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On a rencontré les médecins qui développent des thérapies en réalité virtuelle

La réalité virtuelle n’est pas qu’une affaire de gamers. Dans le domaine médical, les expériences VR servent à soulager les peurs irrationnelles, les douleurs chroniques, les personnes en rééducation… Pour concevoir les simulations qui permettront d’aider leurs patients, les médecins n’ont d’autre choix que mettre la main à la pâte virtuelle : aux côtés de professionnels du développement en VR, les psychiatres se mettent à l’écriture de scénario, les kinésithérapeutes goûtent à la gamification et les dentistes découvrent le level design. Un mélange des disciplines qui emprunte tant à l’expérience qu’à l’imagination.

Prenons le cas des phobies, le trouble le plus traité par la VR. « La première publication sur le traitement de la peur des hauteurs, des avions et des araignées par la réalité virtuelle date de 1995. Au fil du temps, on retrouve des troubles anxieux de plus en plus compliqués comme les stress post-traumatiques ou la phobie sociale. Cela fonctionne très bien sur les phobies spécifiques. Elle est également utilisée pour les troubles du comportement alimentaire entraînant une dysmorphophobie et les addictions » détaille Fanny Lévy, médecin psychiatre à l’hôpital parisien La Pitié-Salpêtrière et co-fondatrice de My Reve, une start-up qui développe une plateforme de programmes thérapeutiques pour se soigner sa phobie grâce à la VR sans consulter de médecin.

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Pour la dysmorphophobie, les patients évoluent dans des personnages virtuels de proportions différentes qui les renvoient à la réalité de leur propre corps. Les patients soignant leur addiction sont plongés dans des univers où la consommation de substances est tentante. Des essais réalisés avec des schizophrènes ont montré des résultats encourageants, en particulier pour la phase de dialogue avec un avatar représentant leurs hallucinations acoustico-verbales.

Arachnophobia, une simulation amateur « pas trop sérieuse » pour soigner sa peur des araignées à la maison. Image : capture d’écran

En consultation médicale, le processus de sélection du programme le plus adapté au patient commence par l’énumération des situations qui lui font peur. Il doit graduer son anxiété vis-à-vis des situations évoquées. La limite ? Les programmes disponibles. « S’il a peur d’aller sur la Lune, ce n’est pas dans notre catalogue », reconnaît Fanny Lévy.

Dans le traitement des phobies, le but de la réalité virtuelle n’est pas de divertir le patient mais de le confronter graduellement à sa peur. « Il faut progresser doucement. Il y a tout un job à faire pour que le patient se mette vraiment dedans, pour qu’il soit disposé à croire aux images comme si elles étaient réelles pour leurrer le cerveau, explique la psychiatre. La réalité virtuelle est plus immersive mais surtout plus progressive. »

Il faut donc établir un scénario et un environnement en connaissance de cause pour ne pas brusquer le patient mais obtenir des résultats. « Le scénario relève de l’expertise médicale et de l’expérience clinique. Il faut connaître la pathologie, savoir ce que cela implique, les situations déclenchant la peur, les réactions possibles. Les caractéristiques de ses environnements viennent des entretiens avec les patients au fil des années. La littérature scientifique donne également des pistes pour faire un cahier des charges des programmes », explique Fanny Lévy. Pour que le patient se prenne au jeu, l’environnement doit être réaliste et immersif. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) collabore avec les ingénieurs du CNRS pour obtenir des décors 3D adaptés. Des sociétés spécialisées proposent aussi des banques d’environnements en réalité virtuelle modifiable à volonté, un peu comme des banques d’images.

« On pense au côté immersif et ludique. Pourquoi le patient ne serait pas un oiseau qui devrait battre des bras pour avancer ? »

L’objectif est de créer un copié-collé de la réalité, respectueux des lois de la physique. « Il n’y aura jamais de saut extraordinaire ou de cheval volant comme dans un jeu vidéo. Il n’y a pas de distraction. L’environnement est épuré pour que le patient se concentre sur l’objet de sa peur. Il n’y a pas de fun, confirme la psychiatre. De plus, un anxieux ne traite pas les signaux comme quelqu’un qui n’a pas peur. Il ne faut pas qu’il soit submergé ou confronté à trop d’éléments comme dans la réalité. Le dialogue est permanent avec les développeurs pour doser cet équilibre entre le réalisme et la simplification. Mais il y a des choses que l’on ne peut pas prévoir. On a imaginé des scénarios censés faire peur mais les patients n’étaient pas effrayés. Il faut réadapter. C’est une méthodologie particulière de créer un programme qui doit générer une réponse d’anxiété. »

Dans d’autres spécialités, les simulations VR sont plutôt développées pour compléter des procédures pratiquées IRL. Lucas Vanryb est président de KineQuantum, une start-up proposant une soixantaine de programmes de thérapie immersive pour les kinésithérapeutes. Il explique : « Des exercices traditionnellement réalisés en vrai sont adaptés pour créer un jeu. Ce n’est pas toujours évident de réaliser de la kiné active. C’est douloureux, on est focalisé sur le mouvement. L’aspect ludique est très important. En jeu, dans un environnement qui fait rêver, où on peut voler comme un oiseau par exemple, les patients sont fascinés dès les premiers essais. Ça devient plus agréable pour eux. »

Une simulation en réalité virtuelle pour lutter contre la claustrophobie développée par l’entreprise Tomorrow. Image : capture d’écran

Jusqu’ici, pour rééduquer l’équilibre et les perturbations vestibulaires, les kinés n’avaient d’autre choix que de demander à leur patient de fermer les yeux, une contrainte limitante. Les professionnels de santé ont donc créé des mondes virtuels conçus pour perturber les repères visuels en simulant des mouvements de la pièce qui entoure le patient. Grâce à ces dispositifs, des exercices difficiles à réaliser en vrai deviennent plus faciles. « On a une équipe de kinés équipés qui nous indiquent les mouvements qu’ils aimeraient voir adaptés en VR, explique Natacha Vanryb, co-fondatrice de KineQuantum. Prenons un exemple, lever les bras à l’horizontale. On va réfléchir avec notre développeur comment gamifier ce mouvement. On va trouver différentes idées de jeux pour permettre au patient de réaliser ce mouvement. »

En kiné, le fun en réalité virtuelle est permis, et même recommandé pour divertir le patient et lui permettre de réaliser des mouvements sans y penser. D’où cette tendance à la gamification, explique Natacha Vanryb : « Il faut que l’univers soit suffisamment réaliste pour que le patient se sente projeté, mais il n’y a aucun impératif ou critère spécifique que l’on ne rencontre en psychiatrie. On aime varier les environnements d’un exercice à un autre. On a du médiéval, sous l’eau, dans les airs, dans un stade de foot… On pense au côté immersif et ludique. Pourquoi le patient ne serait pas un oiseau qui devrait battre des bras pour avancer ? »

En kinésithérapie, la réalité virtuelle peut même aider à combattre la compensation, le phénomène qui pousse le corps des patients à contourner la douleur en adaptant le mouvement. « C’est une manière de tricher pour réussir l’exercice sans réaliser le bons mouvements. On a parfois des exercices que l’on a dû revoir car le patient avait trouvé une solution que l’on ne pouvait pas imaginer. Les kinés nous en informent et l’on peut modifier l’exercice pour empêcher cette compensation. Une fois au point, les tests en interne puis à des patients testeurs permettent de finaliser et de sortir le programme », poursuit Natacha Vanryb.

Un bord de mer virtuel conçu par l’unité de soins intensifs de l’Hôpital Queen Elizabeth de Birmingham.

Dans le cas des douleurs chroniques, les expériences VR thérapeutiques peuvent être conçues comme un pur divertissement. En 2017, à Londres, L’hôpital Royal Trinity Hospice s’est associé au réalisateur Leon Ancliffe pour créer des programmes recréant les rêves irréalisés de personnes en fin de vie. Touché par une mère paralysée qui lui avait confié sa tristesse de n’avoir jamais nagé avec les dauphins, le professionnel de l’image a tourné un film en 3D et 360° auprès des cétacés. La patiente a été si ravie que d’autres films ont été tournés. Dans la gestion de la douleur, la clé est la distraction. Grâce à l’équipement VR, le patient est plongé dans un univers qui occulte l’hôpital, les médecins et le monde extérieur.

Les expériences de réalité virtuelle ludique et thérapeutique ne sont pas si différentes : dans les deux cas, l’important est de captiver l’utilisateur. « Ce qui compte à chaque traitement, c’est que le patient mette vraiment en immersion dans la situation, rappelle la psychiatre Fanny Lévy. En portant son attention sur autre chose, le patient est absorbé ailleurs et ressent moins de douleur. » Les développeurs de VR pour patients ont donc tout intérêt à créer des expériences toujours plus captivantes. À condition de choisir l’environnement qui convient, bien sûr : l’année dernière, des chercheurs de l’université de Plymouth ont montré qu’une balade virtuelle en bord de mer soulageait la douleur et l’anxiété d’une visite chez le dentiste mais qu’une balade virtuelle en ville n’y changeait rien.

La réalité virtuelle thérapeutique semble promise à un bel avenir. Elle captive les acteurs privés, son efficacité est prouvée, les chercheurs et les organismes de santé publique s’intéressent de plus en plus à elle… Pour le cabinet Global Industry Analysts, le marché des applications médicales de la réalité virtuelle atteindra presque quatre milliards de dollars en 2020. Ce succès pourrait-il donner naissance à une industrie de la VR thérapeutique, avec son Ubisoft ou son Nintendo ? Les plus grands médecins et les meilleurs développeurs travailleront-ils de concert pour concevoir des simulations à l’efficacité redoutable ? Ce n’est pas sûr : pour le moment, les risques et effets à long terme de ces thérapies restent mystérieux.