Culture

Avec les gars qui testent des fusils sur YouTube

YouTube est rempli de trucs qui semblent avoir été créés uniquement pour nous faire perdre du temps : des vidéos de sportifs qui font n’importe quoi, de la propagande néo-nazie, des conseils fitness et nutrition absolument délirants, des bros qui font des trucs de bros, des gars qui jouent aux jeux vidéo, et des guns.

Beaucoup, beaucoup de guns.

Videos by VICE

Comme à peu près tous les sujets de niche qui ont proliféré sur YouTube, les vidéos de dudes en train de tirer avec des fusils – et d’évaluer les performances desdites armes – ont connu une évolution technique remarquable, passant de l’amateurisme le plus total à une qualité quasi-professionnelle. Aujourd’hui, une vidéo comme “5 Guns The Government Doesn’t Want You To Have,” postée par Eric Blandford – Iraqveteran8888 sur YouTube – peut amasser 10 millions de vues en s’appuyant sur sa base de 1,3 millions d’abonnés. Et la vidéo “IWI Israel Factory Tour” (IWI est l’entreprise israélienne qui fabrique l’Uzi, entre autres) de la Military Arms Channel (537.000 abonnés) n’a rien à envier en termes de production aux chaînes de télé les plus prestigieuses.

Mais comment gagne-t-on de l’argent en tirant avec de nouveaux fusils tous les jours, et que pensent-ils du débat récurrent sur le contrôle des armes à feu aux Etats-Unis ? J’ai contacté ces stars de YouTube pour qu’ils m’en disent un peu plus.

J’ai créé ma chaîne en 2008, avant que des centaines d’autres fassent la même chose et qu’il devienne très difficile de se faire remarquer, raconte Tim Harmsen, un ancien Marine qui gère la chaîne Military Arms Channel ainsi que le magasin Copper Custom Armament à Valparaiso (Indiana). Des gens comme Matt Drudge avaient montré la voie, en prouvant qu’il était possible de diffuser son propre contenu sans passer par les médias mainstream. J’ai commencé à monter mes vidéos sur iMovie, mais petit à petit j’ai utilisé un meilleur équipement, j’ai progressé techniquement, et je suis passé sur Final Cut Pro 10.”

Harmsen, propriétaire d’une armurerie, se sert de sa chaîne pour faire de la pub à son business. “ Pour ce qui est des reviews, j’ai une indépendance totale vis-à-vis des marques, puisque ce qui fait la valeur de mon site c’est qu’il attire des clients du monde entier vers mon magasin, explique-t-il. On m’a déjà reconnu dans la rue en Turquie. Des gens de pays aussi lointains que la Chine sont déjà venus dans l’Indiana juste pour visiter mon magasin. Et l’un de mes concurrents locaux a même une télé dans sa boutique sur laquelle il diffuse mes vidéos.”

Steven Wilson, un vétéran et tireur d’élite qui gère la chaîne SafeArmsReview, y teste des armes qu’il possède mais aussi d’autres qui lui sont prêtées par des amis. “ Je teste avant tout des flingues que j’aime bien et qui sont assez populaires, essentiellement des armes d’entrée de gamme qui ne coûtent pas trop cher. Mais j’aimerais développer un partenariat avec une armurerie qui m’enverrait des armes de formation et d’évaluation“, explique-t-il, avant de décrire comment la plupart des youtubeurs armes à feu reçoivent les armes qu’ils testent dans leurs vidéos. “ Un fabriquant envoie une arme d’entraînement à quelqu’un pour qu’il la teste. Une fois le test réalisé, le testeur la renvoie via une licence fédérale.”

Pour Harmsen, l’un des aspects les plus excitants de son activité de youtubeur, c’est de populariser des armes qui méritent l’attention. “ J’ai été l’un des premiers à m’intéresser vraiment au fusil Taylor d’IWI [Israel Weapons Industry], au moment où l’entreprise s’implantait sur le marché américain. Et j’ai eu la chance de visiter l’usine IWI en Israël, celle de MKE [industrie de défense nationale turque] en Turquie, et l’usine CZ en République Tchèque… J’ai pu présenter beaucoup de nouvelles armes à mes clients.”

Steven Wilson, pour qui les vidéos étaient aussi un hobby au départ, explique que la qualité d’une vidéo dépend autant du talent de l’auteur de la vidéo que de l’arme mise en scène. “ Pour moi, la façon dont l’arme est utilisée devant la caméra est importante. Vous pouvez avoir un superbe M4 (une variante de l’AR-15) mais si le gars ne sait pas vraiment s’en servir, ça ne donne rien. Par contre, s’il sait se servir d’une arme à feu de façon dynamique, alors l’arme a l’air ‘cool’… comme dans John Wick , quoi.”

Steven Wilson et Tim Harmsen m’ont répondu, mais plusieurs autres youtubeurs ont décliné poliment ma demande d’interview ou réclamé de ne pas être cités dans cet article. Mais malgré le fait que nombre d’entre eux sont ouvertement pro-armes, les vidéos montrent avant tout que leurs auteurs sont obsédés par l’entretien des armes et la sécurité. “ La sécurité est capitale pour moi, c’est quelque chose que j’ai gardé de mon passage dans l’armée“, explique Wilson, qui était instructeur militaire et fait désormais partie de la NRA, où il apprend aux autres membres comment utiliser correctement une arme sans danger.

Tim Harmsen a la même vision des choses. “ J’ai grandi dans le Kansas, où les armes font partie de la culture : ce sont des outils à manier avec précaution. Tout le monde possédait une arme, et YouTube n’a rien changé. Mais cela permet à une nouvelle génération d’experts des armes de se construire une audience. En gros, on remplace un peu les magazines comme Guns & Ammo , qui se vendaient très bien dans les années 80 et 90. Les gens ont toujours utilisé des armes dans ce pays, et beaucoup en possèdent au moins une. Ça n’a pas changé ces dernières décennies, mais désormais il est beaucoup plus facile d’en savoir plus sur les nouveaux produits, et de se former.

Harmsen est convaincu que l’accès à des vidéos comme les siennes rend les propriétaires d’armes plus responsables et mieux formés. “ Dans la plupart de mes vidéos, l’objectif est en quelque sorte d’emmener les spectateurs avec moi quand je tire. C’est vrai qu’il y a des chaînes YouTube complètement cinglées qui sont apparues, des gens prêts à tout pour se faire remarquer, mais je reste très attaché à la question de la sécurité. C’est essentiel à mes yeux. Les flingues sont cools à utiliser et à regarder, mais ce ne sont pas des jouets.