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Savio : C'est les mecs de M6 qui m'ont appelé. Ils cherchaient des gens bizarres et ont visité des sites de festivals de performances auxquels j'avais participé. Ils ont contacté plusieurs personnes – dont moi – sur Facebook pour me demander si je voulais participer. Je ne connaissais pas l'émission et ça ne me disait pas trop au début, mais j'ai fini par accepter.Qu'est-ce qui t'a convaincu ?
Je me suis dit que c'était peut être la seule occasion d'aller à la télé. J'allais jouer le jeu et créer une nouvelle performance. Même si j'avais peur et que j'allais sûrement passer pour un débile, j'avais 22 ans et je m'étais dit que c'était peut-être la seule occasion de le faire. Ils m'ont demandé de refaire une de mes performances, The Meaningless Quotidian Life of Mister Debernadis. Ça parlait du rituel du quotidien qui se répète et qui tourne en rond comme une table, un cycle qui ne termine jamais. Cette performance traite de la vacuité de la vie quotidienne. Je me suis dit que le fait de participer à cette émission pouvait devenir une œuvre d'art en soi.
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Je me suis dit que j'allais profiter de cette occasion : je n'avais pas d'argent et quand ils m'ont appelé, j'étais en Italie chez mes parents. Je leur ai dit que je participerais s'ils me payaient des billets d'avion aller-retour France-Italie. Quand ils ont accepté, j'ai décidé de tirer la corde, de tester leurs limites. Comme je voulais voir une amie à Vienne, j'ai demandé un billet pour l'Autriche. Ensuite, je me suis souvenu que je voulais participer à un workshop de performances à Istanbul mais que le voyage coûtait trop cher – et ils ont tout payé !Je crois que ça leur a coûté dans les 200 balles, pas-grand chose au final. Mais à l'époque je trouvais ça énorme rien que pour participer à une émission ! Sans compter l'hôtel où je devais séjourner. Je n'y suis même pas allé, c'était à Issy-les-Moulineaux…
À la base, ma performance dure 20 minutes et se déroule dans un contexte artistique. Eux voulaient la même chose, mais en trois minutes à la télévision. C'était déjà absurde de faire la performance dans un contexte artistique mais là, complètement décontextualisée et compressée, elle devenait encore plus absurde, plus rien n'avait de sens. Ce qui prenait du sens au final, c'était d'aller à la télé.
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Je pense qu'ils savaient, mais je ne les ai pas croisés avant. Ce qui m'a intéressé, c'était la discussion avec eux après la performance. C'était le moment qui me faisait le plus flipper, je voulais défendre mes idées mais rester détendu. Ils m'ont demandé : « Mais il est où votre talent ? », question de base en art. Notre discussion n'avait plus aucun sens, signe que je les avais attrapés dans mon jeu de l'absurde. Un autre a fini par me dire « Vous devez arrêter tout ça », ce à quoi j'ai répondu « C'est le meilleur conseil que j'ai jamais eu ». Ils ont largement préféré le numéro avant moi – c'était une fille qui dansait avec ses fesses.On reçoit des critiques, on partage un truc avec le public – on dirait un grossier résumé du monde de l'art en quatre minutes.En parlant du public, ça fait quoi de se retrouver face à 400 personnes?
C'est comme les 50 choses à faire avant de mourir, avoir un public de 400 personnes qui rient ou s'offusquent en même temps. Il y avait un mec qui était chargé de tenir des panneaux où on pouvait lire « Rires », « Applaudissements », « siffler ». Pour un artiste, avoir un public de 400 personnes qui a des émotions si fortes – même si elles sont dictées par un régisseur –, c'est une espèce de parodie en soi.
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On a tourné deux mois avant que l'émission ne soit diffusée. J'avais un peu d'appréhension avant la diffusion, j'essayais de me cacher. J'étais encore étudiant à la Sorbonne et le lendemain, tout le monde l'avait vue et m'en parlait. En faisant des recherches, j'ai vu que la vidéo était sur Youtube. Ce qui était fou, c'était le débat dans les commentaires, les gens étaient vraiment partagés : soit ils me traitent de fou, soient ils me défendaient en disant qu'il devait y avoir un sens à tout ça.Le jury t'a demandé si c'était par rapport au gaspillage alimentaire, et beaucoup de commentaires sur YouTube font référence à ça. Cette interprétation te fait marrer ?
Je travaille sur la bouffe, c'était une des bases de mon travail pendant longtemps, mais jamais dans le sens « Je veux sauver les enfants Africains ». La nourriture, c'est l'une des choses les plus primaires qui nous caractérise en tant qu'humains et nous rapproche des animaux. Ce qui m'intéresse, c'est le rituel, son évolution, toute la construction sociale autour d'une chose aussi primordiale que le fait de se nourrir.
À la base, l'idée était de pouvoir exposer la vidéo en tant que vidéo d'art et de jouer sur la valeur commerciale de la chose, d'essayer de la vendre. Comme les droits ne sont pas à moi, la personne qui « achèterait » la vidéo écoperait de la responsabilité des droits – c'est un travail un peu conceptuel sur le marché de l'art. Si quelqu'un l'achète, s'il veut lui donner de la valeur et s'il la diffuse, il peut y avoir des risques de procès de la chaîne. Le propriétaire de la vidéo doit être prêt à payer. La vidéo même fait sa valeur.Deux ans après, quel regard portes-tu sur cette expérience ?
Pour moi, c'est une très belle vidéo et elle fait désormais la couverture de mon portfolio – et je remercie particulièrement M6 pour m'avoir donné cette opportunité.