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Sport

À l’entraînement avec les footballeurs sourds du Val-de-Marne

Loin des terrains de l'Euro, l'Olympique de Chennevières vient de célébrer son accession en première division sourde.

Le ballon rebondit d'une chaussure à l'autre. Les passes suivent les grands appels de bras. Dans ce calme relatif, la balle file d'un petit but à l'autre sur le terrain d'entraînement de Chennevières. Sur les hauteurs de cette commune située en bord de Marne, les membres des deux équipes continuent cet affrontement silencieux à quatre contre quatre, observés par une colonie de pigeons. Explication du silence : tous sont des footballeurs de l'Olympique des Sourds de Chennevières, un des sept clubs sourds de la région parisienne.

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Si les cris sont nettement moins nombreux qu'entre entendants, la pratique reste exactement la même. « La seule différence, c'est qu'avec les sourds, on doit enlever nos appareils auditifs et l'arbitre a souvent un drapeau en plus de son sifflet », décrit Christopher, malentendant de 29 ans habitué à jouer dans les deux catégories et meilleur buteur de Chennevières. Avec les sourds, lors du signalement d'une faute par le juge central, il n'est ainsi pas rare que le jeu continue jusqu'à une trentaine de secondes, le temps que tous les acteurs visualisent la fin de l'action.

Alors que j'échangeais avec Christophe Colas, l'entraîneur adjoint de l'équipe, son pote d'enfance Sébastien Trimel n'a pu s'empêcher de l'afficher en se replongeant dans leur mémoire commune : « En cadets, nous étions partis en Hollande pour un tournoi. Sur un match, Christophe avait fait un gros tacle à l'entrée de sa surface pour récupérer la balle. Sans entendre le coup de sifflet de l'arbitre, il avait remonté tout le terrain et marqué sur une terrible frappe de 40 mètres, puis était parti dans un tour du terrain les bras en l'air… avant de se rendre compte que le jeu avait été arrêté ! » Si le souvenir semble dur à vivre pour l'intéressé, la scène provoque toujours le rire de ses partenaires.

Plus de 20 ans après, l'ancien défenseur malentendant se fait encore chambrer. Entre sourds et entendants, pas de cadeaux. Même lorsque l'AS Franprix de Sébastien Trimel affronte l'OS Chennevières de Christophe Colas lors d'un habituel match amical de début de saison. « La cohabitation se passe bien, ce sont des gens très respectueux, et nos rencontres, même sans enjeu, sont plutôt engagées, détaille le co-responsable de l'équipe entreprise du coin. Mais on n'a encore jamais perdu contre eux ! »

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À le croire, les sourds de Chennevières auraient une affection particulière pour le jeu physique. « Une fois, notre gardien a reçu une espèce de semelle d'un des attaquants adverses, se souvient Sébastien Trimel. Si jamais certains de nos joueurs n'osent d'abord pas y aller à fond, leur réaction est rapide quand ils voient l'intensité déployée en face d'eux ! » À défaut de pouvoir se faire des appels de balle oraux, les footballeurs sourds, moins techniques, doivent nettement plus lever la tête pour se demander le ballon à base de grands signes.

Créée au début du XXe siècle, la discipline rassemble les sourds et malentendants qui ont une déficience d'à minima 54 décibels selon les règlements de la Commission fédérale du football des sourds, qui dépendent plus de la Fédération française handisport (FFH) que de la Fédération française de football (FFF). Dans l'hexagone, ils sont ainsi 1 200 pratiquants licenciés, répartis dans 36 clubs, dont 12 disposent de sections féminines. Mais de nombreux sourds jouent uniquement avec les entendants.

Du haut de sa trentaine de footballeurs, l'OS Chennevières vient pour sa part d'accéder à la première division sourde, après son titre à l'échelon inférieur, acquis à Rennes fin mai dernier. Fondée en 2011, la formation du Val-de-Marne a d'abord pour vocation de donner leur chance aux joueurs les moins utilisés des autres effectifs parisiens. « Il y a beaucoup de sourds et beaucoup d'écoles pour sourds, mais peu de clubs de foot. Aussi, bon nombre de pratiquants jouent peu, insiste Alexandre Tonus, le président, entraîneur et trésorier à l'origine de l'aventure. On a commencé avant tout pour le plaisir, puis on s'est pris au jeu. »

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S'il rassemble des joueurs venant du 77, du 93, du 94 ou encore du 92, l'ancien gardien de 33 ans a décidé voilà cinq ans de baser son club chez lui. « Tout le monde se connaît, s'entraide ici, avance Alexandre Tonus, ambulancier dans le civil. Mais pour avoir des aides, ça n'a pas été facile. » Désormais adjointe à la mairie de la commune, sa mère l'a aussi accompagné. « Elle milite surtout pour ne pas ignorer les handicaps », coupe-t-il.

Pour atteindre son budget annuel de 8 000 à 10 000 euros – nécessaires pour financer les nombreux déplacements de l'équipe aux diverses compétitions dans lesquelles elle est engagée –, le club peut ainsi compter sur le soutien de la municipalité de Chennevières, du département du Val de Marne, ou encore de la fédération départementale handisport. « Mais les entreprises nous ignorent encore, regrette le créateur et responsable de l'OSC. Pourtant, en nous soutenant, elles pourraient bénéficier de déductions fiscales. »

Titré en deuxième division, finaliste de la coupe d'Île-de-France, demi-finaliste de la coupe Rubens – du nom d'un des fondateurs des Olympiades sourdes –, et deuxième de sa poule en futsal (la pratique hivernale, qui a lieu entre la phase aller et retour du championnat), l'OS Chennevières vient de réaliser sa plus belle saison. Le club continue aussi à gagner en visibilité, meilleur moyen d'attirer de bons joueurs.

Néanmoins, étant donné que les clubs de sourds n'ont pas le droit d'engager deux équipes en compétition, Chennevières ne veut pas forcément compter plus de 30 footballeurs. « Depuis 2004, on encourage la création de clubs pour développer la pratique, justifie Brice Allain, directeur sportif de la Commission. On n'a pas intérêt à avoir deux équipes par club ; on préfère que chaque ville développe une structure. » Ainsi, la formation du Val-de-Marne s'inscrit parfaitement dans cette pratique.

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La bonne ambiance de l'OS Chennevières commence également à faire sa réputation. En ce doux soir de fin de printemps, après l'entraînement, les joueurs trinquent aux whiskies-coca et aux bières aromatisées au rhum. « C'est notre moment à nous, explique Christophe Colas, carriste chez Sanofi. On se comprend. On discute de choses et d'autres. Après des journées où on ne comprend pas tout, ça fait du bien ! Et encore, moi je parle, j'entends un peu. »

Petit cigare à la bouche, cet ancien défenseur central aujourd'hui gardien « pour dépanner » est plus sobre qu'aux débuts du club. « Pendant la première année, la troisième mi-temps durait parfois jusqu'à 4 ou 5 heures du matin. C'était top pour la cohésion du départ, mais on a vite ralenti. » Face aux mythiques ESS Vitry et CSSM Paris – tous les deux centenaires –, la mission pour le maintien s'annonce désormais cruciale dans la zone Nord de la D1.

« On aura clairement besoin de plus d'expérience à plusieurs postes, valide Christophe Colas. Et puis, il y en a certains qui arrêtent, d'autres qu'on ne veut pas forcément garder, et d'autres encore qui veulent revenir et qu'on teste en ce moment. Tout cela est en discussion. » Chez les sourds, la période des transferts dure jusqu'au 30 août, mais des recrues de Lyon, de Noisy-Le-Grand ou encore de Boulogne sont d'ores-et-déjà enregistrées.

L'OS Chennevières pourra également compter sur quelques talents pour mener l'équipe. Particulièrement vanneur à l'entraînement, le polyvalent atout offensif Moussa Sané a connu à 22 ans sa première sélection en équipe de France sourde. Le joueur venu de Lille voilà deux ans concède son ambition : « J'espère être pris pour la Turquie en 2017. » Là-bas, la France jouera les Deaflympics, sorte de JO pour les sourds pour lesquels les footeux viennent de se qualifier.

« Le niveau de la sélection a baissé depuis mon époque », complète Christophe Colas, qui compte plus de 50 sélections au poste de défenseur. La croissance des compétitions de foot pour sourds aurait entraîné une diminution de la technicité, en les enfermant parfois entre eux. « C'est vrai que, lorsqu'on informe un joueur d'une sélection, on l'encourage à évoluer aussi avec les entendants pour acquérir un certain niveau », reconnaît Brice Allain. Les meilleurs jouent ainsi parfois deux fois par week-end : avec les sourds le samedi, puis les entendants le dimanche.

« Néanmoins, certains sportifs sourds ne s'entraînent plus avec les entendants à cause de problèmes de communication, regrette Brice Allain, champion d'Europe avec les Bleus en 2007. C'est dommage, car le footballeur sourd est pénalisé au niveau physique pour entrer en équipe de France des sourds. » L'autre problème de la discipline est son clair manque de visibilité, et donc de reconnaissance. Est-ce qu'un titre mondial de la France aux Deaflympics en 2017 pourrait permettre de changer la donne ? « Peut-être qu'on en parlera au sein du monde handisport, mais il n'y aura pas de plus grande incidence, estime le directeur sportif de la Commission de la discipline. Il ne faut pas rêver, Hollande ne viendra pas nous féliciter. »

@PoussardBruno