Ils s’appellent Jeanne, Louis et Florian, ont entre 18 et 28 ans, habitent Marseille ou encore Bordeaux et ont tous décidé, pour la première fois, de prendre le virage de l’extrême droite en 2022. Aussi surprenant soit-il, l’engouement des jeunes pour l’extrême droite est bel et bien là : le Rassemblement National de Marine Le Pen est devenu le premier parti des 25-34 ans et c’est une nouveauté depuis 2017.
Une récente enquête Ipsos-Ifop publiée début avril par le journal Le Monde indique que, contre toute attente, le poids du parti de Marine Le Pen auprès des 25-34 ans serait passé de 23% en 2017 à 29%. Et la présidente du RN multiplie les promesses à la jeunesse : dans son allocution annuelle du 1er-Mai, elle a dégainé un arsenal de mesures dont des aides pour les moins de 30 ans qui veulent créer leur entreprise ou encore la mise en place de prêts publics à taux zéro pour les jeunes couples.
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Qui sont celles et ceux qui ont basculé du côté du RN ? Pour quelles raisons ? Le vote de l’extrême droite est-il en train de se banaliser au sein de la jeunesse ? Pour tenter de comprendre, on a rencontré trois jeunes qui voteront pour la première fois Marine Le Pen à la prochaine présidentielle, entre sentiment de désillusion, colère et ras-le-bol général.
Louis*, 25 ans, juriste à Marseille
« J’ai toujours été républicain. J’ai flirté pas mal avec le cercle des Jeunes Républicains. Rapidement, ça m’a gonflé de voir l’entre-soi et le carriérisme, je me suis effacé de tout ça pour me concentrer sur mon travail et le monde judiciaire. Et, petit à petit, je me suis rapproché des idées de l’extrême droite. Mes parents sont militaires et j’ai toujours été éduqué à la fierté nationale et à l’amour du pays. C’est ce qu’incarne Marine Le Pen à mes yeux, non pas le mieux mais le plus. C’est à la fois un vote de rejet des autres partis et un vote d’adhésion, notamment sur le volet identitaire et sécuritaire. En 2017, j’avais voté François Fillon au premier tour. Au second tour, j’étais embêté et j’ai vraiment hésité à voter Le Pen. Puis, je me suis dit ‘Non, quand même pas’. Macron incarnait le côté ‘nouveau’, l’entre deux, ni gauche ni droite. Je me suis dit ‘Pourquoi pas’.
« Les mesures qu’elle propose comme l’augmentation du nombre d’effectifs dans les forces de l’ordre ou l’accroissement du nombre de magistrats en France, on en a clairement besoin »
Je ne suis pas quelqu’un d’alarmiste mais la sécurité, j’y suis confronté au quotidien avec mon métier. Pour moi, il y a un problème sécuritaire lié à l’immigration. Elle est massive en France, elle provient des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Je ne dis pas qu’il y a des cultures mieux que d’autres, je dis qu’il y a une inadéquation de ces personnes à fonctionner avec la culture française. Je veux vivre en paix dans mon pays. Je pense qu’on a le plus beau pays du monde. Quand tu vois l’augmentation des infractions… Certes, il y a une baisse du nombre d’homicides en France depuis 30 ans (Entre 1993 et 2020, le taux d’homicide a baissé de 3 à 1,3 pour 100 000 habitants, ndlr), c’est vrai, mais, en parallèle, il y a plein d’autres infractions qui sont commises, celles contre les personnes par exemple (atteintes sexuelles, vols…etc). Ce sont ces infractions qui pourrissent le quotidien des Français et qui amènent un climat d’insécurité. Au quotidien, quand t’allumes la TV, tu vois tout ce qui se passe et tu te dis ‘Merde, ça aurait pu être moi’. Je pense que Marine Le Pen serait la première à vouloir changer ça.
Les mesures qu’elle propose comme l’augmentation du nombre d’effectifs dans les forces de l’ordre ou l’accroissement du nombre de magistrats en France, on en a clairement besoin. Pour l’immigration, elle veut expulser les clandestins qui commettent des infractions, récidivistes ou non. Elle a aussi fait un gros virage sur la sortie de l’Europe (En avril 2019, dans le cadre de son projet pour les élections européennes, Marine Le Pen a annoncé renoncer au référendum sur le Frexit et à la sortie de la zone euro, ndlr). Mais il y aussi plein de bullshit dans son programme. Elle fait du clientélisme comme peut le faire Mélenchon à gauche. Des choses qu’ils promettent mais qu’ils ne feront pas.
Le RN rassemble de plus en plus de travailleurs. Ce sont des personnes qui en ont marre. C’est un peu Monsieur tout le monde qui vote Le Pen aujourd’hui. C’est un ras-le-bol de la population qui se dit ‘OK, Le Pen fait chier, il y a plein de trucs sur lesquels je ne suis pas d’accord mais la situation me saoule tellement en France que oui, je vote pour elle’. Depuis 2017, il s’est passé plein de choses : il y a eu un énorme manque de courage de la droite dure, des têtes qui sont tombées comme Fillon et Sarko. Je pense que c’est un vote contestataire que de voter RN. On en a marre de cette situation, c’est tout le temps la même chose.
On stigmatise toujours les électeurs du RN mais il faudrait se poser les bonnes questions. Non pas pourquoi les gens votent extrême droite mais pourquoi les gens se sentent obligés maintenant de voter extrême droite. Il n’y a aucune remise en question de la part des partis. Personne ne se demande pourquoi ils vont tous là-bas et pourquoi on les perd petit à petit. Le politique n’admettra jamais ses erreurs, à droite comme à gauche, on est face à un mur. Les choses ne changeront qu’avec le vote.
Jeanne*, 28 ans, gestionnaire de paie près de Bordeaux
« Je n’ai jamais voté extrême droite. À chaque fois que je votais, c’était pour l’extrême gauche. J’avais un cercle d’amis dans lequel c’était la norme. En 2017, j’ai voté Mélenchon au premier tour, je n’ai pas voté au second tour car j’étais absente. Le moment où j’ai basculé, c’est quand j’ai commencé à me faire un cercle d’amis différent. J’ai commencé à avoir un regard différent sur les opinions politiques qu’on tenait comme acquises. Je les ai remises en question. De fil en aiguille, j’ai écouté d’autres points de vue que je n’écoutais pas avant parce que j’avais tendance à rejeter toutes les idées qui étaient différentes de celles de l’extrême gauche. Ce basculement, c’était il y a deux ans et demi, je dirais.
« Ce qui me pose problème, là où je vis, ce sont les déserts médicaux et Marine Le Pen veut lutter contre ça »
Ce qui me séduit au RN, c’est la continuité dans les idées de Marine Le Pen. C’est une des rares à n’avoir jamais changé d’avis comme de chemise sur ses convictions (Le Rassemblement National a néanmoins changé d’avis en 2020 sur son souhait de sortir de l’Europe, ndlr). C’est rare dans la classe politique. La plupart sont guidés par l’opportunisme. Leurs idées et leurs opinions sont dirigées en fonction des personnes à qui ils s’adressent. Une des mesures qui me parlent, c’est la suppression du droit du sol. Je trouve ça logique et ça aurait dû être acté depuis bien plus longtemps que ça.
Elle veut aussi fixer l’âge de la retraite à 60 ans, revaloriser le minimum vieillesse partout en France, baisser les tarifs de gaz et d’électricité. Ce qui me pose problème, là où je vis, ce sont les déserts médicaux et Marine Le Pen veut lutter contre ça. Pour avoir un rendez-vous avec un médecin spécialisé, ici, c’est le parcours du combattant. La santé devrait être accessible de manière simple, partout, et ce n’est pas le cas. Personne ne fait rien. Elle veut aussi redresser les numerus clausus pour les différentes filières de la santé et favoriser l’installation des médecins dans des zones complètement vidées. C’est important pour moi. Ce sont des mesures concrètes. La sécurité, l’immigration, l’emploi, la santé… Ce sont des thèmes qui me touchent de plein fouet au quotidien. Je pense que son programme est cohérent, les mesures qu’elle propose sont logiques, il y a un côté bon sens que je ne retrouve pas ailleurs. Ce n’est pas parce que les autres sont nazes que je vote pour elle.
« On a une histoire, des valeurs, un héritage, et ce n’est pas en le gommant qu’on va mieux s’entendre tous entre nous »
La crise liée au Covid-19 a révélé notre incapacité à produire sur notre territoire des choses de première nécessité, des choses vitales. On est obligé d’en appeler à d’autres pays, à l’autre bout de la planète, alors qu’on a les connaissances pour le faire en France. Avec Macron et son gouvernement, j’ai un sentiment de colère et de honte. C’est honteux qu’on ait laissé des personnes aussi corrompues et malhonnêtes nous diriger. Je n’ai aucune confiance en eux. C’est de la com’ : ils parlent pour ne jamais rien dire ou faire.
Je connais pas mal de gens qui ont fait le même saut politique que moi. La chose qui est différente et décisive dans les deux partis (LFI et RN), c’est leur rapport à l’immigration. Chez La France insoumise, il y a une sorte d’utopie qui ne prend pas en compte la réalité de la vie. C’est beau sur le papier de dire qu’on va tous vivre ensemble, qu’on est tous des êtres humains, qu’on est tous pareils et qu’il n’y a pas de différences mais ce n’est pas ça dans la réalité. On a une histoire, des valeurs, un héritage, et ce n’est pas en le gommant qu’on va mieux s’entendre tous entre nous. Il vaut mieux avoir plusieurs pays qui s’entendent avec des frontières bien établies et des cultures chez chacun qui soient différentes et qui soient respectées dans l’espace de chacun, plutôt que d’avoir un grand bordel où plus personne n’a de repères et de racines. »
Florian, 18 ans, étudiant à Avignon en 1ère année de licence AES (Administration Economique et Sociale)
« Je voterai pour la première fois en 2022. Depuis toujours, je m’intéresse à l’Histoire de France et à l’Histoire européenne. J’ai un profond attachement pour nos traditions, notre culture et à tout ce qui fait la France. Pour moi, le RN est le seul parti politique se rapprochant le plus de cet amour pour notre identité nationale. Mais je ne suis pas tellement fan de Marine Le Pen. Ce sont plutôt ses idées qui m’attirent. C’est un vote d’adhésion aux idées du RN et un vote de rejet des idées mondialistes et des idées dites progressistes.
En priorité, ce qui m’importe, c’est l’identité et l’immigration. Je ne peux pas accepter l’idée de se laisser périr, culturellement parlant, au nom du multiculturalisme. Marseille, par exemple, est l’une des villes les plus multiculturelles de France. Et je ne veux pas que Marseille soit l’avenir du pays, même si la majorité des agglomérations françaises et européennes sont déjà tombées dans cet engrenage du multiculturalisme. Comment parler d’identité sans évoquer le thème de l’immigration ? La France n’a pas les capacités d’accueillir, et surtout, elle n’a plus les ambitions d’assimiler. (Avec 386 911 entrées enregistrées en 2018, la France occupe seulement la troisième place des pays qui ont accueilli le plus de personnes sur son sol, derrière l’Espagne et l’Allemagne avec 893 886 entrées, ndlr).
« Ces personnes sur les plateaux TV ou sur les réseaux sociaux qui donnent des leçons de morale et d’humanisme, en nous parlant de valeurs républicaines, sont les mêmes qui ont justement bafoué ces valeurs en rejetant le principe d’assimilation »
Depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs ont abandonné le principe d’assimilation au nom du différentialisme. Ces personnes sur les plateaux TV ou sur les réseaux sociaux qui donnent des leçons de morale et d’humanisme, en nous parlant de valeurs républicaines, sont les mêmes qui ont justement bafoué ces valeurs en rejetant le principe d’assimilation. Je suis favorable à l’idée de créer des guichets d’asile dans les consulats et ambassades pour traiter les demandes directement à l’étranger et, surtout, supprimer le droit du sol. Ces deux mesures me semblent nécessaires.
Emmanuel Macron est tout ce que je rejette. Ses petites phrases comme ‘La France n’a pas de culture, mais des cultures!’ ou plus récemment ‘Il faut déconstruire l’Histoire de France’ ne font que confirmer qu’il n’a aucun intérêt pour la nation, bien au contraire, il la méprise. Il méprise son peuple. Sa politique du ‘en même temps’ est insupportable. Dissoudre le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France, ndlr) pour faire plaisir à un électorat plutôt à droite puis dissoudre Génération Identitaire (Groupuscule d’extrême droite, ndlr) pour satisfaire la gauche, ce n’est pas le rôle d’un président. Il n’a pas de ligne claire et donc pas de politique claire. Je suis un amoureux de la France et de la civilisation européenne, je n’ai pas honte de défendre ça, quitte à me faire insulter de ‘fasciste’. On entend sans arrêt qu’il faut faire barrage contre le Rassemblement National avec le fameux ‘front républicain’, soit, mais où est le front républicain contre le terrorisme, la délinquance et l’islamisation de notre pays ? ».
*Les prénoms ont été modifiés
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