Société

Avec les gens qui se font enlever leurs tatouages racistes

Een man laat zijn tattoo bedekken door Billy White van Red Rose Tattoo in Zanesville in Ohio. Foto met dank aan Billy White

Bryan Nicosia, un ouvrier d’aciérie de 37 ans, a rejoint l’Aryan Brotherhood (en français : « Fraternité aryenne ») alors qu’il purgeait une peine dans une prison du sud de l’Ohio. En tant que membre, il s’est fait faire deux tatouages commémorant son ascension dans les rangs de la Fraternité : une croix de fer avec deux éclairs, sur son avant-bras droit, et les lettres A et B, suivies de cinq croix gammées, sur son épaule gauche.

Nicosia dit qu’il a fait ce qu’il fallait pour rester en vie derrière les barreaux mais qu’il s’est entièrement dissocié de la Fraternité dès sa libération en 2018. Aujourd’hui, il veut qu’on lui retire ce sombre rappel. « Quand je vais chez des amis pour un barbecue, personne ne veut voir ça, dit Nicosia. Quand leurs enfants veulent jouer au basket avec moi ou quand ils veulent se baigner dans la piscine, ils me demandent ce que mes tatouages veulent dire. C’est une expérience révélatrice quand des enfants vous demandent cela. C’est une vraie prise de conscience. »

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Nicosia savait qu’il voulait se débarrasser des tatouages à sa sortie de prison, mais il lui a fallu du temps pour se remettre sur pied après sa libération, ce qui l’a empêché de donner la priorité à cette grande étape vers le renouveau. Mais après des mois de protestations à propos de la mort de George Floyd, Breonna Taylor et d’autres Américains noirs tués par la police, il a finalement décidé de mettre son plan à exécution. Il a contacté le tatoueur Billy White, qui est spécialisé dans ce genre de travail. « La plupart de ces gens se sont éloignés de cette idéologie il y a de nombreuses années, dit White. Et je pense que le climat actuel de la société est un peu comme un feu qu’on allume sous leurs fesses. »

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Le tatouage de Bryan Nicosia avant (à gauche) et après (à droite) dans le salon de tatouage de Billy White, Rose Tattoo, à Zanesville, Ohio. (Photo publiée avec l’aimable autorisation de Bryan Nicosia)

Nicosia n’est pas le seul à espérer dissimuler les images haineuses qu’il arborait fièrement sur son corps. Au cours des derniers mois, le salon de White, Rose Tattoo à Zanesville, dans l’Ohio toujours, a vu le nombre de clients demandant à dissimuler leurs tatouages racistes augmenter de 20 %. Dans tout le pays, des tatoueurs comme White, des spécialistes du détatouage au laser et des militants contre le discours de haine disent avoir reçu un flot similaire de demandes de retouches de leurs tatouages, en particulier ceux qui portent le drapeau confédéré.

White dit qu’il est habitué à ce que les gens lui demandent d’enlever des croix gammées et autres iconographies associées aux croyances aryennes. Mais la recrudescence des demandes concernant le drapeau confédéré est une nouvelle tendance, qui fait écho aux efforts déployés dans de nombreuses villes américaines où des politiciens et des manifestants s’emploient activement à abattre les monuments érigés à la mémoire des dirigeants des forces confédérées. « Bien souvent, les hommes portant le drapeau confédéré n’ont jamais vraiment adhéré à une quelconque forme de haine ou de bigoterie. C’était juste une sorte de symbole redneck, surtout là où je vis. »

« Je me souviens de la première fois où j’ai enlevé un morceau de haine. Le sentiment que j’ai éprouvé m’a rendu dingue, dit-il à propos des graffitis. C’était un sentiment d’euphorie intense. Après ça, j’ai commencé ma chasse » – Corey Fleischer

Cela est particulièrement vrai pour Nicosia, qui a rejoint l’Aryan Brotherhood il y a 12 ans. « En prison, peu importe qui vous êtes, d’où vous venez, quelle est votre culture, vous allez là où il y a de la place, dit-il. Sinon, vous êtes dévoré vivant. Mais aujourd’hui, je ne suis plus cet homme. Je travaille dur. J’ai une fiancée. J’aime ma communauté. J’essaie de donner en retour. J’essaie de faire ce qui est juste. »

White s’est lancé dans le tatouage il y a 16 ans et a commencé à faire des dissimulations gratuites en 2017 et compte aujourd’hui plus de 48 000 abonnés sur Instagram.

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Billy White dans son salon, Rose Tattoo, à Zanesville, Ohio. (Photo de Lock 10 Photography, publiée avec l’aimable autorisation de Billy White)

Corey Fleischer, un Montréalais de 39 ans, est une sorte d’intermédiaire qui aide les réformés à se débarrasser de leurs tatouages. Il dirige Erasing Hate, un réseau social dédié à l’exposition et à la destruction des discours haineux et du racisme sous toutes ses formes. Bien que Fleischer ne fasse pas lui-même des dissimulations ou des détatouages, il utilise sa plateforme pour mettre en contact des personnes ayant honte de leurs tatouages racistes avec des artistes compétents qui soutiennent la cause et sont prêts à faire le travail bénévolement.

Depuis que les manifestations contre les violences policières ont commencé à frapper les villes américaines, il a remarqué une augmentation importante du nombre de personnes demandant des renseignements sur la dissimulation de tatouages. « Au cours des 35 derniers jours, un nombre extraordinaire de drapeaux confédérés ont été retirés », dit-il, ajoutant qu’il essaye actuellement de programmer plus de 100 nouvelles demandes d’effacement de tatouages racistes.

Fleischer a commencé à supprimer les graffitis racistes, et à documenter sa mission, par l’intermédiaire de la petite entreprise qu’il possédait il y a plus de dix ans. Aujourd’hui, sa marque compte plus de 123 000 abonnés sur Instagram et plus de 200 millions de téléspectateurs sur Facebook. L’année dernière, il a fondé une association à but non lucratif du même nom dédiée à la même mission. « Je me souviens de la première fois où j’ai enlevé un morceau de haine. Le sentiment que j’ai éprouvé m’a rendu dingue, dit-il à propos des graffitis. C’était un sentiment d’euphorie intense. Après ça, j’ai commencé ma chasse. »

Selon Fleischer, l’initiative est une situation gagnant-gagnant : les personnes qui ont changé d’avis peuvent faire modifier leur tatouage, tandis que certains des meilleurs artistes d’Amérique du Nord peuvent bénéficier d’une promotion gratuite sur les réseaux sociaux.

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Un homme fait recouvrir sa croix gammée dans le salon de Billy White, Rose Tattoo, à Zanesville, Ohio. (Photo publiée avec l’aimable autorisation de Billy White)

La dissimulation n’est pas le seul moyen de se débarrasser d’un vieux tatouage. Au cours de la dernière décennie, le détatouage au laser est devenu une autre alternative abordable. Au début de l’année 2020, quatre pionniers de l’élimination des tatouages au laser – The Refinery, Invisible Ink, Eraser Clinic et Precision Laser – ont fusionné en une seule entité, connue sous le nom de Removery.

Bien que la société ne se concentre pas uniquement sur les symboles de haine, Carmen Brodie, vice-présidente des opérations cliniques, dit que les demandes de suppression des tatouages du drapeau confédéré et des symboles de la suprématie blanche ont fait un bond notable au cours des deux derniers mois. Au moins 75 clients ont pris rendez-vous pour faire enlever ce type de tatouage, ce qui a représenté au moins 7 % de l’activité de Removery pendant cette période. Les spécialistes de l’organisation enlèvent les tatouages gratuitement.

Removery propose également des détatouages gratuits pour les victimes de la traite des êtres humains, les personnes récemment libérées de prison et les membres de gangs réformés, en plus des personnes ayant des tatouages racistes qu’elles regrettent. « Les gens sont toujours un peu réticents au début. Il faut prendre un peu de recul et montrer que vous êtes là pour les aider à changer, explique Dustin Ortel, l’un des techniciens laser de l’organisation. Ils ont le courage de s’engager et d’essayer de rendre le monde meilleur. Il y a de quoi être fier. »

Le mouvement pour l’élimination des tatouages de haine devient rapidement un cercle interconnecté. Grâce aux réseaux sociaux, Removery, Fleisher et White se sont déjà croisés, ainsi que des dizaines d’autres artistes, militants et techniciens du laser dans le monde entier. « Nous avons pensé qu’il était plus logique de travailler ensemble. Nous sommes en mesure d’aider beaucoup plus de gens de cette façon », dit White.

Fleisher et White, en particulier, travaillent actuellement ensemble sur une base de données numérique répertoriant les artistes aux États-Unis et au Canada qui sont prêts à faire des dissimulations à titre bénévole. Le duo examine les artistes pour s’assurer qu’ils sont suffisamment qualifiés pour faire un travail de qualité, et qu’ils n’essaient pas d’aider les vrais bigots et les suprémacistes blancs à opérer dans l’ombre. Ils utilisent également les dons pour assurer le transport ou la garde d’enfants afin d’aider les clients à se rendre à leur rendez-vous.

Bien qu’ils se concentrent sur l’Amérique du Nord, ils ont commencé à se tourner vers l’étranger et ont déjà des contacts avec des artistes en France, au Brésil, en Espagne et dans d’autres pays. « Tout le monde fait des erreurs, dit Fleischer. Je crois fermement que les gens grandissent. Ce n’est pas parce que vous avez fait preuve d’un esprit étroit dans le passé que vous ne pouvez pas grandir et comprendre que vous aviez tort. »

Pour des gens comme Nicosia, dont la dissimulation est toujours en cours, le fait de pouvoir cacher ces tatouages marque un nouveau départ. « Je me sens béni et plein d’espoir, dit-il. Ma fiancée était en larmes quand j’ai fait couvrir mon tatouage, parce qu’elle sait combien cela compte pour moi. C’est une expérience très émouvante. C’est comme une transformation. »

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