Une procuration « physique » pour ceux qui n’ont pas le droit de vote. C’est ce que propose le site Alter-votants, créé cette année sur l’idée de trois engagés. L’idée : mettre en relation des abstentionnistes, indécis ou déçus de la politique avec des étrangers résidant en France souhaitant exprimer leur voix. Les intéressés s’inscrivent sur le site, qui fait « matcher » des utilisateurs et crée des binômes. « Lorsque les contacts sont établis, libre à eux de boire un verre ou d’aller au restaurant pour discuter de leur vote », explique Thomas, cofondateur du projet.
Avec plus de 200 binômes constitués, la plateforme a connu un petit succès au premier tour. « Dans quelques rares cas, les personnes ne se sont pas rappelées », regrette Thomas. « On a eu un seul cas de profond désaccord politique. » Plus de 1 400 personnes souhaitent donner leur voix pour le second tour. Mais le nombre d’étrangers inscrits sur le site reste beaucoup plus important. Hamze Ghalebi est l’un d’entre eux. Cet Iranien résidant en France depuis 2010 s‘estime « privé du droit de vote ».
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« Mes amis réfugiés, qui vivent en France et n’ont pas la nationalité française, pensent que c’est normal de ne pas voter. Mais pour moi, non », explique Hamze. Sur Alter-votants, il a « matché » avec Marie, une étudiante qui voulait « donner du sens à son vote ». Elle lui a permis de voter Macron, « parce qu’il ne définit pas l’identité de la France de manière stricte comme Le Pen », justifie Hamze. Le binôme fera de même au second tour.
Hamze et Emmanuel Macron.
Depuis 1992, seuls les étrangers membres de l’Union Européenne résidant en France disposent du droit de vote aux élections européennes et municipales. Les étrangers hors-UE ne votent donc pas, même s’ils habitent en France depuis des années. L’extension du droit de vote aux étrangers est souvent critiquée par la droite, au motif qu’elle ferait gagner des voix à la gauche, et pourrait faire croître le communautarisme dans une campagne des élections municipales.
Dans son programme en 2012, François Hollande avait justement proposé l’instauration du droit de vote des étrangers aux municipales. Mais face à l’hostilité de la mesure à l’Assemblée nationale et dans l’opinion, il avait abandonné l’idée. Déçu par cette promesse non tenue, et convaincu que l’on « peut être citoyen et étranger », Thomas, fondateur d’Alter-votants, a décidé de donner sa voix à un résident étranger.
« Même si je ne suis pas Français, les débats me concernent beaucoup »
Mahoro, une Française d’origine rwandaise, a fait de même. « J’ai vu passer un post d’Alter-votants sur Facebook. L’idée de militer pour le droit de vote des étrangers m’attirait », indique celle qui a « toujours voté » depuis ses 18 ans. « Je ne suis pas abstentionniste », précise-t-elle. Elle forme son binôme avec un Américain prénommé Evan, qui réside en France depuis 2005.
Cette élection représente un enjeu majeur pour Evan : « Même si je ne suis pas Français, les débats me concernent beaucoup, notamment en termes de droit du travail, droit des étrangers et fiscalité » estime Evan, qui a suivi la campagne comme un électeur passionné. « Cette élection m’inquiète beaucoup aussi, avec la droitisation des Républicains, la xénophobie du Front national et le discours “poutinolâtre” de Mélenchon. »
Ancien encarté au PS, Evan a jeté sa carte « par frustration et désespoir ». Puis il a rencontré Mahoro, indécise, et a discuté avec elle plus d’une demi-heure. « J’avais posé une seule condition : ne pas voter à droite », précise Mahoro. « Après, ce n’est plus vraiment moi qui vote, c’est Evan. » L’Américain est ravi du concept. « Ce qui m’a plu, c’était de pouvoir discuter avec un indécis. Mais surtout d’avoir un impact sur le résultat. Faire en sorte que ce ne soit pas le pire qui soit élu, quoi. Ça me donne l’impression d’apporter ma petite pierre à l’édifice démocratique. »
« Ce vote, c’est une immigrée française qui donne sa voix à un étranger qui voudrait devenir français »
Deux minutes après avoir raccroché le téléphone, Mahoro nous rappelle : « Je voulais juste ajouter quelque chose d’assez marrant », dit-elle d’une voix hésitante. « Voilà : je ne suis pas née en France. En fait, ce vote, c’est une immigrée française qui donne sa voix à un étranger qui voudrait devenir français. »
Avec les deux qualifiés pour le second tour, Macron et Le Pen, les étrangers ne risquent pas d’ « apporter leur petite pierre » : aucun des deux candidats qualifiés pour le second tour n’est favorable à leur droit de vote. En mars dernier, Macron a déclaré « que l’exercice de la citoyenneté » se faisait « d’abord par l’accès à la nationalité ». Marine Le Pen, de son côté, est totalement opposée à une telle mesure, en accord avec sa ligne de « préférence nationale ».
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