Avec les mecs et filles condamnés à des Travaux d’intérêt général

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reportage

Avec les mecs et filles condamnés à des Travaux d’intérêt général

Sur la voie de la réinsertion avec plusieurs Français qui ont préféré le boulot pour l’État à la prison.

La bouche relevée par un demi-sourire, Clément* est à la fois volontaire et timide quand il s'assoit en face de moi. Très mince, son corps semble agité d'une énergie incontrôlable malgré l'heure matinale.

Clément a 33 ans et été condamné à trois reprises. Les peines lui ont valu entre cinq et six mois de prison à chaque fois. La quatrième fois, le juge lui a proposé de commuer sa peine en Travaux d'intérêt général (ou TIG) et Clément a accepté. « Ça vaut toujours mieux que la cage », dit-il. D'ailleurs, il en avait déjà parlé lors de ses condamnations précédentes – tout comme le bracelet électronique – mais les juges avaient refusé. Cependant, malgré cette opportunité, les choses n'ont pas été simples pour Clément.

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« J'ai pris 240 heures, m'explique-t-il. Je devais les passer à la ville d'Amiens mais je me suis embrouillé avec le gars. » Du coup, le SPIP (pour Service pénitentiaire d'insertion et de probation) a été contraint de le placer ailleurs. C'est comme ça qu'il est arrivé ici, dans un centre de réinsertion d'Amiens, dans la Somme.

Je me tiens à ses côtés dans l'un des ateliers d'une association d'accueil et d'insertion, comme il en existe dans plusieurs villes de France. On y trouve des tigistes certes, mais aussi des personnes en contrats d'insertion. Selon ce qu'ils savent faire, ou ne pas faire, ils nettoient ou réparent des voitures. Le tout est ensuite refacturé à un tarif abordable à des gens n'ayant pas les moyens d'aller dans un garage classique. Ou alors, ils bossent au restaurant solidaire de l'association, comme Clément qui, après ses TIG, vient d'être pris en contrat de réinsertion.

« Je bosse ici trois jours par semaine, me dit-il. Je m'occupe de préparer les bacs qui vont partir au four. Et puis s'il y a du monde à midi, je m'occupe de faire cuire les steaks, des choses comme ça. » Au départ, Clément a été formé pour être plombier-canalisateur. « C'est pas la même », comme il dit.

Instaurés par une loi de 1983 alors que Robert Badinter était ministre de la Justice, les Travaux d'intérêt général permettent de mettre à l'épreuve un condamné de plus de 16 ans, de compléter sa peine ou plus souvent, de lui éviter un premier contact nécessairement désagréable avec la prison.

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En plus de limiter la surpopulation carcérale, les TIG sont aussi bons pour la Justice puisqu'ils n'engendrent aucun frais supplémentaire par rapport à une condamnation normale, quand une journée de prison coûte, selon La Cour des comptes, 71,10 euros au pays. Une économie d'autant plus importante que selon les statistiques d'Infostat Justice, plus de 25 000 peines de TIG ont été prononcées en 2012 contre 30 000 en 2014, soit selon les années entre 4 % et 5 % du total des peines. Et pour cause, en TIG, on bosse pour une asso, une collectivité locale ou un organisme public sans toucher un centime et sans être pris en charge le moins du monde. Question mission, rien n'est exclu. Vous pouvez nettoyer les plages, tailler les plantes de la femme du maire ou encore, encadrer des activités dans un centre social.

Ses TIG terminés, Clément est désormais en contrat de réinsertion ici et pour rien au monde il n'aurait changé de mission. « J'aurais jamais cru que ça me plaise autant, dit-il. Au début j'y allais à reculons, mais moi je suis quelqu'un d'assez speed – et en cuisine c'est hyper speed. Le jour de la fin de mes TIG je devais finir à 11 heures mais le soir y'avait un gros événement – un barbecue –, donc je suis resté 5 heures de plus, pour aider. »

Ce boulot en TIG a également permis à Clément de restructurer un peu sa vie. Notamment dans sa tête, comme il le dit lui-même. « Je dois voir un psy tous les mois. Je suis moins énervé alors que quand j'étais en ville – j'avais une crête et des dreads. J'ai passé un an dans la rue avant que mon père ne m'aide à retrouver un appartement. »

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Une photo de Clément, en plein TIG. Son portrait a été flouté à sa demande.

Pour Michel, le constat est assez différent. Âgé de 37 ans, il n'a pas le profil du jeune qui tourne mal et qui se fait coincer pour une connerie. D'ailleurs, c'est lui qui le dit. « Comme prénom ? Tu mettras Michel », me dit-il, tandis que nous commençons à discuter. Lorsque je lui demande pourquoi, il me répond aussi sec. « Comme ça, les gens se diront que c'est un type d'une cinquantaine d'années, un type normal. Ils se diront qu'il n'y a pas que les jeunes des quartiers qui font des TIG », selon lui.

Si bien sûr il n'y avait aucune raison de changer le profil sociologique de Michel, son constat est indéniable. D'ailleurs, ce vendeur de véhicules agricoles n'en a pas tiré les mêmes bénéfices que Clément. Condamné à six mois de prison ferme pour s'être fait choper ivre au volant de sa voiture, il nettoie des bagnoles dans le même centre que Clément, à Amiens.

Son boulot ici ne lui plaît pas particulièrement. D'après lui, c'est sans doute parce que son profil ne correspond pas à ceux des autres à côté de lui. « C'est un boulot de jeune qui doit se réinsérer. Bon, maintenant, pour le gars qui ne sait rien faire de ses dix doigts, c'est un bon moyen de se mettre en selle, hein. »

Il ajoute qu'il préfère tout de même les TIG au bracelet électronique, « parce que ça, c'est comme être en prison chez soi ». Et la taule, il ne veut même pas en parler. « C'est pire – pas tant parce que t'es enfermé que le milieu carcéral en lui-même. Je ne me sens pas un criminel, je n'ai donc pas l'impression que ma place se trouve là-bas » ajoute-t-il.

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Toutefois, si Michel n'a en effet pas grand-chose d'un personnage de la série Oz, le fait qu'il ait frôlé les six mois fermes ne tient pas du hasard. Il s'agit d'une récidive. Les premiers six mois de retrait de permis puis les quatre mois de sursis n'avaient pas suffi à le décourager. Aujourd'hui, il s'en mord les doigts.

« Non, non plus d'alcool au volant, ça coûte trop cher, dit-il. Et puis il faut être prudent : ça peut avoir des conséquences. »

« La première fois, j'étais bourrée avec des potes, et j'ai voulu refaire la scène de La Haine en écrivant "Nique la police" sur un camion de flics. Sauf que je me suis fait serrer. » –Julie, condamnée à des TIG

Julie, elle, fait partie de celles et ceux qui n'arrêteront pas de sitôt. Elle a un peu moins de 30 ans, et est militante d'extrême gauche. « Toutes mes condamnations ne m'ont pas enlevé mes convictions par rapport à l'action de la police », me dit-elle pour commencer. Elle tient à préciser qu'elle n'a jamais été arrêtée pour vol, ou toute autre agression, comme certaines des personnes présentes autour d'elle. « Je ne juge pas ce qu'ils ont fait, précise-t-elle. Mais moi ce que je fais, ce sont des trucs militants et je ne vais pas arrêter du jour au lendemain. »

La jeune femme a le regard dur. Elle me raconte sa vie et les raisons qui l'ont menée en TIG. « La première fois, j'étais bourrée avec des potes, et j'ai voulu refaire la scène de La Haine en écrivant "Nique la police" sur un camion de flics. Sauf que je me suis fait serrer. Et puis j'ai donné un faux nom, ce qui a encore alourdi le truc. » Puis il y a eu une deuxième fois, toujours avec les forces de l'ordre. « L'autre fois, je n'ai pas répondu à un policier qui m'avait reconnue et saluée. Du coup, il m'a bousculée, et je lui aurais dit "crapule". J'ai été jugée coupable d'outrage à agent. »

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En formation d'éducatrice spécialisée, Julie est donc dirigée par le SPIP vers un petit centre social niché dans un quartier populaire du centre de Lyon. Venant notamment en aide aux personnes âgées étrangères, le centre reçoit souvent des tigistes. Ici, ils aident les usagers dans leurs démarches juridiques, l'obtention de leurs droits, ils organisent aussi des événements et jouent avec eux. Certains s'occupent de l'épicerie sociale du centre.

« Les TIG m'ont servie à faire de belles rencontres, connaître des gens vers lesquels je ne serais pas allée toute seule – les personnes âgées, notamment. Au début, je me suis fait remettre à ma place par la directrice du centre qui ne voulait pas que je reste à l'écart des réunions d'équipe. Maintenant, c'est devenu la famille. »

Pour l'heure, cela suffit à Julie. Elle ne se projette pas encore dans un futur avec une maison et une famille. « Je finis ma formation cette année, ensuite je chercherai du boulot et on verra. Je ne vis pas au jour le jour mais disons, année après année. »

Elle rêve de construire une maison au bord de la mer. Elle espère également que les flics qui font de la merde soient condamnés, comme elle. « Que les choses changent un peu, quoi. »

Une photo des usagers du centre d'aide aux nouveaux arrivants où Julie et Zakarya ont fait leurs Travaux d'intérêt général.

Zakarya a fait ses TIG dans le même centre que Julie. Comme elle, il a eu des emmerdes avec la police. « Je me suis fait cogner pendant mon arrestation et maintenant je leur dois de l'argent, m'annonce-t-il. Je dois même payer les jours d'ITT (Incapacité totale de travail) et l'avocat du policier en question. »

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Mais toujours comme Julie, il a découvert ici une véritable famille. Il suffit de voir le regard et les mots des usagers lorsque je traverse le centre avec lui. Ce jeune homme de 21 ans s'attire les sourires d'hommes et de femmes qui pourraient être ses grands-parents, plaisante avec eux comme avec des amis. Quand je demande si je peux prendre une photo, on me répond que si je suis avec Zakarya, je peux faire ce que je veux.

« Ils sont là pour moi. Parfois, ils m'appellent pour que je les aide avec quelque chose chez eux – je le fais avec plaisir. »

Il m'explique qu'après ses heures de TIG, le centre lui a proposé un service civique très mal payé, faute de pouvoir offrir mieux. Il l'a accepté, en se disant qu'il fallait mettre du blé de côté. Mais ça a tourné court. « Après le service, poursuit-il, on a même voulu faire un contrat pour que je touche au moins 1 000 euros par mois – mais ici il y a peu d'argent. »

C'est pourquoi aujourd'hui, Zakarya cherche du boulot. Et même s'il aurait aimé continuer à travailler au centre, dans le social, il sait ce qu'il a gagné à découvrir cette face-là de la vie professionnelle. Il cherche dans la logistique, c'est sa spécialité.

Aujourd'hui adulte, le gamin qui jetait des colis à ses potes en prison semble avoir disparu pour de bon. « Les TIG m'ont passé le goût des conneries – même si parfois ça revient, à cause du manque d'argent. Et puis, ça a fait du mal à mes parents. Ça ne vaut pas le coup de faire pleurer sa mère pour de l'argent. »

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La sagesse ordinaire de Zakarya est aussi faite de colère et de lucidité. « Si mes parents n'étaient pas là, rien ne me retiendrait de faire du fric – ça nous tend la main dans les quartiers. D'autant plus que maintenant que je suis honnête, j'aide mes parents à payer leurs impôts. Alors que quand j'étais du mauvais côté, je leur pissais dessus – j'avais juste besoin d'une bonne paire de chaussures. »

D'après ce qu'il me dit, Zakarya aimerait bien se tirer dans les années à venir. Il voit sa vie en Australie. « Ou au Canada, ça a l'air tranquille là-bas. »

Comme Zakarya ou Julie, Clément a l'air, après ses années de galère, bien dans sa vie aujourd'hui. Même si les traces qu'elles lui ont laissé, physiquement comme psychologiquement, ne disparaîtront peut-être pas. Tremblant en permanence, son corps bouge par saccades. Son sourire, plein de douceur, ne masque complètement son passé. Les bagarres, les allers-retours en foyer, la rue, la drogue, et le reste.

Comme tous ceux qui sont passés par les TIG, Clément se méfie. Il sait que tout est fragile. Il sait que même si sa peine lui a ouvert les portes d'une vie plus stable, le vrai changement est d'abord passé par lui. « Quand j'étais plombier, je rêvais d'acheter un camion pour faire de la sous-traitance pour Veolia. Mais maintenant j'y vais à tâtons. Je ne veux pas foncer tête baissée et finir dans le mur. »

Quand je lui demande ce qu'il compte faire en 2017, il me répond : « Peut-être juste une formation dans la cuisine. »

*Certains noms et informations ont été modifiés afin de protéger nos intervenants. Jean-Baptiste est sur Twitter .