Sexe

Avec les millennials qui ont choisi le célibat volontaire

Milenijals dobrovoljno u celibatu

Quand avez-vous fait l’amour pour la dernière fois ? Question délicate, je vous l’accorde, mais à laquelle vous devriez pouvoir répondre en quelques secondes. Ce matin, c’est ça ? Ou bien il y a quinze jours, malheureusement ? Imaginez maintenant que votre dernière baise remonte à si loin que vous n’arrivez même plus à vous en souvenir ? Et que cette décision de renoncer au sexe est entièrement volontaire ?

Bienvenue dans le monde des millennials célibataires.

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Et plus précisément, bienvenue dans mon monde. Je suis un homme de 29 ans qui a volontairement adopté le célibat. J’ai conscience que le terme de « célibat » évoque des images de moines timides, de vierges effarouchées ou de provinciaux en claquettes. L’idée même d’être un millennial volontairement célibataire (et agnostique) est, pour beaucoup, terriblement consternante. Pourtant, c’est une réalité dont vous n’êtes pas si éloigné.

Il y a plusieurs années maintenant, ma dernière relation amoureuse s’est effondrée de la manière habituelle. Deux personnes tristes et stressées ne peuvent se rendre heureuses que jusqu’à un certain point. Et à moins qu’elles n’aient toutes les deux suffisamment de libido pour batifoler matin, midi et soir, le sexe est bien souvent la première chose à disparaître.

La nuit, devant l’écran faiblement éclairé de votre ordinateur, vous vous éloignez doucement l’un de l’autre, vous tournant silencieusement vers des murs opposés. Le matin, l’un de vous va prendre sa douche pendant que l’autre lit ses messages, et vous commencez la journée en étant stressés, faisant de la vie un événement impossible à contrôler ou à ralentir. Puis vous changez de partenaire. Nous avons fini par rompre. Elle a déménagé, moi aussi, et nous avons chacun essayé de passer à autre chose.

« Les rencards sont devenus un travail, et nos profils Tinder, Grindr et AdopteUnMec sont devenus nos CV »

Longtemps après cette rupture, je me suis demandé quand le désir – un terme que je n’avais jamais utilisé avec autant de sérieux auparavant – reviendrait frapper à ma porte. Au début, cela m’inquiétait beaucoup. Et puis, ça a commencé à passer. Après quelques mois de cette abstinence imposée par la force des choses, j’ai compris que, en dehors du contexte d’une relation, le sexe n’était pas une partie si importante de ma vie.

Qu’importe la fréquence de vos rapports sexuels, vous devez très certainement avoir remarqué que nous vivons un changement radical dans notre façon de concevoir l’amour, le sexe et les relations. Les rendez-vous romantiques sont censés être amusants, rappelons-le, mais ils le sont de moins en moins. Les applis omniprésentes que nous examinons dans les bus et les chiottes des bars nous condamnent à des échanges tristes et nous incitent à créer des versions de nous-mêmes toujours plus attrayantes pour le marché de l’amour. Les rencards sont devenus un travail, et nos profils Tinder, Grindr et AdopteUnMec sont devenus nos CV. Tout ça pour « clore le contrat » d’une intimité qui n’est que vaguement réelle. Il y a des quotas de productivité à atteindre, des rendez-vous à organiser, des formalités administratives à remplir et des rapports à rendre aux groupes de messageries avides de potins.

Quand les rencards – qui sont, après tout, le meilleur moyen d’aboutir sur du sexe – finissent par devenir lassants, voire une source d’anxiété, alors le désir lui-même s’imprègne d’un sentiment similaire de tension paralysante. Et quand le désir devient source d’anxiété, il en va de même pour le concept même du désir ou le sentiment d’être désiré. En un rien de temps, le sexe lui-même cesse d’être une perspective attirante.

Nous savons tous que les millennials font apparemment moins l’amour que toutes les générations précédentes. Même votre arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père celte qui vivait dans une hutte tirait plus son coup que vous. Et nous savons tous que l’anxiété, fléau de la condition moderne, joue un rôle essentiel à cet égard.

« Plutôt que d’essayer de satisfaire ce terrible besoin de sexe ou d’intimité, je pouvais le minimiser, le réduire à un niveau tolérable, voire agréable » – Jack, 26 ans

L’anxiété est, je pense, la principale raison qui m’amène à joyeusement abandonner, à 29 ans, la grande bataille du désir et de la conquête. Parce que l’amour et le désir ne me procurent plus ni réconfort, ni échappatoire. Au contraire, ils semblent, comme toute autre chose, se soumettre à l’assaut des névroses transactionnelles que constitue la vie à l’ère numérique.

Jack est un mannequin de 26 ans qui vit à Londres. L’année dernière, juste après Noël, il a lui aussi fait le vœu de rester célibataire, bien que ses motivations n’étaient pas tout à fait les mêmes que les miennes. « Je venais de vivre une série de ruptures et j’avais le cœur complètement brisé par un homme qui faisait merveilleusement bien l’amour – le fait d’avoir des relations médiocres ou même passables avec d’autres personnes exacerbait davantage la douleur de cette perte, me dit-il. J’avais l’impression de chercher désespérément quelque chose, alors j’ai décidé de supprimer toutes mes applications de rencontres et de ne coucher avec personne pendant au moins un mois. »

Ce qui a débuté comme une expérience s’est peu à peu transformé en un statut permanent. Quand je lui demande s’il considère cela comme un succès, Jack acquiesce et répond : « Tout à fait, j’ai appris que plutôt que d’essayer de satisfaire ce terrible besoin de sexe ou d’intimité, je pouvais le minimiser, le réduire à un niveau tolérable, voire agréable. » Le résultat, dit-il, c’est qu’il a plus de temps libre pour voir ses amis ou aller à la salle de sport. Non pas que l’entrée volontaire dans une période d’abstinence provoque automatiquement une diminution du désir. « Je viens tout juste de regarder du porno et de me branler, avoue-t-il. Et ça va, c’était largement suffisant ! »

Une autre amie, Monica, est responsable marketing. Elle vit et travaille à Manchester. Elle participe actuellement à un programme de réhabilitation en douze étapes. Une partie de ce programme comprend la décision de s’abstenir de relations intimes, qu’elles soient sexuelles ou romantiques. Je lui demande si elle pense que le concept de « célibat volontaire » est légitime, à la fois en tant qu’outil linguistique pour décrire une période vache maigre, et en tant que choix de style de vie. « Il y a des gens qui s’identifient au concept de célibat volontaire et qui tirent clairement avantage du choix de ne pas avoir d’activités sexuelles, explique-t-elle. Mais je me demande souvent si, parfois, ce n’est pas une manière d’éviter l’intimité et ainsi tous les scénarios angoissants et la vulnérabilité qui les accompagnent. »

C’est une chose à laquelle je pense beaucoup, et j’imagine que je ne suis pas le seul. Mes amis s’interrogent beaucoup – et à raison – sur mon degré de célibat volontaire et dans quelle mesure j’ai décidé de transformer toute une gamme de peurs (la peur du rejet, de l’échec, d’être un mauvais amant, etc.) en un rôle facilement adoptable qui excuserait le fait que mes efforts pour réintégrer la communauté romantique et sexuelle sont quasiment inexistants. N’est-ce pas une excuse ? Un moyen de masquer mes angoisses vis-à-vis du sexe et de l’amour ?

Eh bien, oui et non. Il y a bien sûr des nuits (surtout des matins, pour être honnête – les matins où je me réveille avec la gueule de bois et que je réalise que j’ai passé la soirée entouré de couples, et que maintenant je suis strictement seul, avec pour seule compagnie un livre et un téléphone à mes côtés ; les matins où je me traîne au centre de loisirs en bas de la rue et que je m’installe dans le hammam, entouré d’hommes tristes et perdus, qui n’aiment ni l’aspect ni la texture de leur vie, des hommes qui sont assis là les poings serrés, recroquevillés sur eux-mêmes) où je suis contraint de me demander à quel point ma décision d’éviter toute forme de sexe est réellement volontaire.

L’intimité me manque, c’est indéniable, de même que la proximité que seul le sexe avec une personne que l’on aime vraiment semble pouvoir procurer. Mais cela ne me manque pas assez pour que je doive renégocier ma façon de vivre.

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