ne dure jamais très longtemps tellement je trouve ça complètement kitsch aujourd’hui. Cela dit, cela fait partie de toutes les expériences que je vivais à ce moment-là car j’avais des goûts assez éclectiques. Mes premiers concerts à quinze ans, c’était des groupes punks à Lyon par exemple. Et puis j’ai été une fan de The Cure absolue, même si je n’avais le look classique du Curiste de base. Mais Robert Smith reste ma plus grosse claque live, même si je les ai vu tard, en 96 je crois. D’ailleurs Pornography reste l’un des albums dont je semble incapable de me lasser. Dès que je n’ai pas le moral, je l’écoute et ça repart. Le black metal, je trouvais cela rigolo les mecs qui buvaient du sang sur scène et tout ça mais voilà. The Cure, cela ne m’a jamais quitté et cela ne me fait pas rire, dans le bon sens du terme.
Pourtant, on ne peut pas dire qu’on s’y fende la poire. La première phrase que l’on y entend d’ailleurs sur le titre d’ouverture de Pornography (« One Hundred Years »), c’est « it doesn’t matter if we all die » (« ça n’a aucune importance si nous mourons tous »)…
Effectivement mais j’adore sa tension et sa pesanteur sous-jacentes. Trente-cinq ans plus tard, c’est toujours aussi fort. Mon goût pour le black correspond au mal-être que je ressentais comme tout adolescent lambda mais The Cure a toujours représenté quelque chose de beaucoup plus profond.
Bon, comment t’es-tu retrouvée embarquée dans l’aventure Overmars ?
Je crois que je suis arrivée en 2002 il me semble. J’ai remplacé leur premier bassiste qui était parti et j’ai débarqué en même temps qu’Arnaud, le projectionniste. L’aventure a duré jusqu’en 2010.
Tu jouais déjà de la basse ou tu t’y es mise pour l’occasion ?
J’ai toujours joué de plein d’instruments différents : du piano bien sûr, mais aussi de la guitare ou de la batterie. Je n’ai jamais été attaché à un instrument – je ne le suis toujours pas d’ailleurs – donc même si pour le coup, la basse je n’avais pas encore fait, j’ai saisi cette opportunité. J’aimais bien les mecs et puis j’ai toujours aimé me mettre au service de la musique et laisser mon égo de côté – parfois c’est pour mon propre compte comme dans le cas de Mütterlein, parfois c’est pour d’autres, comme pour Overmars.
Vous avez beaucoup évolué dans le milieu DIY, avec ses bons et ses mauvais côtés… Est-ce que c’était à la hauteur de ce que tu attendais ? Surtout que l’aventure s’est vraiment terminée en eau de boudin, avec une tournée américaine désastreuse où vous êtes embarqués sans votre chanteur et que vous n’avez jamais fini parce qu’il a fallu rapatrier tout le monde…
Tout se passait dans la douleur. Les meilleurs concerts qu’on a donnés, c’était ceux qu’on a fait après nous être mis sur la gueule juste avant. Tout était violent et trash. Personnellement, j’ai vécu des trucs que je ne revivrais pour rien au monde. Après, j’ai l’impression que j’avais besoin, d’une façon un peu maso, de passer par là. Peut-être est-ce que j’avais besoin de prouver quelque chose je ne sais pas… J’ai toujours eu un côté assez sombre et au moment où je les ai rejoints, plus particulièrement. C’était vraiment un exutoire.
Mais qu’est-ce qui s’est vraiment passé sur cette foutue tournée américaine avortée ?
C’était vraiment violent. Tout était déjà calé depuis longtemps sauf que Kaiser [Xavier Théret, le chanteur] et d’autres membres du groupe se sont embrouillés très gravement quelques semaines avant. Alors je n’ai jamais trop compris si c’est lui qui a claqué la porte ou les autres qui fini par le virer mais tout a été décidé d’une façon abrupte, sans que j’ai mon mot à dire et je l’ai assez mal vécu, Xavier étant l’un des piliers d’Overmars. Une fois sur place, ça a été un cauchemar : à la base, on devait passer trois semaines avec un groupe ricain dont j’ai oublié le nom mais au bout de six ou sept dates, on perdait trop d’argent et ils ont décidé d’arrêter les frais, ce qui était d’autant plus dommage que c’était eux qui avait le backline.
On s’est donc retrouvés au beau milieu des States à tenter de sauver ce qui pouvait vaguement l’être mais au bout de quelques dates, notre guitariste a fini par péter un câble et a dû être rapatrié sanitaire. On s’est retrouvés comme des cons, qui plus est obligés d’attendre sur place la date de validité de notre billet d’avions retour car ils n’étaient pas échangeables et on n’avait pas de thunes pour en acheter d’autres. Certains voulaient encore continuer coûte que coûte mais moi, je savais déjà que c’était terminé pour moi. Au point qu’une fois enfin rentrée en France, je me suis dit : « bon, fini les conneries, j’arrête la musique là, je suis vaccinée ». J’étais arrivée au bout de quelque chose.
Sauf que cette retraite n’a pas duré longtemps c’est ça ?
Ouais, très rapidement, j’ai enchainé deux projets qui n’ont pas vraiment duré mais qui m’ont donné plein d’autres envies, notamment celle de sortir de ce milieu-là, le punk, la sphère DIY, les squats tout ça. Malgré toutes les valeurs de façade, je crois que c’est l’endroit où j’ai rencontré le plus de gens crapuleux et enchaîné le plus de mauvaises expériences. Cela doit être partout pareil mais moi, c’est là où je l’ai vécu et ce n’est pas parce que tu es alterno et soi-disant super-cool que ça fonctionne. En tant que femme et en tant que lesbienne, j’ai les mêmes réserves vis-à-vis du mouvement féministe et anti-homophobe parce que c’est aussi là que j’ai rencontré les pires gens. J’ai toujours aimé réfléchir, quitte à ne pas trouver de réponse et cela me va bien comme ça. Et j’ai toujours détesté les gens qui, eux, ont réponse à tout. Quand tout est trop blanc ou trop noir, ça me fatigue.
Quel a été le déclic pour lancer Mütterlein ?
Les gens que j’ai rencontrés à ce moment-là. Je n’avais pas de ligne directrice précise, juste l’envie de faire quelque chose avec une personne précise, comme Christophe Chavanon avec lequel j’ai fini par faire ce disque. On venait pourtant de deux milieux musicaux très différents – lui faisait avant un truc un peu à la 16 Horsepower avec The God Damn. J’ai fait sa connaissance en allant enregistrer une démo dans le studio à Lyon où il bossait alors en 2010 et on a tout suite accroché. On s’est rendu compte qu’on pouvait parler pendant des heures et des heures de plein de choses, sauf de musique en fait ! Mais on savait qu’il fallait qu’on en fasse ensemble, même si ce n’était pas clair quoi, à part que nous recherchions tous les deux la même couleur mélancolique, disons. Et puis je ne voulais plus d’un groupe et puis de toutes façons, cela faisait des années que je faisais déjà des trucs dans mon coin donc ce n’était pas un gros changement. J’en avais gros sur la patate et le gros du travail de Christophe a été de m’aider à élaguer pas mal de choses. On a viré un certain nombre de pistes pourtant enregistrées et un titre comme « Mother Black Sun » par exemple faisait à la base 25 minutes et était limite improvisé avant qu’on le raccourcisse à seulement six minutes.
On sent beaucoup de colère derrière tout ça quand même…
Mütterlein est né d’une frustration, de celle ne pas avoir pu raconter ce que je voulais raconter jusqu’à lors. C’est l’histoire de comment je suis passée d’une colère contre la terre entière à quelque chose de beaucoup plus introspectif et que je me suis approprié et qui fait que je suis moins dans la colère et plus dans la mélancolie… Oui, je sais j’utilise beaucoup ce mot là mais c’est parce que c’est vraiment ça mais dans le sens psychanalytique du terme. C’est le deuil impossible parce qu’il est sans objet. C’est d’ailleurs quelque chose qui me fascine assez, j’avoue. Finalement, tu trouves des boucs émissaires, à l’extérieur, tu t’inventes des raisons pour être en colère mais tout ça, c’est intérieur en fait.
Tu as une formation de psy. À quel point cela a t’il pesé ?
Moi, je vois cela comme un avantage, après Mütterlein est ma partie non analysée et non analysable d’ailleurs. C’est l’endroit où je mets tout ce qui sort, comme ça sort.
Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Parce que je n’avais pas les couilles ! [Rires] D’ailleurs, je ne les ai toujours pas… C’est juste que cela demande du courage et du temps de parler en son propre nom et de se montrer plus. D’ailleurs, j’ai encore besoin d’un petit costume en quelque sorte parce que tout cela reste du spectacle.
Mütterlein, ça veut dire « petite mère » qui est plutôt un terme affectif, non ?
Oui mais c’est avant tout une référence à un morceau de Nico sur l’album Desert Shore (1970) dont le texte et l’ambiance générale me touchent beaucoup. Cela tourne beaucoup autour du deuil impossible du lien maternel. D’ailleurs lorsqu’on parle ici de « mère », cela peut être très symbolique. Cela peut-être Overmars par exemple… [Rires] Mais bon, c’est cette idée qu’une fois que tu sors mettons du ventre maternel, tu brises quelque chose que tu ne pourras jamais totalement réparer. Je pense que nous avons tous une part de féminin en nous et que la mélancolie vient précisément de ce côté là. On peut remonter jusqu’à nos premières heures, lorsqu’on était qu’un tout petit bébé encore dans le ventre de notre mère avec laquelle nous ne faisions alors qu’un. Sauf qu’à un moment, il faut rompre ce lien là pour exister en tant qu’individu à part entière. Et selon moi, faire le deuil de ce côté fusionnel qu’on a connu alors est un deuil impossible et qui est toujours à refaire à chaque fois que tu vis quelque chose qui te ramène à ce vertige existentiel.
Et cela te ramène à quelque chose de personnel ?
Oui, j’ai toujours connu ma mère extrêmement malade. En gros, elle était dépressive et tout ma ramène à ça, ce manque d’un premier lien d’amour qui est censé t’accompagner toute ta vie. Or quant tu as une mère qui n’est pas une mère, c’est une putain de malédiction car comme elle n’a pas transmis ce concept d’amour inconditionnel, tu ne réussis jamais à le concrétiser par la suite.
Donc si je schématise, même d’une façon grossière, tu as accepté ta mélancolie qui est un sentiment profondément féminin, ce qui renforce aussi ton côté féminin déjà présent, ce qui expliquerait aussi ton orientation sexuelle, tout ça c’est lié ?
Oui, tout est lié. Oui quand je te dis que la mélancolie est quelque chose de féminin, c’est parce que c’est quelque chose qui se retourne sur soi. C’est-à-dire que par rapport à la colère ou la violence qui est souvent dirigée vers quelqu’un d’autre, la cible de ta propre mélancolie, c’est toi.
Le titre le plus important du disque pour moi, c’est le premier car il résume toutes ces idées là, rien que dans son titre « Lesbians, Whore and Witches »…
C’est le point de départ, le morceau qui ouvre le disque et le premier composé. En gros, j’y dit que j’ai des choses à dire et que si cela t’emmerde, et bien tant pis ! [Rires] Cela peut paraître anecdotique mais j’ai écrit ce morceau au moment des « Manif pour tous », car je l’ai assez mal vécu. J’en avais gros sur la patate, je me disais ‘maintenant, ça suffit !’. Dès qu’un truc menace soi-disant la société, c’est forcément quelque chose de féminin, dans ce cas là l’homosexualité qui est aussi quelque chose de très féminin car cela met en berne la virilité et le monde très patriarcal dans lequel on vit. Quand tu es une femme, tu dois affronter ça tout le temps et moi, j’ai juste envie qu’on me foute la paix. Point.
Et cette paix, la fin très épurée du disque suggère que tu l’as trouvé non ?
C’était en tous cas que je voulais que cela raconte, comment ce petit voyage que l’on vient d’effectuer pour t’apporter une forme…d’apaisement. [Pause] Non, ce n’est pas le mot qu’il faut. Rédemption ? Non plus. C’est entre les deux.
Donc ce disque, c’est une séance de thérapie pour toi ?
Oui, cela a beau être un cliché, la musique a vraiment cette vertu pour moi.
Et la serpette que tu tiens sur la photo qui orne la pochette du disque, c’est pour couper les couilles à notre société machiste ?
On pourrait croire, mais non ! [Rires] Déjà, il faut savoir que je ne voulais pas apparaître sur la pochette. Là encore, c’est une idée de mon producteur Christophe qui m’a dit que c’était MON projet, MON disque et que j’avais trop mis de moi là-dedans pour ne pas apparaitre dessus. Mais comme avec ma voix, je n’étais pas trop à l’aise à l’idée de mettre en avant comme ça et j’ai ressenti le besoin d’avoir un accessoire en quelque sorte pour me rassurer. Et c’est que j’aime bien avec la serpette, c’est que cela peut être perçu comme une arme mais en fait, ce n’en est pas une. C’est un instrument de cueillette, cela rappelle mon côté sorcière… [Rires]