Avec des consommateurs de drogues qui aident d’autres consommateurs de drogues

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Sébastien Chouinard a commencé à prendre de la drogue à 11 ans. En quittant sa région du Saguenay, l’homme a suivi un traitement de méthadone, utilisé pour combattre la dépendance à l’héroïne ou à d’autres opiacés. Il a été sobre quelque temps, mais a recommencé plus tard, à une fréquence moins importante. « J’ai été chanceux en arrivant à Montréal parce que je suis tombé sur une gang qui m’a aidé. J’allais souvent manger chez Pops. C’est aussi de même que je rencontrais des gens avec qui j’avais le plus de facilité à être moi-même », explique l’homme âgé de 28 ans, installé à Montréal depuis plusieurs années.

Depuis mars 2018, Sébastien travaille pour le Groupe d’intervention alternative par les pairs (GIAP) comme pair-aidant auprès des consommateurs de drogues. Cet organisme communautaire, comme Plein Milieu à Montréal, engage des « experts de vécu » qu’on appelle les messagers ou les pairs-aidants afin de mettre en œuvre une approche de réduction des méfaits. Ils sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs de drogues avec un certain recul qui aident à leur tour d’autres consommateurs de drogues. Ils distribuent du matériel de consommation comme des seringues et des pipes à crack, fournissent des condoms, ramassent des seringues souillées pour nettoyer le quartier et distribuent des messages de prévention.

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Il s’agit du premier emploi de Sébastien, qui est passé directement de la rue à la prévention. « Avant de travailler ici, je quêtais en face du Jean-Coutu dans Hochelaga, mais j’étais prêt… Je consommais vraiment moins, pis j’avais un certain contrôle sur ma consommation. »

Il reconnaît qu’il a toujours profité des services mis à sa disposition. Peu à peu, il fréquentait les organismes et s’est créé un réseau d’aide. « En connaissant plus les organismes, je passais le mot. J’amenais du monde. Du monde qui était nouveau à Montréal ou dans la rue. J’ai toujours été une personne-ressource qui écoute ses amis. Un genre psychologue de la rue », dit-il.

« Consommer et vivre dans la rue, ce n’est pas tant loin de moi, mais j’ai une certaine stabilité, pis la posture pour être capable d’aider quelqu’un qui est dans cette situation-là », souligne celui qui consomme encore des drogues le soir ou les fins de semaine.

Danielle a un parcours similaire à celui de Sébastien. À force d’accueillir chez elle des gens qui consomment, elle se procure du matériel de consommation pour le fournir à ses amis. De fil en aiguille, elle commence à travailler avec les organismes qui fournissent le matériel en question.

Avec Julien, elle œuvre pour l’organisme Plein Milieu depuis de nombreuses années. Les deux comparses consomment de l’héroïne depuis une ou deux décennies, mais ils ont maintenant assez de recul pour faire ce travail. « Il faut être responsables. Si ton but dans la vie est de trouver ta dope pour ne pas être malade, tu ne peux pas travailler », explique Danielle. « On nous demande d’être à jeun deux heures avant notre shift », poursuit Julien. Deux heures par jour, ils vont à la rencontre des gens dans la rue.

Danielle fait également le tour du Québec afin de donner des formations sur les surdoses. Son collègue Julien rapporte qu’elle a sauvé plus d’une vingtaine de personnes dans sa vie. Elle visite maintenant les divers organismes de la province, grâce à un programme financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, afin de partager son expertise.

Parce qu’une société sans drogue n’existe pas

La réduction des méfaits est une politique de santé publique qui a fait son apparition au début des années 80 dans le but de diminuer les risques associés à une dépendance aux drogues, à l’alcool ou aux autres substances.

Face au constat que les personnes touchées par ces dépendances n’arrêteront pas nécessairement de consommer, la réduction des méfaits cherche à promouvoir des méthodes plus sécuritaires et à freiner la propagation des infections transmissibles par le sang. Son but est d’aider immédiatement les consommateurs de drogues, au lieu de les forcer à arrêter l’usage de substances, de les dissuader, ou pire de les stigmatiser.

Lorsque cette approche est exécutée par un pair-aidant ou un messager, comme Sébastien, Danielle et Julien, elle permet d’établir un lien de confiance avec certaines personnes récalcitrantes. Des liens qui seraient plus difficiles à créer avec des intervenants qui ne partagent pas la même expérience de vie.

En 1993, à l’initiative des intervenants de la Clinique des Jeunes Saint-Denis, quatre jeunes âgés de 16 à 18 ans issus de la rue sont embauchés afin de devenir des agents de liaison au sein de quatre organismes communautaires. Ils sont rémunérés de façon symbolique et ils ont le mandat d’entrer en contact avec ceux qui ne fréquentent pas les ressources. Ce projet nommé « C’est dans la rue que ça se passe » deviendra plus tard le Collectif d’intervention par les pairs, puis le Groupe d’intervention alternative par les pairs.

« Au début, le GIAP, c’était exactement ça. On donnait genre 10 piastres à quelqu’un, pis pendant deux heures, il devait dire à ses amis que le CLSC des Jeunes de la rue pis Le Bunker existent », explique Corine Taillon, chargée de projet pour le GIAP. « Avec le temps, ça s’est professionnalisé. Les pairs font maintenant 35 heures/semaine et ils ont des assurances. C’est à partir du moment où il y a eu une certaine stabilité dans les conditions de travail que ça a changé », poursuit-elle.

Le but de départ est toutefois resté le même.

« En tant que pair-aidant, j’ai l’opportunité de mettre de l’avant le fait que j’ai consommé et que j’ai été dans la rue. Tandis qu’un intervenant a une genre de barrière. Il faut qu’il garde ça professionnel, même si des fois il a un ostie de train de vie », avance à son tour Sébastien, le messager du GIAP.

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Il développe des projets alternatifs ou des trucs comme des mots croisés de prévention avec des définitions qui traitent de consommation, de la rue, de la drogue ou d’infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS). Il produit le matériel d’information qu’il aurait aimé recevoir lorsqu’il était dans la rue. À voir où il est maintenant rendu, il transmet un message d’espoir.