avec « bonding », netflix lève (et cultive) le tabou autour du bdsm

Avec « Bonding », Netflix lève (et cultive) le tabou autour du BDSM

« La masculinité est, par essence, contraignante : elle génère d’importantes attentes, une lutte pour la domination et le pouvoir, alimente l’absence apparente d’émotions. Les hommes viennent me voir pour échapper à cette prison sociétale ». Cette phrase sort de la bouche de Tiff – étudiante en psychiatrie le jour, dominatrice la nuit et héroïne de Bonding, la nouvelle série Netflix qui s’attarde sur des vies liées au travail du sexe.

À l’heure où les dynamiques de genre se renégocient, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée, le BDSM – souvent perçu comme une expression sexuelle du pouvoir – s’inscrit parfaitement dans le zeitgeist. Qu’ils soient portés dans les clubs par des kids vêtus de PVC de la tête au pied, ou par des mannequins moulés dans des combinaisons en latex dans la collection automne/hiver 2019 de Christopher Kane, les vêtements qui étaient autrefois l’apanage des donjons sexuels sont aujourd’hui devenus de véritables affirmations vestimentaires. C’est particulièrement le cas pour les femmes, historiquement cantonnées à des rôles subordonnés en raison de leur genre : pour elles, porter le fétiche en tant que tenue de ville peut être une forme d’émancipation sexuelle. Cependant, si la culture mainstream s’est totalement appropriée leurs tenues, le travail des dominatrices professionnelles n’en est pas pour autant accepté par le grand public – pas même par les plus ouverts d’esprit d’entre nous. Et c’est là que Bonding entre en jeu : la série tente avec honnêteté – mais non sans problème – de démystifier le travail de cette catégorie de professionnels du sexe.

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Pete, aspirant comédien, traverse une période financièrement difficile, et cherche désespérément à arrondir ses fins de mois. Son amie Tiff lui propose un emploi très bien payé en tant qu’assistant dans le donjon qu’elle tient la nuit. Le début d’une sorte de cours accéléré pour débutants en BDSM et autres pratiques sexuelles underground. Le spectateur y apprend les bases du bondage, de l’ondinisme, ou encore du déguisement animal anthropomorphique. Mais la véritable vocation de Tiff – la psychiatrie – permet à la série de se centrer sur la psychologie du sexe, nous entraînant ainsi dans une exploration des limites entre la sphère personnelle et professionnelle, des problèmes d’intimité et des difficultés relationnelles liées à cet univers.

Dans les premiers épisodes, Tiff se révèle incapable de voir Pete comme son égal. Une attitude qui se manifeste au travers de remarques où elle le critique pour son manque de confiance en lui, allant jusqu’à lui dire de « retourner dans l’Indiana, là où est vraiment sa place ». Mais leur relation professionnelle redéfinit peu à peu le rapport de force. Pete développe un sens de l’initiative – il propose, par exemple, ses services tarifés en tant que dominé à la femme d’un de ses clients – et finit par apprendre à s’affirmer pour défendre ses propres envies et besoins. Son émancipation se lit dans la manière dont il parle à Tiff, et culmine avec cette prise de conscience : « Je croyais que j’avais besoin de toi, mais en réalité, c’est peut-être toi qui a besoin de moi. » La lutte pour le pouvoir est un motif récurrent dans l’amitié mouvementée entre Tiff et Pete. S’ils commencent par suivre un schéma dominant/dominé, leur dynamique devient graduellement bien plus latérale. Le BDSM apparaît donc comme un outil assez approprié à la résolution des conflits entre les deux amis. Une dispute particulièrement grave va pousser Pete à attacher Tiff, jusqu’à ce qu’elle prononce son safeword : « Je suis désolée. »

Peut-être est-ce justement à cause de son importante dimension psychanalytique que la série se laisse parfois aller à traiter les fétiches comme des maladies mentales. En réalité, les scénaristes suggèrent implicitement que les pratiques marginales sont le signe d’une croissance émotionnelle perturbée. Prenez par exemple le client dominé Fred, qui est présenté comme émasculé, et soucieux de plaire dans le cadre du jeu sexuel, mais aussi en dehors. Ou encore la sadique Daphne (interprétée par l’actrice de The Good Place D’Arcy Caden), qui est dépeinte comme étant hyper nerveuse et pleine de frustration refoulée – son désir d’infliger de la douleur pendant le sexe lui sert d’exutoire. La plupart des scénarios BDSM et des fétiches sont assez bon enfant, mais la série dépasse parfois les bornes et sombre dans la parodie – le mot de secours de Fred, par exemple, est Barney Rubble, et il a besoin d’énumérer les noms des différents personnages de la série Pierrafeu jusqu’à ce qu’il jouisse. Dans un monde où tous les clients sont loin d’être respectables, dignes de confiance, ou même fréquentables sans courir de danger, il est normal de se moquer du client. Pourtant, l’idée de rire aux dépens des gens aux pratiques marginales – ce qui semble être le credo des scénaristes – détonne avec l’ouverture d’esprit dont se réclame la série. Particulièrement lorsque l’on considère que les membres de la communauté BDSM sont déjà moqués et marginalisés à cause du poids écrasant des normes sexuelles.

Bonding Netlix

Le mépris fréquent à l’égard des autres travailleurs du sexe vient s’ajouter à la liste des éléments particulièrement problématiques de la série. Bien que Bonding se donne du mal pour mettre en avant la variété de compétences que les dominatrices développent dans leur vie professionnelle – de la confection de nœuds au jeu de rôle psychologique – cet effort ne s’étend malheureusement pas aux autres professionnels du secteur. La série suggère que les dominatrix appartiennent à une caste supérieure de travailleurs du sexe. Tiff fait des commentaires comme « tout le monde pense que le travail de dominatrix n’est que de la prostitution – alors que c’est une façon de se libérer de la honte » ou, lorsqu’elle fuit les autorités après une altercation avec un client : « Tu penses qu’ils vont nous croire ? Pour eux, nous ne sommes que des prostitués. »

Bonding exploite cette rencontre avec la police pour mettre en lumière les préjugés contre les travailleurs du sexe, ainsi que la menace courue par tous les travailleurs du sexe face à des clients violents dans une société qui ne leur donne pas assez de pouvoir.Il s’agit d’un point important à souligner, mais l’insistance avec laquelle Tiff et Pete sont présentés comme étant « plus » que de simples prostitués n’est pas anodine : elle dédramatise un travail sexuel plus « léger » (celui des camgirls ou des sugar-babies), tout en ne cessant de se moquer des prostituées. Pourtant, tout comme être comptable ne vaut pas mieux qu’être coiffeur, être dominatrice ne « vaut pas mieux » que la prostitution – cela requiert simplement des compétences différentes. On a parfois l’impression que la dissection chirurgicale des dynamiques de pouvoir au sein de la société – qu’il s’agisse de hiérarchies dans les contre-cultures gay ou des forces qui s’exercent au sein des universités– se fait aux dépens des abus dont sont victimes les travailleuses du sexe. Par exemple, la série ne fait aucune mention des lois FOSTA/SESTA qui répriment le travail du sexe – pas plus qu’il ne souligne qu’être dominatrix est illégal dans des Etats américains comme l’Arizona.

La série mène un important travail de démystification autour des dominatrices – Tiff est un personnage complexe et imparfait, et pas un assemblage de tropes sur les traumatismes d’enfance et la nymphomanie. Et pourtant, en se focalisant aussi précisément sur l’analyse des personnages ou sur la complexité des relations, la série évacue les réalités matérielles du travail sexuel. À l’exception des deux protagonistes principaux, nous ne voyons aucun autre travailleur du sexe ; pas même les femmes avec qui Tiff partage son espace de travail. Bonding a beau évoquer avec humour les paraphilies, la série manque l’opportunité de plaider pour une nouvelle législation. Si elle rempile pour une seconde saison, espérons donc qu’elle le fasse avec plus d’audace et de courage dans sa défense des travailleurs du sexe – et qu’elle s’empare de l’intime comme d’un véritable levier politique.

Cet article a initialement été publié sur i-D UK.

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