« Il y a les familles, les retraités et nous ! », me dit un mec vêtu d’un tee-shirt « Emo’s not dead ». Il me regarde en souriant en sortant d’un Uber, le bras tendu pour se protéger de la lumière éblouissante d’un casino appelé Circus Circus.
Comme 59 999 autres personnes toutes de noir vêtues et lourdement maquillées, il est à Las Vegas pour le festival de musique alternative When We Were Young, dont le programme réunit My Chemical Romance, Paramore, Avril Lavigne et plus de 50 autres stars de « l’ère Myspace ». Il lève les sourcils, comme s’il n’en revenait pas lui-même d’être là, et à vrai dire, même s’il a déboursé près de 500 euros pour son ticket et l’hôtel, ça a bien failli ne pas se faire.
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Annoncé en janvier dernier, le festival When We Were Young a été reçu avec un mélange de scepticisme et d’excitation. La faute à une affiche incroyable composée de grands noms de l’emo et du pop-punk et une réputation peu flatteuse – la promotion étant assurée par Live Nation, récemment décrié pour sa mauvaise gestion d’Astroworld. When We Were Young avait autant si ce n’est plus de red flags que mes ex.
Certains parlaient déjà d’escroquerie tandis que d’autres le baptisaient « version emo du Fyre Festival », prédisant une tournure chaotique voire dangereuse de l’événement alors que 180 000 anciennes victimes de harcèlement scolaire débarquaient à Las Vegas dans l’espoir de voir 60 groupes en l’espace de 12 heures au milieu du désert.
Pourtant, en y débarquant à la fin du mois d’octobre, les scènes sont montées et l’homme souriant à la sortie du Uber se trouve – tout comme moi – à l’endroit exact du trottoir où Hunter S. Thompson gare sa Chevrolet Caprice 1973 dans Las Vegas Parano de Terry Gilliam.
Comme rattrapé par la prophétie autoréalisatrice, When We Were Young a failli être un flop. La première des trois dates du festival a été annulée une heure à peine avant de commencer. Pas pour faire plaisir aux gens qui voulaient voir le truc somber mais à cause de vents si puissants qu’ils ont failli me faire tomber d’un pont reliant le Caesar’s Palace au Bellagio.
Le samedi, la ville a été le théâtre d’emos vieillissants errant sans but dans les casinos, entre des joueurs se faisant masser le dos en jouant au blackjack et des enfants qui faisait la queue pour l’une des nombreuses montagnes russes en intérieur. Quelques groupes ont pu organiser des concerts de dernière minute – Bring Me The Horizon, The All-American Rejects et The Wonder Years, entre autres – mais dans des salles plus petites, et ces concerts n’ont pu accueillir qu’un nombre limité de personnes.
La plupart des gens ont donc afflué sur Fremont Street, qui s’est transformée en un océan de visages dépressifs et de rouge à lèvres noir, ce qui n’était pas sans rappeler Boulevard of Broken Dreams de Billie Joe Armstrong. Le dimanche, le temps s’est calmé et heureusement – ou non, selon le billet que vous aviez – le festival a érigé son énorme arche en damier et a finalement accueilli une foule en Terre promise.
Si l’on considère que tout l’attrait de ce festival repose sur la nostalgie des personnes âgées de 20 à 30 ans, je m’attendais à ce que When We Were Young ressemble à l’une de ces réunions sur les réseaux sociaux de la fin des années 2000 où des adolescents à mèches se réunissaient en silence devant un McDo du centre ville. En fait, rien à voir.
En réalité, c’était comme n’importe quel autre festival, mais avec des sweats à manches tombantes. Beaucoup de sweats à manches tombantes. Partout où l’on regardait, on voyait des couples avec des capuches assorties qui partageaient des pasta box hors de prix, des gens qui faisaient des siestes disco en solo sur le gazon synthétique, des files d’attente pour les stands de merch qui ne sont jamais descendues en dessous de 300 personnes entre 11h et 23h.
« Pourquoi tout le monde se comporte comme si le plus grand promoteur du monde et 60 groupes cultes étaient de simples amateurs ? » – Anthony Raneri du groupe Bayside.
De nombreux groupes ont joué sur cette nostalgie (en début d’après-midi, Senses Fail a clôturé son concert par un medley nu metal qui commençait par Chop Suey ! et se terminait par une version condensée du solo de Free Bird de Lynyrd Skynyrd), et presque tous ont fait quelque chose de spécial pour rendre service aux fans.
Le groupe La Dispute, fidèle à lui même, a conclu son concert avec son improbable succès TikTok Such Small Hands, My Chemical Romance portait le classique costume-cravate rouge et noir de l’époque Three Cheers For Sweet Revenge, Paramore a interprété All I Wanted pour la toute première fois et Avril Lavigne a fait appel à All Time Low pour une reprise de All The Small Things – un clin d’œil chaleureux au festival de l’année prochaine, dont Blink-182 sera la tête d’affiche aux côtés de Green Day.
Lorsque le phénomène emo est devenu mainstream au début des années 2000 – passant d’un terme péjoratif servant à désigner les groupes hardcore de Washington qui se démarquaient du son traditionnellement masculin de la scène dans les années 80 à une subculture internationale dont l’évolution est indissociable des tendances de la mode, du fandom et des réseaux sociaux – il l’a fait sans fanfare.
Peu importe l’époque, on peut dire que personne n’aime les emos. Les groupes à l’origine du terme le trouvaient complètement con, ceux des années 90 et 2000 à qui on a collé cette étiquette trouvaient ça complètement con aussi, toutes les cultures alternatives et même les gamins qui s’en prenaient aux emos à cause de leurs pantalons trop larges pareil, et pour les parents, c’était carrément flippant.
En réalité, les seules personnes dans l’histoire à avoir accepté le terme « emo » sont les fans, autrement dit les millennials et les gosses de la génération Z qui constituent la grande majorité des participants à When We Were Young. Comme l’a dit Anthony Raneri de Bayside, qui a tweeté en janvier lorsque l’annonce a été accueillie avec sa caravane de doutes : « Pourquoi tout le monde se comporte comme si le plus grand promoteur du monde et 60 groupes cultes étaient de simples amateurs ? Est-ce que c’est ce que les scientifiques ont ressenti ces deux dernières années avec le Covid ? »
Même aujourd’hui, il y a quelque chose dans la culture emo traditionnelle qui en fait une cible naturelle. Peut-être que c’est sa sincérité, ou bien son hystérie. Peut-être qu’il y a quelque chose chez les fans (je me compte parmi eux) qui tape juste sur les nerfs. Mais plus de vingt ans après, la culture emo suscite toujours autant de réticence, tant d’un point de vue critique – ce que je peux comprendre – que commercial, ce qui est plus étrange, car sa fanbase est constituée de personnes qui ont été persécutées à l’école, qui sont devenues des adultes disposant de revenus confortables et qui sont prêts à dépenser des sommes dingues pour satisfaire leurs intérêts, même si tout le monde crie à l’arnaque.
Tout bien considéré, ce qui est surprenant, ce n’est pas que le festival ait eu lieu, mais plutôt qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt. When We Were Young, tout comme la subculture à laquelle il appartient, s’en est plutôt bien sorti malgré les critiques.
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