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Le poison d'une grenouille d’Amazonie soigne l’alcoolisme et la dépression

Le kambo est un remède magique sécrété par un batracien géant et vert fluo.
Max Daly
London, GB
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
grenouille géante d'Amazonie

En mars dernier, Beth Marsh, photographe londonienne de 29 ans, a payé 80 euros pour se faire brûler la peau par du « kambo », le poison sécrété par une grenouille géante d'Amazonie, avant d'être invitée à vomir dans un seau sur fond de chants chamaniques.

Beth a décidé de s'adonner à cette cérémonie parce qu'elle avait entendu dire que le kambo pourrait l'aider à arrêter de se mettre des mines à longueur de journée. Ces cinq dernières années, elle avait consommé beaucoup trop d'alcool. Il lui arrivait souvent de s'évanouir sur la piste de danse après avoir bu dix Jägermeister à la suite.

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« La cérémonie était très agréable au début. Nous étions installés dans le salon de quelqu'un ; j'étais à genoux devant un petit autel sur lequel se trouvait une grenouille, à côté de deux jeunes mecs que je ne connaissais pas, explique Beth. Le guérisseur chantait et agitait de l'encens autour de nous. Dans le fond de la pièce, une chaîne stéréo passait des bruits de forêt. [Le guérisseur] a réalisé trois petites brûlures sur la peau de mon bras avec un bâton d'encens, puis les a nettoyées avec une goutte de poison de grenouille, en utilisant un morceau d'écorce. Je me demandais ce qui allait bien pouvoir se passer. »

Alors que le poison entrait dans son système lymphatique, Beth a senti sa tête vaciller. Elle a eu l'impression d'avoir ingéré « des tonnes de poppers », selon ses dires. Au bout d'une minute, elle a commencé à vomir dans un seau. L'homme à sa gauche n'arrêtait pas de pleurer et l'autre mec était très malade. Beth a pourtant senti une complicité s'installer entre elle et ses deux compagnons d'infortune. Le praticien prenait soin d'eux et marmonnait des encouragements. Ils ont fini par se détendre, puis ont mangé des fruits et évoqué de ce qui venait de se passer.

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Beth lors d'une soirée

Une chose a étonné Beth : après la cérémonie, elle est restée sobre pendant toute une soirée. Cependant, après quelques semaines, elle a « commencé à vouloir se bourrer de nouveau la gueule ». Elle a donc pris une autre dose de kambo. Avant sa troisième session, elle se sentait différente : « C'est un changement énorme. Je ne veux pas retrouver l'ivresse et la gueule de bois. »

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À l'instar de l'ayahuasca, une boisson hallucinogène, le poison de grenouille – qui fut d'abord utilisé par les tribus amazoniennes pour conjurer la maladie – est devenu un élément phare de la médecine alternative. Sur Instagram, le hashtag #kambo est repris dans 5 600 posts – généralement des photos de brûlures accompagnées de commentaires tels que : « Jetez un œil à ma brûlure de guerrière ! », ou « Je commence à aimer ces petites cicatrices ».

Au Royaume-Uni, de plus en plus de gens pratiquent des cérémonies de kambo – après avoir été formés en Amazonie ou par l'intermédiaire de l'International Association of Kambo Practitioners. L'IAKP compte déjà trois praticiens au Royaume-Uni et plus de 50 autres dans le monde. Les cours affichent toujours complets.

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Laura en Amazonie

Laura Horn, âgée de 29 ans et originaire d'Exeter, a été formée à la pratique du kambo dans le nord de l'Amazonie péruvienne lors d'une session de deux semaines de cours intensifs – pour la modique somme de 2 500 euros. Là-bas, elle a ingéré 13 doses de kambo en l'espace de 14 jours – ce qui représente une grande quantité de peau brûlée et de vomi.

Pendant sa formation, elle s'est rendue chaque soir dans la jungle avec les membres de la tribu afin de « récolter » la grenouille en question (Phyllomedusa bicolor) dans le bassin amazonien. De retour au camp, elle attachait les pattes de l'animal à quatre bâtons de manière à former un X, puis le tapait sur la tête afin de stimuler la production de poison. Une fois ce dernier récolté, la grenouille était relâchée dans la jungle, saine et sauve. Le bien-être des grenouilles est d'une importance capitale pour la communauté kambo.

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Depuis la fin de sa formation en janvier dernier, Laura dirige deux cérémonies par semaine – à 70 euros la séance. Elles ont généralement lieu chez l'un des participants, et peuvent accueillir jusqu'à cinq personnes. Elle affirme que ses clients « ne sont pas des hippies, comme on pourrait s'y attendre, mais des gens du quartier dans lequel j'ai grandi ». Lors de ces sessions, elle fait brûler de la sauge « pour chasser les énergies négatives » et passe des enregistrements de cris de grenouilles – un bruit étrange qui sonne comme le rire d'un méchant de bande dessinée. Laura affirme que ce traitement permet de « guérir la dépression, retrouver une clarté mentale et soulager la douleur ».

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Cicatrices portées par Emma après une cérémonie

Emma, biologiste dans la trentaine et nouvelle adepte du kambo, a voulu tester ce traitement après une rupture amoureuse qui l'a laissée au bord de la dépression. « J'étais prête à tout pour échapper aux antidépresseurs », avance-t-elle.

Après avoir effectué des recherches au sujet du kambo sur Internet et en avoir parlé au médecin d'une amie, elle a décidé de sauter le pas et de participer à une cérémonie. « Quand le guérisseur m'a administré le kambo en réalisant huit petites brûlures au niveau de ma cheville, j'ai senti mon visage gonfler, comme un poisson-globe – il est resté comme ça pendant deux jours, raconte-t-elle. Comme je n'arrivais pas à être malade, le praticien a soufflé une fumée spéciale dans mon nez. C'était vraiment horrible, comme si mon cerveau était frappé de l'intérieur. Je me suis couchée sous une couette et ai fermé les yeux. J'ai alors ressenti un sentiment de paix absolue, je me sentais complètement engourdie, mais dans le bon sens du terme, comme si ma tête était vide. Pour la première fois depuis longtemps, j'étais optimiste – j'avais l'impression que tout allait bien se passer. Je me sentais plus forte. »

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Emma a répété le traitement en mars mais, aujourd'hui, elle n'utilise plus le kambo. « Ça fout un vrai coup de pied au derrière, affirme-t-elle. Ce qui m'inquiète, c'est que nous ne connaissons pas les effets à long terme de ce poison. »

Alors que l'industrie pharmaceutique mondiale commercialise des milliers de médicaments pour traiter tout et n'importe quoi, pourquoi les gens se tournent-ils vers les sécrétions gluantes d'une grenouille amazonienne pour guérir leurs maux ?

Chris Shaw, professeur émérite à la faculté de pharmacie de l'université Queen's de Belfast, est l'expert mondial des sécrétions des grenouilles. Il explique que la grenouille géante se sert du kambo pour produire un « choc électrique moléculaire » dans la bouche d'un prédateur. Le poison diffuse des produits chimiques au sein de l'organisme de ce dernier, provoquant des régurgitations, des spasmes musculaires et des vomissements – d'où l'importance du seau pendant les cérémonies.

J'ai demandé au professeur Shaw de noter sur une échelle d'un à dix les données probantes concernant l'efficacité du kambo dans le traitement des troubles physiques ou émotionnelles chez les humains. « Deux, m'a-t-il répondu. L'efficacité du kambo n'est pas scientifiquement prouvée, mais je ne suis pas étonné que le kambo ait bien fonctionné pour des cas de dépression, étant donné le nombre de substances qui affectent le cerveau. Le kambo conduit à un réarrangement du système nerveux ; il modifie notre neurochimie. »

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Laura Horn pendant une cérémonie kambo

Selon le professeur Shaw, le kambo peut présenter un risque modéré de dépendance. Il souligne que si un organisme est régulièrement surchargé de molécules, le corps arrête la production de la même molécule – ce qui conduit à la nécessité de trouver un substitut. Selon le professeur Shaw, une recherche effectuée sur les tribus indiennes qui consomment le kambo a révélé qu'elles devaient augmenter les doses au fil du temps.Cela confirme l'expérience des utilisateurs du kambo au Royaume-Uni, qui éprouvent le besoin de répéter l'utilisation. Les praticiens tiennent à souligner que le kambo devrait être limité à 12 doses par an.

Ce qui est sûr, c'est que le kambo est un véritable cocktail de plus de 100 substances chimiques. Jusqu'à présent, 70 brevets sur des composants isolés et synthétisés à partir du kambo ont été déposés. Le kambo contient des propriétés psychoactives – même si l'IAKP affirme le contraire. Ainsi, en vertu de la nouvelle loi britannique sur les substances psychoactives – qui entrera en vigueur le 26 mai – le kambo sera techniquement illégal.

Harry Sumnall, spécialiste au Centre de santé publique de l'université de Liverpool John Moores et membre d'un conseil consultatif sur l'abus de substances psychoactives, précise la chose suivante : « Cette sécrétion contient des peptides opioïdes comme la dermorphine, la dermenkephaline et la deltorphine. Ce sont de puissants agonistes des récepteurs opioïdes dans le système nerveux central ce qui, par définition, aura une incidence sur la santé mentale de l'individu. Il est inexact d'affirmer que ces médicaments ne sont pas psychoactifs. »

Le cannabis de synthèse et la cathinone étant les principales cibles de la nouvelle loi antidrogue, ce serait un vrai gaspillage de ressources pour la police de s'attaquer à la communauté britannique du kambo – surtout tant qu'aucune preuve tangible ne lie le kambo à un danger sanitaire immédiat.

Les gens se détournent de plus en plus de l'industrie pharmaceutique, bien plus intéressée par les profits que par les remèdes. La montée en puissance du kambo en est la preuve. Comme le souligne l'histoire du commerce des drogues illicites, mieux vaut réglementer le marché en plein essor du kambo – un traitement alternatif très utile à certains – que de l'interdire complètement et d'ouvrir ainsi la porte aux charlatans.

@Narcomania