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Culture

Le créateur des Boondocks, Aaron McGruder, nous parle de « The Uncle Ruckus Movie »

C’est toujours horrible de voir le cinéma hollywoodien reprendre à son compte vos personnages de dessins animés...

C’est toujours horrible de voir le cinéma hollywoodien reprendre à son compte vos personnages de dessins animés préférés dans des films de merde. Pour chaque « success story » à la Sin City, on compte d’innombrables merdes, type Aeon Flux. Alors, quand j’ai entendu dire qu’il était prévu de tirer l’Oncle Ruckus des Boondocks pour le foutre sur grand écran dans une comédie interdite aux moins de 18 ans, je me suis posé pas mal de questions.

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L’Oncle Ruckus n’est pas un personnage de fiction ordinaire, et les Boondocks ne sont pas une bande dessinée, ni un dessin animé comme les autres. Les Boondocks, aujourd'hui en pleine préparation de la quatrième saison pour Adult Swim, est l'un des rares programmes télé à employer la satire pour critiquer violemment les questions raciales, politiques et idéologiques américaines. Et l’Oncle Ruckus est probablement le personnage le plus fascinant de la série, hilarant à en crever. Quand j’ai entendu parler pour la première fois du projet The Uncle Ruckus Movie, la dernière chose que je voulais était qu’Hollywood intervienne pour faire du cash facile sur des rires provoqués par les blagues racistes de Ruckus, sans amener les gens à réfléchir sur les messages plus violents que développe la BD Boondocks, ainsi que la série.

Puis j’ai vu la bande-annonce, et mes doutes se sont dissipés. L’acteur Gary Anthony, qui fait la voix de Ruckus sur Adult Swim, interprète Ruckus à merveille avec son gros bide et ses dents pétées. Parfait. Et plus important encore, le créateur des Boondocks, Aaron McGruder, assure que le film sera intelligent, dur et drôle, soit l'inverse d'une machine à fric traditionnelle.

Afin de réunir des fonds pour produire The Uncle Ruckus Movie, l’équipe d’Aaron a lancé un appel au don sur Kickstarter.com. Ils ne sont qu’à mi-chemin de leur objectif de 200 000 $ et il ne leur reste qu’une semaine pour l’atteindre. Donc bougez-vous et contribuez, car s’ils n’atteignent pas leur objectif avant le 1er mars, le projet n’aboutira pas et nous ne verrons jamais le premier Ruckus humain insulter ses semblables en pétant.

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J’ai prétexté l’annonce de The Uncle Ruckus Movie pour harceler les attachés de presse d’Aaron McGruder jusqu’à ce qu’ils me laissent lui parler une demi-heure au téléphone. Nous avons discuté du nouveau film, des origines de Ruckus, et d’un tas d’autres choses comme l’auto-détestation du peuple noir américain, des relations interraciales post-Obama, et de pourquoi Herman Cain était le seul véritable Oncle Ruckus au monde.

VICE : Pourquoi as-tu fait un film à propos de Ruckus ?
Aaron McGruder : Ça a commencé avec ce fait : il n'y avait aucun intérêt à faire un film avec Huey ou Riley parce qu’il est impossible de trouver des acteurs pour jouer leurs rôles. Même si nous avions trouvé deux enfants parfaits, ils auraient vite évolué en dehors de ce rôle. La série animée a tué dans l'œuf son adaptation au ciné : leurs voix sont trop ancrées dans l’esprit des fans. Si tu t’écartes de ça, les gens vont te haïr.

En quoi Ruckus était différent ?
Eh bien, nous pouvions utiliser la même voix que celle utilisée dans la série. Gary Anthony Williams est un acteur brillant. Il donne au personnage beaucoup de profondeur, celle que Ruckus ne peut avoir dans la série. Avoir Gary qui joue Ruckus nous permet d’avoir une adaptation fidèle de la série dans le film. C’est une idée bizarre mais plus on l’explore et plus on voit Gary comme un personnage interagissant avec de vraies personnes – ça marche vraiment.

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Comment as-tu imaginé le personnage de Ruckus ?
C’est venu petit à petit. Je venais juste d'imaginer les Boondocks et plusieurs potes déconnaient à coté de moi quand l’un d'eux m’a dit, « Aaron, tu devrais inventer un personnage nommé Ruckus d’après cetoncle méchant, là. » Je ne sais pas pourquoi mais ça m’a marqué. Le personnage a été créé a peu près en même temps que les autres, mais il est apparu plus tard dans la BD. J'ai dû le dessiner pour la première fois en 2003 ou 2004, quand nous étions en train de bosser sur le pilote de la série. J’étais en train de diriger l'équipe quand j’ai dessiné Oncle Ruckus. J’ai commencé par le gros œil.

Comment as-tu su que Gary était parfait pour le rôle d’Oncle Ruckus ?
Il est venu passer une audition, comme les autres. Nous avons passé pas mal de temps à auditionner des gens. Et, bam, cette voix est sortie d’un seul coup. Il n’y a pas eu de discussion possible. Je pense que Gary est l'un des mecs les plus talentueux dans ce milieu. Il a un sens de l’humour unique. Il est du niveau de Ricky Gervais – un mec avec un truc unique, impossible à copier.

Qu’est ce qui place Ruckus au-dessus des autres personnages, selon toi ?
C'était un personnage en avance sur son temps. Je regarde le monde d’aujourd’hui et il est surprenant de voir à quel point Ruckus cadre avec son époque.

Pourquoi donc ?
J’ai imaginé Ruckus avant la création du Tea Party, avant Herman Cain. Mais dans l’ère post-Obama, c'est toute une moitié du pays qui est devenue l'Oncle Ruckus. Le monde est de plus en plus polarisé, extrême. Ruckus incarne ça. Je me rappelle avoir maté CNN quand ils ont fait un parallèle entre Herman Cain, favori du parti Républicain, et l'Oncle Ruckus. Ils ont fait venir un expert qui montrait des images d’eux côte à côte… J’avais l’impression d’halluciner. Quand on a introduit Ruckus dans la série, il avait l'air amusant, marginal. Il était bizarre, extrême. Maintenant, il semblerait qu’il représente bon nombre d’idéologues de droites.

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Est-il difficile pour toi d’écrire ses répliques ? Elles peuvent être vraiment dures et pleines d'autodétestation.
Absolument pas. C’est très drôle au contraire. C’est si gros, si large et si fou. Mais nous sommes toujours attentifs à la portée de nos propos. Tu n’oublies jamais qu’il y a une ligne et que tu dois savoir quand et comment la franchir. Mais non, aussi con que cela puisse paraitre, c’est toujours un bon moment.

Es-tu effrayé que certains Blancs soient bêtes au point d'aimer le personnage d'Oncle Ruckus pour ses idées ? Ce fait déforme-t-il ton message originel ?
Ouais, il y a beaucoup de gens qui aiment les Boondocks pour de mauvaises raisons. Et beaucoup de gens n’aiment pas les Boondocks, également pour de mauvaises raisons. De la même manière que certains mecs pensent que Stephen Colbert est un vrai conservateur et que beaucoup de personnes aimaient All in the Family parce qu’ils appréciaient ce que Archie Buncker pensait du monde. Ils ne captent pas la blague. Quand tu fais ce genre de job, c’est inévitable. Les gauchistes qui ne comprennent pas l’Oncle Ruckus et disent : « C’est raciste, je ne regarderai jamais ça ! » ne voient pas le commentaire sur l’idéologie de droite, le racisme ou la haine de soi. Ils disent juste, « Oh. Racisme. Mauvais. » C’est la même chose avec les gens qui s’exclament : « Ces mecs se moquent des Noirs. J’aime ça, parce que moi aussi, je n’aime pas les Noirs. »

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En tant qu’homme noir, l’autodétestation de Ruckus est un trait de caractère qui le rend important à mes yeux.
C’est dur à dire. L’Oncle Ruckus représente un passé que nous pouvons observer et duquel nous pouvons rire parce que nous en sommes désormais éloignés. Mais je pense qu’en partie, le personnage est populaire car beaucoup de gens connaissent des mecs comme lui. Nous connaissons tous des Noirs bloqués dans les années 1800. Toute leur colère et leur rage d’être Noir en Amérique s'est, d’une certaine façon, répercutée sur les autres Noirs. Mais des mecs comme Herman Cain te font comprendre que cette haine de soi est toujours d’actualité. Beaucoup de personnages publics en sont victimes.

Comment penses-tu pouvoir réparer les dégâts ?
Il n’y a pas d'autre réponse que le temps. La mémoire s’efface au fil du temps. Je pense que nous sommes encore en proie à des versions contemporaines des séquelles de l'esclavage – c'est de là que vient la mentalité d’Oncle Ruckus. Il y a un tel langage utilisé dans le discours politique d'aujourd'hui qu'il nous ramène au temps de la ségrégation et de Jim Crow. Les bons alimentaires, les documents gouvernementaux, « Tout ce qu'ils veulent, ce sont des Cadillacs », etc.

Est-ce une bonne chose d’oublier le passé ? Ou est-ce que ça veut dire que nous sommes condamnés à le répéter ?
Les générations meurent, d’autres suivent et elles ne savent pas forcément ce qui s’est passé avant. Ça peut être une bonne chose parce qu’elles n’ont pas ce bagage à porter.

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Concernant cette idée de bagage – est-ce ça qui t’a amené à penser que jamais un homme noir ne pourrait être président dans ce pays ?
L’idée d’un président noir me semblait impossible car, dans mon idée, le président avait tous les pouvoirs. Évidemment, tu ne réalises jamais à quel point il n’a pas le pouvoir. Quand Ruban Studdard a été en finale contre Clay Aiken, il y eu la question de savoir s’il y aurait une American Idol noire. Évidemment, il y en a eu une, mais on sait tous que ce que ça veut dire : du pipeau enrobé de bons sentiments.

Tu ne penses pas que l'élection d'un président noir ait constitué une vraie différence ?
Quand il a été élu, je me posais des questions plus larges sur le système électoral américain. Je pensais que l'élection du Bush avait été truquée, etc. Puis je me suis dit que ces élections aussi avaient été truquées. Bien entendu, je ne porte pas beaucoup de crédit à cette théorie. Les gens sont facilement manipulés par les signaux émotionnels. Vous devez être vigilant. Quand Bush était président, j'avais beaucoup de sympathie pour les États républicains. Imaginez juste, avec Fox News, le degré de propagande auquel leurs électeurs étaient confrontés. Pour n’importe qui, c'est dur à maîtriser. Fox News, Rush Limbaugh, passent leur temps à marteler l’esprit des gens.

J'ai fait campagnepour Obama au premier tour, en 2008. Ça a été un réveil brutal quand j'ai réalisé que tout ne serait pasparfait après son élection – certains trucs ont même empiré.
Ouais, la sensation de bien-être à l'idée d'avoir unprésident noir, qui concluait le récit de plusieurs siècles de luttes pour les droits civiques, était vraiment puissant. Les gens voulaient y croire. Il est arrivé un moment où il n'y avait plus lieu de parler d’aucun problème parce que tout se résumait à être « pour » ou « contre » Obama. Je crois que c'était à dessein. Notre tendance à dire que tout est OK aujourd'hui travaille en faveur des personnes qui ont réellement le pouvoir. Même la question de savoir si sa présidence est bonne, je déteste dire ça, mais ce n'est pas le sujet. Je regarde le président comme un propriétaire terrien. Il a un certain pouvoir. Mais a-t-il la propriété de l'immeuble ? Non.

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Mais est-il quelqu'un de bien ?
[Rires] Je ne veux pas dénigrer le président, ce n’est pas ça. Quand j'étais jeune, je me vantais d'être informé et de suivre l'actualité. Aujourd’hui, plus tu fais ça, plus tu deviens con. Je n’ai pas voulu suivre la course cette année. Rien de tout cela n’était sérieux – ni les informations, ni les campagnes, ni les candidats. J'ai tout éteint.

Mais tu aimes la politique ?
J’ai fait de la satire politique pendant tellement d'années que j’ai dit tout ce que j’avais à dire. C’est ce qui rend Ruckus intéressant. Il est pertinent pour son époque. J’essaie juste de devenir le meilleur pour raconter des histoires. La politique, elle, ne m’intéresse plus. J'en ai bouffé autant que n'importe qui aurait dû en bouffer. Mais j'ai vite vu où le discours se dirigeait. Ça n'était pas quelque chose dont je voulais faire partie. Lorsque Herman Cain était le favori du parti républicain,je le regardais en me disant, « merde, c'est l'oncle Ruckus. »Maintenant, je me rends compte que c’est moi le cinglé parce que je n’arrive plus à considérer l’Oncle Ruckus comme quelqu'un de réel. Mais je refuse de faire de l’humour sur tout parti politique dans lequel serait impliqué l’Oncle Ruckus. J'ai fait le tour. Je ne regarderai pas l’Oncle Ruckus devenir président des États-Unis.

Soutenez The Uncle Ruckus Movie en filant des thunes à leur Kickstarter, ici.

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