Illustration via l’utilisateur Flickr DonkeyHotey
On connaissait déjà la situation peu enviable des étudiants anglo-saxons, confrontés à un système d’éducation supérieure onéreux et happé par le privé. Au point que certains d’entre eux préfèrent fuir vers l’Europe afin de ne pas honorer une dette équivalente au prix d’un studio en centre-ville d’Amiens. Malheureusement, la privatisation des formations supérieures et les coûts prodigieux qui y sont associés sont aussi en bonne marche pour conquérir la France.
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D’après l’Insee, la hausse du nombre d’étudiants ces 10 dernières années serait à 80 %imputable au succès du secteur privé et de ses écoles. Écoles de commerce, écoles d’ingé, paramédicales ou sociales séduisent de plus en plus une génération à qui l’on a répété que « la fac, ça ne mène à rien ». Cependant, si les frais d’inscription en école d’ingénieurs continuent de bénéficier de tarifs convenables ( 610 € par an), les écoles de commerce post-bac et post-prépa affichent des tarifs en constante augmentation qui se rapprochent dangereusement de l’indécence pratiquée outre-Atlantique.
Ainsi, entre 2011 et 2015, l’EDHEC, École Supérieure de Commerce basée à Lille et 5 e au classement national (la première étant HEC), a augmenté impunément ses tarifs de 46 %, éditant une facture de 45 000 € par élève pour trois années de cursus. En 2015 également, on apprenait que le seuil symbolique moyen des 10 000 € à l’année avait été dépassé par les écoles de commerce du même type. Si les tarifs pratiqués par les ESC sont prohibitifs et laissent nombre d’élèves issus des classes populaires sur le carreau, ils peuvent aussi constituer une première plongée dans les affres de l’endettement pour une bonne partie des étudiants qui feront le choix d’aller user les fauteuils moelleux d’amphis hors de prix. J’ai demandé si le jeu en valait la chandelle à ceux qui ont tenté de rejoindre les rangs policés de la ronde commerciale, et qui n’ont eu d’autre choix que d’aller frapper à la porte du banquier à leur sortie du bac ou de la prépa.
LUCIE, 24 ANS — 13 000 € d’emprunt
VICE : Salut Lucie, dis-moi, comment sont tes relations avec ta banquière ?
Lucie : Pour l’instant, ça va à peu près. À la fin de mes études, j’avais contracté un prêt de 13 000 €, sans compter les intérêts. Aujourd’hui, il me reste à rembourser 5 856 € sur deux ans. Mes frais de scolarité s’élevaient à 20 000 €, à côté de quoi il fallait compter le logement et la bouffe. Pour payer le reste des frais de scolarité, j’ai emprunté 1 000 € à mon oncle et ma mère a emprunté 9000 € à une amie.
Tu as fait quoi comme école ?
J’ai fait une école de commerce, une « ESC » après une prépa publique de deux ans et qu’on intègre sur concours. Quand je suis rentrée en prépa, je n’avais aucune idée de combien coûtait une année en école. Au final, j’ai eu l’impression d’être enrôlée au sein d’une vaste arnaque. Les seuls trucs que j’y ai trouvés valables, ce sont la vie associative et les stages. Mais, de mon avis, les cours ne valent pas le prix qu’on y met. Du coup je n’ai pas payé ma dernière année, histoire de ne pas m’endetter de 10 000 balles de plus pour les deux pauvres cours qu’il me restait à valider. Donc je ne suis pas diplômée. Mais ça ne me porte pas préjudice, a priori.Aujourd’hui, je suis rédactrice freelance et auteure. Je gagne presque un SMIC en restant chez moi, en bossant entre 15 et 20 heures par semaine.
Et ça te permet de vivre convenablement au regard de tes obligations de remboursement ?
Pas tout à fait, mais j’imagine que ça s’explique en partie par mes exigences concernant ce qui est « convenable ». J’aime bien voyager par exemple. Mais bon, j’avoue que je réfléchis avant de m’acheter des culottes ou des chaussettes. Donc non.
L’avenir se présente comment ?
Pour l’instant, être endettée ne me dérange pas trop, mais je me suis souvent sentie piégée. Je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler subitement et partir à l’aventure en vivant d’amour et d’eau fraîche. Là, il me reste deux ans d’échéances, donc ça passe. D’autant plus que je devrais bientôt toucher un petit héritage qui me permettra de rembourser la banque (mes parents ont acheté une maison quand ils étaient jeunes et ils ont mis 20 ans à la rembourser, suite au décès de mon père la maison sera prochainement vendue).
Enfin, je dis ça, mais ça fait trois mois que je vis chez ma mère, donc c’est assez facile pour l’instant. Là je vais prendre un appart en coloc en région parisienne. Globalement, je compte manger beaucoup de pâtes. Et faire du baby-sitting ou donner des cours au black quand je voudrais me payer une pinte.
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ANTOINE, 25 ANS — 33 000 € d’emprunt
VICE : Salut Antoine, comment vont tes finances ?
Antoine : À la fin de mes études, j’avais contracté un prêt d’un total de 33 000 euros. Aujourd’hui, il m’en reste 28 000 à rembourser. Je devrais être libre de toute obligation en 2020, j’aurai alors 29 ans. Aujourd’hui, sur les 2 200 € nets que je gagne chaque mois, je rembourse mon prêt à hauteur de 800 €, soit plus d’un tiers. On respire davantage qu’en tant qu’étudiant, mais les vacances sous les tropiques et les grands projets, ce n’est pas pour tout de suite.
Est-ce que tu as eu recours à d’autres méthodes de financement pour tes études ?
Oui, aussi bien pour financer ma vie étudiante que pour rembourser mon premier prêt de 1 500 €, j’ai fait des petits boulots. J’ai été professeur à domicile. Puis téléconseiller chez Darty. C’était extrêmement éprouvant d’enchaîner des journées 6h-23h pour concilier travail, cours et projets associatifs et ça s’est ressenti sur mes performances. En troisième année, ça s’est compliqué, entre un stage payé 700 € et les loyers parisiens, j’ai dû trouver un revenu supplémentaire. Je suis redevenu professeur à domicile pour trois collégiens, ce qui m’a permis de survivre.
Et aujourd’hui, ça se passe bien ?
Aujourd’hui, je vis convenablement. Par contre, je vois beaucoup de gens de mon âge autour de moi qui commencent à parler d’investissement immobilier ou de projets de boîtes pour lesquels ils économisent. De mon côté, je vais certainement attendre mes 28 ans avant de pouvoir faire quelque chose dans ce genre-là.
CAMILLE, 24 ANS — 17 000 € d’emprunt
VICE : Tu peux nous dire combien tu as emprunté pour tes études ?
Camille : Au total, j’avais provisionné 30 000 euros avec la banque, mais grâce à l’aide de ma mère et en travaillant beaucoup par-ci par-là, j’ai réussi à n’emprunter que 17 000 € pour financer mes trois années d’école à 30 000 euros.
Et tu as déjà commencé à rembourser cette dette ?
Concrètement, je ne commencerai le remboursement qu’à partir de juin 2017. Je vais devoir rembourser un peu moins de 300 € par mois avec l’assurance. En attendant, tous les mois je verse environ 35 € à fonds perdu, qui ne correspondent ni à des intérêts – ni à rien.
Je pense mettre tous les mois de côté pour ne pas trop souffrir lors du remboursement. Mais pour l’instant je n’ai pas encore commencé à vraiment le faire, je viens tout juste d’être embauchée et de prendre un appart, il y a donc beaucoup de frais associés.
Du coup, comment tu as financé les 12 000 € restants ?
Ma mère m’a prêté 5 000 euros afin que je n’emprunte pas trop. Je lui rembourserai plus tard, c’est une assez grosse somme pour elle.
Sinon, j’ai travaillé à peu près tout le temps pendant le lycée, pendant mes deux années de prépa puis pendant les deux premières années de master. Vacances scolaires, week-ends, et la semaine aussi à raison de 20 heures hebdomadaires en première année d’école, et même pendant mes stages de césure.
J’ai un peu tout fait : de la manutention dans une entreprise de tuyaux en plastiques, de l’ouvrier à la chaîne dans un abattoir, beaucoup d’heures au McDo, des baby-sittings, des missions en intérim, des cours particuliers… C’est simple, de 18 à 23 ans, dès qu’il y avait un créneau pour, je faisais en sorte de trouver un boulot. J’ai aussi bénéficié d’une petite aide de la part de l’entreprise de ma mère (avec sa caisse de retraite). J’ai reçu 2 000 € par an pendant trois ans, ce qui m’a aidé à assurer un quotidien pas trop mal. Ce genre d’aides est assez peu relayé par les entreprises, mais c’est super important.
Et l’avenir se présente comment ?
Aujourd’hui j’ai un job en CDI très mal payé : 2 000 € brut par mois, soit 1 460 € nets. Au global, c’est déjà un peu juste pour vivre à Paris. Avec le prêt à rembourser, 300 euros par mois c’est un peu plus d’un 1/5 de mon budget.
Pour essayer de m’en sortir, l’idée est de vite renégocier mon salaire pour essayer d’avoir peut-être 150 euros par mois en plus. Ça ne va pas loin mais c’est déjà ça, sinon je prendrai un petit boulot en plus de mon travail actuel.
ROMAIN, 27 ANS — 32 000 € d’emprunt
VICE : Salut Romain, parle-moi un peu de ta dette.
Romain : À la fin de mes études, j’avais une dette de 32 000 € pour un capital emprunté de « seulement » 21 000 €. Au total, j’estime que mes études m’ont coûté près de 50 000 euros. La vérité, c’est que j’ai mal géré en acceptant un taux d’intérêt très élevé alors que mon école avait des partenariats avec certaines banques permettant d’avoir un taux à 0 %. Aujourd’hui, j’aurais quasiment fini de rembourser si j’avais fait ça. Par ailleurs des possibilités d’apprentissage existaient et m’auraient permis d’avoir ma scolarité gratuite, tout en ayant un salaire. Comme j’aime le challenge, j’ai choisi l’option la plus désavantageuse.
Est-ce que tu as eu recours à d’autres méthodes de financement pour tes études ?
J’ai globalement choisi des stages bien rémunérés dans le secteur de la finance, et dans les périodes creuses, je donnais des cours (de littérature pour les lycéens passant le bac de français, d’analyse et synthèse de texte pour des candidats à des écoles de commerce post-bac).
Aujourd’hui, tu en es où ?
Aujourd’hui je suis en emploi longue durée. Je ne peux pas me permettre de ne pas travailler. On va dire que cette épée de Damoclès de l’emprunt me permet de garder de la motivation, y compris dans les moments difficiles. Je prends cela comme une force.
Hmm, OK. Est-ce que cette situation te permet de vivre convenablement au regard de tes obligations de remboursement ?
Oui, mais elle ne me permet pas vraiment de faire de folies, au risque de me retrouver dans le rouge au moment des impôts. Le remboursement prenait environ 1/4 de mon salaire en première année d’embauche, maintenant ça se réduit de plus en plus, mon entreprise donnant la possibilité d’avoir des augmentations annuelles en contrepartie bien sûr d’une bonne implication et d’un travail de qualité.
C’est quoi ton plan, pour venir à bout de ton emprunt ?
Je vais continuer à travailler comme je le fais et à rembourser chaque mois les échéances. Ça me permet à la fois de renforcer mes compétences, de créer un réseau, et je me dis que ça me permettra d’agir en connaissance de cause si je veux un jour créer mon entreprise. L’emprunt étudiant pour moi, c’est avant tout un investissement.