Célia, Vivianne et leurs affichettes sur la Croisette, Cannes. Toutes les photos sont de l’auteure.
Au Festival de Cannes, fleuron de la jet-set française et internationale, tout semble réservé à une caste de stars et de gens célèbres. Mais pas forcément : on trouve des vendeurs à la sauvette, des flics suspicieux, des commerçants véhéments et de nombreuses personnes venues pour voir des stars. De fait, pas mal de jeunes filles déterminées redoublent d’imagination pour monter les marches et accéder aux fêtes plus ou moins inaccessibles. Elles partent de cette idée : rien n’est impossible. Sans thunes, vêtues de leurs plus belles tenues, avec un sourire, quelques négociations et du culot, la chance profite à ces starlettes inconnues. J’en ai rencontré quelques-unes.
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Cannes, vendredi 13 mai, l’horloge affiche 16 h 15. C’est l’heure à laquelle tout se bouscule dans la petite ville azuréenne qui accueille depuis 69 années le Festival international du film (FIF). C’est la cohue. Les rues sont noires de monde, il faut un quart d’heure pour avancer d’une centaine de mètres, les policiers sont tendus, les gens se brusquent et se poussent pour pouvoir entrevoir les vedettes. La tension monte, palpable. La montée des marches ne va pas tarder à commencer.
Dans l’euphorie – et la crispation – populaire, l’entrée du Palais des Festivals est difficile d’accès. Au cœur du troupeau, des jeunes filles se postent à l’entrée vêtues façon red carpet, parées de leurs plus beaux atouts. Toutes tiennent des affiches ornées de la mention « Invitation please » à la main. Patientes, elles attendent lesdites invitations comme le messie. Toutes veulent avoir la chance de fouler le tapis rouge comme les stars hollywoodiennes qu’elles ne sont pas. Avec un peu de persévérance et de la patience, certaines arrivent à leurs fins. Parfois même, sans entraves.
Viviane Vernardakis et Célia Aujard-Catot, cinéphiles averties armées de leurs pancartes, font partie de celles-ci. Pour les deux amies, le Festival de Cannes représente plus qu’une chance de se bourrer la gueule avec des stars. C’est aussi un bon moyen de visionner les longs-métrages de la sélection officielle. « Mon but c’est de trouver des places pour aller voir des films en avant-première », explique Viviane. Mais dans le contexte de folie des festivités cannoises, la jeune fille ne cache pas son intérêt pour la gent masculine. Le festival est également l’occasion de « voir un beau garçon ou deux », confie-t-elle, hilare. Pour l’occasion, la jeune fille en fleurs, rouge aux lèvres et cheveux couleur jais, arbore une robe blanche décolletée. « Le blanc c’est éclatant, c’est classe, c’est cannois […]. Les talons, c’est pour la forme. » Célia, cheveux châtains dans le vent, a misé la carte de la sobriété : elle porte une tenue d’écolière noire.
Les deux compères aimeraient bien aller voir la projection de Ma Loute, le dernier film de Bruno Dumont, en compétition dans la sélection officielle. Célia m’a expliqué avoir commencé à chercher des invitations au petit matin. Elle a par ailleurs réussi à obtenir un précieux laissez-passer pour la montée des marches. Il ne lui reste plus qu’à décrocher une seconde invitation pour son amie Viviane. « On essaie, on attend », explique cette dernière, qui vit son tout premier Festival de Cannes.
Célia semble moins novice que cette dernière. Elle a déjà eu la chance de fouler le tapis rouge la veille. « Hier on a vu Rester Vertical , et j’ai d’autres amis qui ont vu Money Monster – ils ont réussi ! » Malgré l’interminable attente, elles ne se découragent pas. Il reste environ deux heures avant la montée des marches. Une vingtaine de minutes passent, Viviane finit par obtenir une invitation. Le lendemain et le surlendemain, elles recommenceront. « Jusqu’à la fin », affirme cette dernière.
Chloé, seule à l’entrée du club.
Mais à Cannes, outre le tapis rouge, il y a les fêtes. À l’image de l’inénarrable Villa Schweppes où ont lieu la plupart des soirées les plus prisées. Et pour cause : tout y est open bar et de nombreux jeunes mecs et meufs s’y pressent. Le truc, c’est que ce genre d’événement est privé et donc, relativement difficile d’accès. Ce soir-là, le live du groupe The Limiñanas et le DJ set de l’antédiluvien rédacteur en chef de Rock & Folk Philippe Manœuvre attirent les foules.
En plus d’une invitation, le respect du dress-code est d’une ultime importance. Surtout pour les filles. Une règle coutumière farfelue mais assez sérieuse, exige notamment le port de chaussures à talons. Cette exigence semble respectée à la lettre. À l’entrée de la Villa Schweppes, on assiste aussi aux défilés des marques de prêt-à-porter H&M, Zara et Mango. Outre la tenue, il faut s’armer de patience. Malgré le fait que certaines filles soient sur leur trente-et-un, rentrer à cette teuf convoitée est surtout une question de listes, de contacts, de chance et de culot. Comme à peu près partout à Cannes à ce moment de l’année. Beaucoup d’entre elles attendent donc patiemment de rentrer dans ce que, sur le moment, elles envisagent comme la soirée de leur vie. Pour arriver à leurs fins, toutes arborent de larges sourires.
Les contacts sont des préalables indispensables à l’accès d’une soirée privée durant le Festival international du film. Chloé n’en a objectivement aucun.
Chloé, Varoise venue pour le festival, est venue tenter sa chance avec deux amis. Pour elle, se pointer à cette période de l’année est l’occasion d’un truc : faire la fête. « C’est paillettes et compagnie, soit. Mais c’est aussi là où la ville de Cannes est au maximum : il y a les plus belles soirées de l’année », argue-t-elle. Maquillée, coiffée, robe rouge chic sur le dos, talons hauts et Perfecto, la brunette n’a pas lésiné sur les moyens. Le choix de la jeune femme de 26 ans s’est porté sur cette teuf à la Villa car pour elle, la clientèle y est attrayante, la musique et l’ambiance agréables. Et les consommations gratuites. « On peut boire toute la soirée », ajoute-t-elle.
En attendant, elle commence à peu à peu réaliser l’inaccessibilité de la soirée. Ce soir-là, la sécurité se montre particulièrement intransigeante. « C’est difficile quand tu ne connais personne. » Quoique prosaïque, cette assertion est tout à fait vraie. Toujours en attente devant le club, elle semble dans l’incertitude et ne sait toujours pas si elle pourra un jour mettre les pieds à l’intérieur. « On va voir comment ça va se passer, autrement on ira dans un autre endroit. On n’a aucun contact ici. Je pense que ce n’est pas possible. » Des personnes continuent d’entrer, tapent la bise au membre de la sécurité, signifient à ceux qui attendent qu’elles sont les bienvenues. Dans la queue, certains pestent.
Les contacts sont des préalables indispensables à l’accès d’une soirée privée durant le Festival international du film. Chloé n’en a objectivement aucun. Elle en est parfaitement consciente et ne se décourage pas pour autant. « On sait qu’il y a d’autres soirées organisées sur le toit des hôtels. On va voir, au fil des gens que l’on rencontre, s’ils peuvent nous mettre sur des listes. » Cinq minutes plus tard, la jeune femme en compagnie de ses amis se voyait contrainte de poursuivre sa soirée ailleurs.
Néanmoins, ce genre de triste dénouement n’arrive pas à tout le monde. Certaines, plus chanceuses, parviennent à leurs fins. À l’intérieur du club, de nombreux mecs et filles sans invitation profitent de l’alcool gratuit, de la musique et de la présence – potentielle – de stars. La fête bat son plein, l’endroit est bondé. Bien sûr, il faut longuement attendre pour commander un verre au bar.
Ambre Larose a 19 ans et est Cannoise. Elle se définit en tant que fêtarde invétérée et malgré son jeune âge, semble habituée au faste de la Croisette. Elle m’explique être parvenue à entrer ici sans le moindre problème. À la main, elle a un cocktail à base de gin et de baies de sureau. Dans l’autre, elle tient ce qui ressemble à une cigarette convertible, et passe manifestement une bonne soirée. Après un restaurant, elle s’est rendue à la Villa Schweppes avec « quelques amies ». Au contraire de la pauvre Chloé et de mes deux autres interlocutrices amatrices d’avant-premières, ils étaient sur la liste des invités à la soirée.
Pour Ambre, se rendre dans une soirée privée constitue néanmoins une sorte de première. « Vu mon âge, je n’en ai pas fait pas beaucoup », reconnaît-elle. Elle m’a expliqué être davantage familière aux soirées cannoises, comme celles des clubs nommés le Gotha et le Bâoli, des références du coin, mais avoue préférer les fêtes qui se déroulent durant le Festival.
« Pendant le FIF, c’est différent […]. Il y a des belles soirées, des personnes intéressantes, l’ambiance est différente. On a l’impression d’être dans le Cannes que tout le monde voit. » Quoique cette notion de Cannes-que-tout-le-monde-voit demeure assez nébuleuse pour moi, je comprends que pour une locale, cette période de festivités soit synonyme d’animation et de liesse. « C’est dix jours de l’année où Cannes est ultra vivant ; il y a plein de clubs ouverts et de soirées. »
Manifestement prise en plein marathon de soirées, elle m’explique que pour ce soir, elle vise d’autres endroits. Elle évoque les noms du VIP Room et du Club By Albane. « Je veux en profiter durant tout le FIF », crie-t-elle.
Tandis que je m’éloigne de la fête, je repense aux filles croisées ce matin en bas des marches. Où sont-elles à cette heure-là ? Chloé et ses amis ont-ils réussi à se faire inviter malgré leur pénurie de contacts ? Je repense aux petites pancartes aperçues ce matin : Invitation please.