Cet article a été initialement publié sur VICE Grèce.
C’est en 2004, alors qu’il essayait d’exercer ses droits démocratiques, que Yiannis Diamantis a eu la surprise d’apprendre qu’il était mort. Plus curieux encore, il l’était depuis une dizaine d’années déjà – un fait dont il n’avait pas connaissance.
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Pourtant, Yiannis vit, respire et marche bel et bien sur cette terre, mais en raison d’un quiproquo administratif impliquant une personne décédée portant le même nom que lui, le gouvernement grec ne le reconnaît plus depuis treize ans. En dépit du mal qu’il se donne pour remédier à cette erreur, la bureaucratie l’empêche d’être officiellement considéré comme un citoyen vivant. Yiannis m’a expliqué ce que ça fait d’être légalement mort.
VICE : Comment as-tu découvert que le gouvernement te considérait comme mort ?
Yiannis Diamantis : Je l’ai su en 2004, quand j’ai voulu voter et que mon nom n’apparaissait pas sur la liste électorale. À la mairie dans laquelle je suis inscrit, on m’a dit que j’étais mort – certificat de décès à l’appui. Depuis, j’essaie de ressusciter – c’est un véritable cauchemar.
L’homme décédé pour de vrai avait-il exactement les mêmes données personnelles que toi ?
Pas exactement. Nous n’avons pas de lien de parenté, mais nos parents portaient les mêmes noms. À part ça, nos dates de naissance étaient différentes, de même que nos adresses, évidemment. De plus, il était célibataire, alors que je suis marié. J’ai du mal à comprendre comment nous avons pu être confondus. Le bureau de l’état civil a admis qu’un employé avait mal fait son travail et supprimé mon dossier. Selon eux, le problème ne peut être réglé qu’au tribunal.
Comment ce merdier affecte-t-il ta vie ?
Je n’ai pas de permis, donc je ne peux pas conduire. Je ne peux pas non plus voyager à l’étranger – je suis comme un prisonnier dans mon propre pays. Ma famille n’a pas d’assurance, puisque je ne peux assurer personne sous mon nom, et ma femme est sans emploi. Quand mon père est décédé, je n’ai pas pu prétendre à l’héritage, étant donné que j’étais déclaré mort. Ma fille vient de terminer le lycée et va intégrer l’université – si on me demande de produire un certificat de famille, je ne serai pas en mesure de le faire. Enfin, si je meurs vraiment, ma femme ne pourra pas légalement m’enterrer.
Quelles démarches as-tu entreprises jusque-là afin d’être considéré comme un citoyen vivant ?
J’ai tout essayé, mais pour l’instant, personne n’est prêt à assumer la responsabilité de cette erreur, encore moins à la réparer. On m’a d’abord envoyé au bureau de l’état civil de la mairie d’Athènes, là où mon certificat de décès a été signé. La mairie m’a ensuite redirigé vers le procureur local, qui m’a renvoyé devant le tribunal, mais le tribunal a prétendu ne pas avoir le pouvoir de changer cela. Je ne sais plus quoi faire. Je suis désespéré – je me bats depuis 14 ans.
As-tu pris un avocat ?
J’avais prévu de suivre la procédure judiciaire, mais mon avocat m’a demandé 500 euros, une somme que je ne peux pas me permettre. La plupart du temps, je n’ai pas d’emploi, ma femme non plus, et nous avons des enfants. Lors d’une précédente action en justice, j’ai perdu 700 euros que j’avais empruntés. Puisque je ne peux pas me permettre de perdre encore plus d’argent, j’ai joué mon dernier coup : j’ai envoyé un mail à plusieurs émissions de télé, en espérant que le fait d’évoquer publiquement mon affaire attirerait l’attention des autorités. Une seule chaîne m’a répondu – une émission matinale – et, heureusement, après avoir présenté mon cas, leur avocat a accepté de me représenter bénévolement.
As-tu parlé à la famille du défunt ?
Non, et nous ne savons pas quelles démarches l’autre famille a accompli pour corriger l’erreur. Ma femme a découvert que ce mec est toujours considéré comme vivant selon les registres de la police.
As-tu une carte d’identité ?
Oui, mais elle a expiré il y a plusieurs années. Un jour, des policiers m’ont arrêté, et quand je leur ai montré ma carte en leur expliquant la situation, ils m’ont dit que je devais la renouveler quand même. Je suis allé au commissariat de mon quartier et j’ai demandé une nouvelle carte. J’ai dû leur montrer mon certificat de décès. Malheureusement, la police n’a pas su gérer mon cas et n’a pas pu me donner une nouvelle carte d’identité.
Comment gagnes-tu ta vie ?
Je travaille pour une société de construction et je fais des petits boulots à l’occasion. J’ai beau être légalement mort, je dois tout de même déclarer mes revenus tous les ans – les deux services ne sont pas rattachés.
Cette situation a-t-elle changé ta philosophie de vie ?
Je fais des blagues sur l’au-delà et les amis morts que je m’y suis faits. Mais il s’agit surtout d’un mécanisme cathartique.