73 % des musulmans français de 18-24 ans respectent le ramadan, selon une enquête IFOP pour La Croix parue en 2011. Le chiffre est ancien, mais il donne une idée de l’incroyable essor de cette pratique puisque vingt-deux ans plus tôt, en 1989, ils n’étaient que 59 % à observer ce mois de jeûne rituel. Avec les plus de 55 ans, les jeunes forment ainsi la tranche d’âge la plus concernée par le ramadan.
« Depuis le début des années 2000, et l’émergence de la troisième génération de musulmans, il y a une quête identitaire très présente, qui passe par la réappropriation des rites », explique l’islamologue Rachid Benzine. Qui ajoute : « Elle est beaucoup plus forte que dans les années quatre-vingt, car aujourd’hui l’identité passe plus par l’islamité que par l’appartenance à un pays d’origine. » À l’image de Farid, étudiant de 20 ans, qui pratique le ramadan depuis 10 ans : « Ça a commencé par tradition familiale. Mon père le faisait, ma grande sœur le faisait… » Pour lui, le quatrième pilier de l’islam n’est plus un truc de vieux : « Avant, il n’y avait vraiment que les darons qui le faisaient. Maintenant, les petits s’y mettent aussi, pour ne pas se sentir exclus. Même ceux qui font plein de bêtises pendant l’année veulent le faire ! »
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Logique, selon Haoues Seniguer, spécialiste de l’islam qui rappelle que le ramadan est, au fond, « une pratique plus culturelle que religieuse ». D’ailleurs, « certains jeunes musulmans, qui ne brillent pas par leur assiduité religieuse toute l’année, vont faire le ramadan ». Pour le politologue, ce qui fait la particularité de cette fête islamique, c’est justement qu’« on y met ce qu’on veut : du religieux, du prescriptif, du culturel… » Pour preuve, les musulmans ne sont pas les seuls concernés. « Certains jeunes, non-musulmans, pratiquent le ramadan par solidarité ! Pour respecter l’autre, certains couples mixtes le font aussi. Ce n’est pas le kit complet, avec les cinq prières par jour, mais il y a une confraternité », précise Haoues Seniguer.
« J’écoute la B.O. de la mort de Nagy pendant le ramadan » – Médine, rappeur
Clairement, la nouvelle génération s’est réapproprié le ramadan. Et la pop culture lui a emboîté le pas. L’année dernière, les rappeurs Gradur, Sneazzy, Kaaris ou Maître Gims y sont tous allés de leur message de soutien sur les réseaux sociaux. Rohff attend même la fin du ramadan 2018 pour annoncer la sortie de son nouvel album, Surnaturel.
Dans les années 90, déjà, la radio Générations diffusait des dédicaces à ses auditeurs-jeûneurs. À la même époque, La Fouine rappait : « Et puis quand t’as de l’argent / Ben, c’est tous les jours l’Aïd / Quand t’en as pas, malheureusement / C’est trop souvent le ramadan. » Dix ans plus tard, même rengaine : dans son dernier album, sorti en avril 2018, Médine dit écouter « la BO d’la mort de Nagy pendant le ramadan ». En 2016, c’était le journaliste Mouloud Achour qui lançait – avec succès – la revue éphémère Téléramadan. L’édito annonçait un « grand remplacement », parodiant la théorie de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus : « Nous reprendrons notre place, prise par ceux qu’on autorise à penser. Nous ne voulons parler qu’en NOTRE nom. De NOS goûts et de NOS couleurs. Nous sommes le Grand Remplacement d’une génération qui s’active sur Internet pour contrer les coups bas. »
Le ramadan est-il devenu un marqueur générationnel ? « Il a toujours été un élément fondateur chez les jeunes, un événement vécu comme un rassemblement social, beaucoup plus pratiqué que la prière. Tous ces éléments culturels montrent bien qu’aujourd’hui les identités s’affichent, s’expriment davantage, notamment sur Internet », assure Rachid Benzine.
« Depuis un an ou deux, j’ai l’impression que parler du ramadan n’est plus tabou » – Maroua, youtubeuse
Une pop culture revendicatrice qui s’épanouit, évidemment, sur le Web. Ancienne athée convertie à l’islam, Sabrina, 21 ans, raconte : « Internet nous aide à entretenir un lien avec la communauté musulmane. Beaucoup ne fréquentent pas les mosquées. Alors le Web, au travers des comptes Twitter ou des pages Facebook, nous aide à soutenir nos frères et sœurs. » Elle dit avoir « énormément » appris en ligne pendant sa conversion, il y a trois ans. Et pour cause : Internet regorge de « conseils pour faciliter le ramadan », de groupes Facebook de rappel ou de dizaines de milliers de publications sur Instagram.
Même constat sur YouTube. Sur le plan de travail gris de sa cuisine, Maroua, vidéaste au million d’abonnés, plie précautionneusement les bricks pour l’iftar, le repas du soir pendant le ramadan. Sa voix fluette annonce : « Si vous voulez que je vous publie les recettes, faites-moi signe ! » La caméra de cette jeune femme de 19 ans s’invite à table. Gros plans sur les aliments et musique dansante, on est dans l’ambiance. La Niçoise raconte : « C’est un moment que j’adore. Pas pour la nourriture, mais parce que j’adore les rassemblements en famille. On rigole, on parle, on regarde des feuilletons algériens à la télé. »
Cette vidéo, publiée sur YouTube en 2015, totalise plus de 3 millions et demi de vues. C’est, de loin, le plus gros succès de la chaîne de Maroua, alias TheDollBeauty. Pour elle, rien d’étonnant là-dedans : « Lorsque je l’ai publiée, très peu de personnes parlaient aussi ouvertement du ramadan. Je pense que les gens ont été attirés par curiosité. » Depuis, la youtubeuse dit avoir reçu « énormément de demandes » de la part de ses abonnés pour qu’elle partage sa « routine durant ce mois sacré ». À ses yeux, un déclic a récemment eu lieu dans la société française : « Depuis un an ou deux, j’ai l’impression que parler du ramadan n’est plus tabou. » Et de conclure triomphalement : « Lorsque j’organise des rencontres, de jeunes abonnés me confient qu’ils vont observer le ramadan pour la première fois. Et ça, ça me rend fière. »
Des conseils sur le look, la nourriture ou la déco pendant le ramadan, Asma Fares en donne depuis 2013. Chaque année, l’entrepreneuse, à la tête d’un site de vente de hijabs, sort une quinzaine de vidéos pour sa série YouTube « dans le style “feuilletons du bled” », intitulée « Ramadan’Up ». Le but ? « Créer une ambiance conviviale et chaleureuse, comme celle qu’on vit pendant le ramadan. » Derrière tout ça, de la pub pour des sites de produits de beauté ou de « mode musulmane ». Le ramadan, un business d’influenceurs comme les autres ?
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