Avec les adeptes du sexe tantrique

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« Je me suis aperçu que plus je recherchais l’orgasme et la compétition, plus j’étais dans la surenchère de l’acte. En lâchant cet objectif, je suis davantage à l’écoute de l’autre. » La première fois que Denis, 40 ans, a découvert le tantrisme (ou tantra), c’était en 2017 lors de vacances tantriques organisées par Sophie Noël, sexothérapeute, coach énergéticienne et créatrice de la méthode du « Oui à la Vie », dans un endroit paradisiaque situé entre forêts et montagnes ardéchoises.

Le tantrisme est avant tout un art de vivre et d’aimer, hérité de textes sacrés d’Inde du Nord datant d’il y a 7 000 ans, et développé en Occident par le guru Osho, donnant naissance au néo-tantra. Cette forme de développement personnel est une manière d’intégrer, grâce à une multitude de rituels basés sur la respiration, le souffle, la méditation ou encore la danse, que « les choses doivent aller doucement, dans l’instant présent », m’explique Nathalie Giraud Desforges, sexothérapeute et animatrice de stages tantra. Lorsque la sexualité est approchée par le biais du tantrisme, celles et ceux qui le pratiquent découvrent une palette de plaisirs inouïs. « La rencontre tantrique amène à faire monter l’énergie par la caresse, le massage, le regard, sans penser à ce que l’on a fait avant ou à la pénétration à venir. Quand tu es complètement dans ce que tu fais, tu n’as pas de fantasme ou de scénario préétabli, tu ne penses pas au coup d’après », poursuit Nathalie Giraud Desforges.

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Ces adeptes du tantra ont vu leur sexualité transformée. « Ne soyez pas impatient d’aboutir : demeurez à l’origine qui est plus détendue, plus chaude. Oubliez complètement la fin », suggère Osho. Dans l’intimité, les hommes se surprennent à ne plus rechercher la performance, et l’orgasme n’est plus considéré comme un sex goal. C’est le cas de Denis qui, lors de son expérience guidée par Sophie Noël, s’est adonné à l’exercice de « l’amoureuse invisible ». En imaginant l’énergie d’une partenaire – qui physiquement, n’était pas là – et se caressant simplement les mains, le torse, les jambes, s’est retrouvé comme dans une situation d’acte sexuel, et a atteint l’orgasme, seul et sans masturbation. « J’étais troublé. Plein d’émotions se sont réveillées », me confie-t-il sur Skype avant d’ajouter que « ça a changé mes relations sexuelles parce qu’avant je me disais qu’en tant qu’homme, il fallait que j’assure. Et en fait, je me suis rendu compte qu’un orgasme, c’est d’abord quelque chose qu’on s’octroie à soi. »

« J’ai l’impression qu’on peut kiffer sans une pénétration frénétique et sans éjaculation au bout » – Thibault, 29 ans

Thibault, 29 ans, a lui aussi imaginé cette « partenaire invisible » se blottir contre lui. Pour ce jeune homme qui a multiplié les relations sexuelles « chaotiques » par manque de confiance en lui et par crainte de mal s’y prendre, son rapport au sexe a évolué au bout de trois séances avec Sophie Noël. « Ça m’aide à enlever toute la pression que je peux me mettre avant un acte sexuel. J’ai l’impression que je peux retarder l’échéance, faire durer le plaisir, qu’on peut kiffer sans une pénétration frénétique et sans éjaculation au bout », remarque Thibault.

Cette manière d’appréhender la sexualité grâce au tantrisme a bouleversé la vie d’Aurore et Vincent, âgés de 34 et 32 ans. Après une dizaine d’années passées à explorer les surprises que réserve le Tantra, notamment auprès de Vasanti, psychothérapeute corporelle, ce couple a lancé ses propres ateliers et stages, en Suisse. « Pourquoi l’acte sexuel devrait-il toujours être top ? Avec le tantra, on lâche cette idée d’orgasme, de bien-être. C’est là qu’on amène quelque chose de magique, en étant surtout dans l’expérience », estime Vincent.

De son côté, Marie-Anne, une sex educator de 32 ans qui a assisté aux stages de Nathalie Giraud Desforges, approuve totalement cette vision du sexe : « Je ne suis plus là pour jouir ou pour faire jouir. Je suis vraiment dans la réceptivité. J’investis beaucoup plus mes sens, je maîtrise ma respiration, je m’assure que le partenaire prend aussi du plaisir. Ça change vraiment une vie d’apprendre à dialoguer dans l’intimité. » Quant à Marie-Claire*, 38 ans, elle vante un « sexe plus lent, plus doux ». Et de noter : « C’est vraiment intéressant dans une société où malheureusement, je trouve que les partenaires masculins sont trop rapides et le plaisir de la fille est négligé. »

« Mes histoires d’une nuit ne sont plus des plans culs mais des moments privilégiés » – Denis, 40 ans

Si la rencontre tantrique est d’une telle bienveillance, c’est qu’elle passe avant tout par une « ouverture de cœur », comme on la nomme dans le jargon. « Le partenaire ne se sent plus utilisé mais accueilli, accepté, honoré », souligne Nathalie Giraud Desforges. Pour Vincent, le tantra apporte des outils pour connecter le cœur et le sexe, et permet de déconstruire l’idée selon laquelle « après le mariage, il n’y a plus de sexe ». Cette manière d’aborder la sexualité offre une écoute remarquable du partenaire et de son propre corps. « On voit quand l’autre est blessé ou quand il est en colère. On comprend aussi que la sexualité peut se vivre en douceur, dans la sensualité, en investissant son énergie sexuelle autrement que dans un vagin ou dans un pénis, et sans repousser les limites de l’autre », témoigne Marie-Anne.

De son côté, même s’il couche avec des inconnues, Denis met un point d’honneur à cette ouverture de cœur. « Ça donne en termes d’expérience et de richesse, une qualité d’écoute qui est vraiment différente. Pendant longtemps, je cherchais des plans cul vite fait bien fait. Aujourd’hui, même si c’est juste l’histoire d’un soir, je ne vois plus ça comme un plan cul, mais comme un moment privilégié », insiste-t-il. Sophie Noël explique que « l’intimité sexuelle dans le quotidien est là pour bouleverser ses limites et élargir ses perceptions afin d’écouter chacune de ses sensations ».

Alix* est bien placée pour savoir que le cœur tient une place essentielle dans la sexualité. Cette jeune femme de 35 ans a choisi de mettre sa vie sexuelle entre les mains de Sophie Noël pour deux raisons : un manque de libido et une endométriose qu’elle « s’est créée pour ne pas subir les assauts masculins », d’après ses mots. « Le blocage sexuel vient du cœur. Toutes les peurs que j’ai par rapport aux hommes sont logées dans une carapace qui me ferme au niveau de l’amour. Si l’énergie ne circule pas vers le cœur, elle ne redescend pas au niveau du chakra racine [relié à la sexualité, N.D.L.R.] », explique-t-elle. Après trois semaines de travail sur cette énergie du cœur, Alix a découvert une sexualité avec son mec, qu’elle n’avait pas vécue depuis des années : « J’ai réussi à me libérer de mes croyances selon lesquelles mon mec voulait juste se satisfaire, était en manque et voulait coucher avec moi juste parce qu’il en avait marre de ne pas baiser. J’ai retrouvé mon énergie sexuelle et accepté de m’abandonner, de dire oui à la vie. »

« Pour moi, les hommes étaient tous des cons. Aujourd’hui, je pense qu’ils sont sacrés » – Aurore, 34 ans

Grâce à cette réceptivité, le tantra prône une meilleure compréhension entre les hommes et les femmes, bien que les rencontres tantriques ne soient en aucun cas hétéronormées, et peuvent évidemment être gays ou lesbiennes. Dans le cadre d’une sexualité hétérosexuelle, la réconciliation entre les deux sexes est amenée, notamment, par une alliance de l’énergie masculine et de l’énergie féminine, que chacun possède en soi. « Les générations passées avaient réduit les caractéristiques masculines et féminines aux genres sexuels : l’homme était masculin et la femme féminine. De nos jours, pour évoluer harmonieusement dans notre société moderne, chacun doit faire appel à ses deux polarités intérieures », indiquent Jacques Lucas et Marisa Ortolan dans Le tantra, horizon sacré de la relation (éd. Le Souffle d’or).

Ce rééquilibrage entre l’énergie masculine et féminine, Thibault l’a appris grâce aux conseils avisés de Sophie Noël, pour se libérer de ses croyances. : « Pour moi, ‘pénétration’,était synonyme de “violence” et de “douleur”. J’avais peur de faire mal à mes partenaires. Sophie m’a expliqué que j’avais du mal à gérer mon énergie féminine et que du coup, mes relations sexuelles tournaient soit au flop soit à quelque chose de frénétique. » Nathalie Giraud-Desforges ajoute que le tantrisme peut être « très réparateur, pour les hommes comme pour les femmes. Celles qui ont été blessées dans leur intimité peuvent se reconnecter à leur féminité. Elles apprivoisent à nouveau leur organe génital et ne le voient plus comme une blessure ».

Alix est sur la voie de cette réappropriation du corps, et d’une meilleure relation avec les hommes « Mon rapport aux mecs a complètement changé. Bizarrement, je dirais même que les séances avec Sophie Noël m’ont réconciliée avec mes exs. Je ne les considère plus comme des hommes qui veulent simplement abuser de moi pour leur propre plaisir sexuel. En l’espace de trois semaines, j’en ai revu trois avec qui j’ai passé un très bon moment amical, sans être en colère », me raconte-t-elle. Quant à Aurore, elle se réjouit que le chemin du tantrisme l’ait aidée à s’engager dans une relation : « Pour moi, avant de commencer les stages, les hommes étaient tous des cons et être en couple était un cauchemar. Aujourd’hui, je pense que l’homme est précieux et j’ai beaucoup de plaisir à partager ma vie avec Vincent. »

*Les prénoms ont été modifiés.

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