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Je suis allé aux Alcooliques anonymes pour savoir si j’étais alcoolique

Mes beuveries à répétition m'ont-elles définitivement transformé en un authentique poivrot ?

Ceci n'est pas une photo de l'auteur. Photo via Flickr.

C'est un samedi particulier. Non pas à cause de ma gueule de bois, mais plutôt à cause du réveil matinal. Je me suis levé tôt pour aller au 55 e congrès national des Alcooliques anonymes afin de déterminer si oui ou non, j'étais alcoolique. Je m'interroge en effet depuis quelque temps – sans m'inquiéter outre-mesure, je le conçois – de l'influence négative de l'alcool sur mon existence, et j'avais envie d'avoir l'avis de spécialistes de la cuite et de ses sinistres conséquences.

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Quand on n'y connaît rien, il est assez difficile de s'auto-évaluer. Je considère que j'ai une consommation d'alcool normale. Je retrouve plusieurs fois par semaine mes amis autour de plusieurs bières, je me biture plus sérieusement les week-ends, je bois très rarement en journée, et jamais le matin. S'il ne me vient pas à l'idée de passer une semaine sans prendre une bonne cuite, ça fait maintenant longtemps que je n'ai pas réalisé de grand chelem, à savoir une semaine complète de soirées alcoolisées.

Je débarque donc au congrès des « AA » plutôt serein. Entre 1 100 et 1 200 personnes se sont déplacées avec moi ce jour-ci au Grand Rex, à Paris, pour assister à cette journée qui leur est dédiée à eux, les alcoolos.

Je suis à la bourre. Je prends place dans l'énorme auditorium du Grand Rex, presque rempli, et me dirige vers la scène. C'est la fin d'une conférence sur je-ne-sais-quel thème, et je découvre par là même l'embarrassante « Prière de la Sérénité », que tout bon membre des AA se doit de connaître et de réciter par cœur. Tout le monde, dans le public comme sur scène, se lève et se prend par la main – une dame à ma droite me donne la main sans me demander mon avis. Ils récitent, en chœur : « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d'en connaître la différence. »

Cette prière est assez gênante pour tout non averti. Hervé Chabalier, dans son livre Le Dernier pour la route, se voit expliquer lors de sa cure que « Dieu c'est ce que tu veux, ta puissance supérieure, le groupe, une lumière intérieure. » D'autres conférences prennent rapidement le pas, parsemées de films exposant des témoignages inaudibles d'AA floutés, qui racontent leur effroyable expérience avec l'alcool. Sur scène, je retiens le passage d'« Aurélien, alcoolique, abstinent depuis le 21 août 2011 », et la salle qui l'applaudit. Je profite de la pause de midi pour aller discuter avec lui.

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Photo via Flickr.

Aurélien a 30 ans, il a pris sa première cuite à 16 ans. C'est vite devenu « celui qui buvait le plus en soirée », jusqu'à ce que ses potes ne le suivent plus. Il a alors commencé à sortir en boîte tout seul, tournant à des dizaines de vodka-pomme par soirée. Aurélien le timide devenait Aurélien le violent. Il se battait avec des vigiles et parfois, des gens normaux. Puis il s'arrêtait, à 8 heures du matin, pour acheter cinq canettes de bières chez l'épicier pour se finir, seul. Il connaissait tous les bars de son quartier qui ouvraient à 7 heures et fermaient à midi.

Pour toute explication, Aurélien me dit, l'air un peu résigné, que c'est ainsi que les choses sont faites. « Il y a des gens qui peuvent boire beaucoup d'alcool et qui n'auront jamais de problème d'alcool. » Le truc intrigant, c'est que pendant cette sombre période de fête effrénée et d'alcoolisme, il lui arrivait aussi de ne pas boire pendant trois semaines. C'est une chose dont je ne me sens personnellement pas capable, tant les prétextes pour se mettre une caisse sont omniprésents autour de moi : crémaillères, anniversaires, matchs en tout genre, ou simplement « parce que c'est mercredi/jeudi/vendredi/samedi soir ».

N'oubliant pas pourquoi je suis venu me fourrer chez les AA, je lui demande de manière totalement égocentrée si d'après lui, je suis alcoolique. Réponse de l'intéressé : « Il n'y a que toi qui peux te dire que tu es alcoolique ». Réponse un peu vague, selon moi. Aurélien poursuit : « Je pense qu'être alcoolique, c'est ne pas contrôler sa consommation. Moi, dès que je prenais un verre je ne pouvais pas m'arrêter. Deux bières devenaient dix. Une fuite incontrôlable. »

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Comment ne pas penser aux innombrables traquenards, comme on les appelle stupidement, qui ont parsemé mon existence étudiante. Beuveries surprises d'après cours qui se terminaient à 5 heures du matin en lieu et place d'un honnête et responsable 22 heures. Je refuse néanmoins de me déclarer alcoolique, maintenant, tout de suite. Je ne sais même pas si j'ai un réel « problème » avec l'alcool. Aurélien, lui, le savait. Mais il s'auto-persuadait qu'il n'était pas alcoolique : « Pour moi, les alcooliques c'était des gens qui buvaient tous les jours – qui finissaient dans le caniveau. C'était plutôt genre, "ouais j'ai peut-être un problème". Je me disais tout le temps qu'il fallait régler ça – puis je retombais dedans », m'a-t-il avoué.

Photo via Flickr.

Au détour d'un buffet réservé aux invités, je tombe sur le Dr Jacq. Ledit buffet est surmonté de légumes frais et de nombreuses bouteilles d'Évian. Dr Jacq est médecin, chef du centre d'alcoologie Gilbert Ravy, à Meulan, dans les Yvelines. J'attrape une carotte tiède, je lui raconte sommairement ma vie nocturne et mes habitudes et je lui demande si je suis alcoolique. Il me répond : « C'est un peu compliqué d'y répondre comme ça », ce que je considère comme une bonne entrée en matière. « La maladie alcoolique est une aliénation, dans laquelle on devient étranger à soi-même. Une bonne question serait : "est-ce qu'à un moment, dans l'usage de l'alcool, je fais, je pense, j'agis de façon telle que ça ne me ressemble pas ? » En gros, on peut se considérer comme alcoolique à partir du moment où l'on boit tant que l'on change de comportement, que l'on switche. Le docteur poursuit : « Vous décidez de boire deux ou trois bières avec des copains et vous terminez à une dizaine, vous aviez décidé de rentrer à 20 heures et finalement il est 3 heures du matin. C'est vraiment l'idée de devenir étranger à soi-même. Vous perdez la maîtrise de votre vie. »

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Ce qu'il décrit comme « une perte de maîtrise de sa vie » n'est pour moi qu'un synonyme de la vie tout court. Au vu des gens que je fréquente, ça semble être normal pour un bon paquet de personnes de boire trop de pintes, trop de fois dans la semaine. Mais le Dr Jacq m'explique qu'on n'est pas tous sur un pied d'égalité face à l'alcool. L'alcoolisme est d'abord ce qu'il appelle une « maladie des émotions ». On boit car on gère mal les surcharges émotionnelles : timidité excessive, colère excessive, mal-être excessif, la liste est longue. Boire nous normalise en société, et c'est fantastique : on devient drôle, décomplexé, joyeux, on arrive à tenir une conversation normale avec une fille ou un mec.

Pourquoi j'arrêterais ? Peut-être parce que les choses se compliquent quand on est physiologiquement paré aux contrecoups de l'alcool.

Le Dr Jacq m'explique que dans la population, en général, il y a des gens bien protégés contre la boisson. Et ce ne sont pas ceux auxquels on pense. « Ce sont des personnes plutôt intolérantes, m'annonce le docteur. Ces gens-là vont faire comme tout le monde : le 31 décembre, ils vont boire un ou deux verres de trop, et les jours suivants ils vont se mettre à l'eau car ils auront une telle gueule de bois que ça va les calmer. Et puis vous avez des gens qui n'ont pas ça. Finalement, ils vont assez vite tolérer les ivresses. Ils seront sans frein. Tolérer l'alcool plus que les autres, c'est un risque. »

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Inquiet, je demande au Dr Jacq si dans le cas où après une cuite je me réveillais comme une fleur, il faudrait que je consulte un spécialiste. « Par exemple, oui, me répond-il. Ça ne veut pas dire que vous allez devenir alcoolodépendant. Néanmoins, ça veut dire que ce n'est pas votre corps qui va vous arrêter. »

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Je récapitule à mon interlocuteur. Si l'alcool fait de moi un mec cool, et qu'en plus je ne prends pas trop cher le lendemain matin, c'est l'alliance mortelle. Dr Jacq précise : « Si l'alcool vous aide à être en lien avec les autres et à gérer vos émotions, et qu'en plus votre génétique est telle que vous ne ressentez pas d'effets négatifs rapidement : vous êtes en danger. On dit souvent que sur une bande de dix jeunes, celui qui tient debout le dernier, c'est celui qui est le plus à risque. »

Parmi les nombreux autres facteurs de développement de la maladie alcoolique, se trouve aussi – et surtout – le sexe. C'est une question qui se pose souvent chez les patients du Dr Jacq. « Quand vous leur demandez s'il y a des choses qu'ils n'ont quasiment jamais faites sans alcool, ceux qui vous en parlent diront : la sexualité. » Je ne m'étendrai pas sur la petite amie envolée, les performances épiques mais foireuses, les coups à regret. Être sobre à poil, c'est être trop sobre et trop à poil. Baiser sans frein, c'est de fait, baiser bourré.

L'introspection est maigre mais a le mérite d'avoir été entamée. Je ne sais pas vraiment si je suis alcoolique, car « ça fait partie de tout un processus », mais disons que je pense pouvoir assez sérieusement y sombrer si je ne faisais pas gaffe. Avant de partir boire des pintes avec mes amis, je demande au Dr Jacq s'il est inquiet pour moi. Il hésite un peu. Puis il me répond : « Je suis moins inquiet pour vous que pour d'autres. Au moins, vous vous posez des questions. »

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