J’ai entendu parler du jeu de balle au tambourin pour la première fois il y a deux ans. Un Marseillais que je transportais jusqu’à Sète m’a expliqué qu’il faisait le déplacement pour participer à un match d’un sport local. J’ai forcément pensé aux joutes, ces tournois navals impressionnants qui ameutent la foule sur les quais des canaux de Sète chaque été. « Non, c’est du tambourin. Moi, je viens de Plan de Campagne (non loin de Marseille, ndlr ). Un jour, à un salon du sport, j’ai vu une démonstration et ça m’a beaucoup plu, alors je m’y suis mis. T’as qu’à passer ce soir, comme ça tu verras. »
Quand je suis arrivé, il faisait nuit. Des projecteurs éclairaient une surface en sable clair. Quelques compagnes de joueurs patientaient en silence. Du fond du terrain, un homme au tambourin différent des autres servait sur ses adversaires, à demi-tétanisés par la vitesse de la balle. C’était juste un match sans enjeu un soir de semaine.
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Rien à voir, donc, avec cette finale de Coupe de France organisée sur le terrain Joseph Géniès de la commune de Cournonsec, dans l’Hérault. Dûment indiqué sur les panneaux de signalisation du village, placé à dix mètres de la Mairie (34, rue du jeu de tambourin) et en contrebas du quartier des Hauts du Tambourin, le stade fait bien état de la place qu’occupe la discipline dans la région.
À mon arrivée, les filles du club local achèvent de mettre une branlée à celles de Vendémian. La serveuse de Cournonsec balance des services à arracher des têtes. Avant chaque nouveau point, elle fait rebondir la balle sur la peau de son instrument, pour la chauffer j’imagine. Puis, prenant son élan, elle envoie le projectile dans les airs avant de changer d’outil – le battoir, sorte de minuscule tambourin fixé au bout d’un manche de près d’un mètre, étant réservé au service.
Dès que les filles sortent du terrain, les équipes masculines prennent le relai. Respectivement victorieuses de Monceaux/Dordogne et de Cournonterral en demi-finales deux jours plus tôt, Cazouls d’Hérault et Vendémian entament l’échauffement. « Ce sont les deux meilleures équipes du championnat », m’a glissé le couple bien informé à côté duquel j’étais assis. « Regardez bien les roses : c’est Cazouls, a enchaîné le vieux qui les accompagnai. C’est eux qui vont gagner. Ils ne faisaient pas le même bruit avant, les tambourins. Ils ont changé quelque chose ? »
Le son lui paraissait plus sec, plus fort aussi. La balle sonne sans doute moins bien sur le synthétique que sur la peau de chèvre utilisée autrefois. « Vous êtes un spécialiste, vous, non ? », ai-je alors demandé à mon interlocuteur qui m’a répondu par la positive : « Moi, j’ai joué. Mon père a joué. Mon grand-père a joué, et même ma grand-mère a commencé à jouer. Mais à l’époque, c’était pas avec ces trucs en bois. C’était avec des poêles… »
En fond de cours, les deux “fonds” font le gros du boulot : reprendre les balles propulsées à des dizaines de mètres dans les airs par leurs adversaires et les renvoyer dans les limites du terrain. À chaque coin, un entraîneur de l’équipe répète « bonne, bonne, bonne » à ses joueurs pour leur éviter de devoir garder à l’œil les limites du terrain. Le “tiers”, joueur placé au centre du demi-terrain, nomme régulièrement le joueur de fond chargé de récupérer la balle. Lui intervient plus rarement, pour donner de l’accélération à la balle et tenter de marquer le point en cassant le rythme.
Devant, les pieds presque collés à la ligne médiane, les deux “cordiers” regardent siffler les balles. Leur rôle, décisif et ingrat, consiste à attendre qu’une balle soit à leur portée – généralement suite à un coup raté de la part de l’équipe adverse – pour la renvoyer de façon aussi vicieuse qu’irrattrapable. Leurs coups d’éclats, rares, sont chaque fois accueillis par des exaltations rageuses des joueurs et les acquiescements connaisseurs des 200 personnes du public. Réparti tout autour du terrain sur des bancs de pierre ou des fauteuils pliables, celui-ci se compose en grande partie de familles des joueurs et sa moyenne d’âge est de soixante ans. « S’il y en avait autant à chaque match, ce serait bien », tempère mon voisin alors qu’une petite fille passe dans les rangs pour faire la quête. Pour Wikipédia, la médiatisation du jeu de balle au tambourin « dépasse rarement les limites du département de l’Hérault », ce qui en ferait un « sport de village » – comptant malgré tout 5300 licenciés.
Dans la revue Esprit, Yann Raison du Cleuziou parle de « décomposition folklorique » pour qualifier les velléités de « muséification de la France catholique » de personnalités comme Robert Ménard. Comme si le fait de rester dans son jus, de résister au passage du temps, de refuser de faire évoluer une pratique, était synonyme d’une pureté devenue l’unique boussole éthique. Une considération que la Fédération française de jeu de balle au tambourin ne semble pas vraiment partager.
À Joseph Géniès, alors que Cazouls reprend le match en main, ça sent davantage la compétition acharnée que la naphtaline. Le tambourin n’est pas un folklore figé comme peuvent l’être les joutes, leurs costumes blancs, leurs joueurs de binious. Ici, les sportifs sont en shorts Joma. Les logos du Pétrin de Steph Anne (une boulangerie-pâtisserie de la région, ndlr) ou des Transports Vendémianais ornent leurs t-shirts, ceux du Crédit Agricole, la peau des tambourins – on est plus proche du match de basket que du Festival interceltique de Lorient, plus dans l’effort physique que dans la célébration du patrimoine. Après environ deux heures de match, Vendémian s’est finalement incliné 13 jeux à 9 : la Coupe va donc quitter le village et élire domicile à Cazouls, 15 kilomètres plus au sud-ouest.