« Si j’étais plus jeune, je me branlerais sur les livres de la collection BD CUL : ils représentent tous mes fantasmes ». Des complexes, Bastien Vivès n’en a pas lorsqu’il s’agit d’aborder son amour pour le sexe dessiné : « J’ai toujours dessiné des meufs à poil. Depuis que je suis petit, c’est une vraie passion. Mais à chaque fois que je conceptualisais du porno, ça devenait sérieux et chiant ». Révélé par le très sage Polina, consacré à la danse classique, l’auteur de bande dessinée de la prestigieuse écurie Casterman a pourtant réalisé deux ouvrages pour BD CUL – la bouillonnante collection pornographique des éditions Les Requins Marteaux. Et ils ne sont ni sérieux, ni chiants. Dans La Décharge Mentale, par exemple, délicieux pastiche de série télé familiale option « gros nichons et trucs bourgeois très polis », dixit l’auteur, on rit presque autant qu’on bande. Et on rit beaucoup.
Avec dix-sept ouvrages parus depuis 2010, la collection BD CUL a réveillé la scène graphique porno en lui rendant sa dimension follement bandante et clairement marrante. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une exposition dans le cadre du célèbre festival de BD baptisé Pulp, qui se tient ce week-end à la Ferme du Buisson (94). Le concept fondateur de BD CUL est né d’un constat : « tous les dessinateurs dessinent des trucs cochons, mais en cachette ! Alors, on a demandé de dessiner du porno à des auteurs qui ne viennent pas de ce monde-là », explique Frédéric Felder, codirecteur (avec son camarade Cizo) de la collection. D’ailleurs, un des premiers auteurs qu’ils ont contactée a été Nine Antico, qui n’était alors pas – mais alors pas du tout – sur le créneau du porno.
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En 2013, elle a publié I Love Alice chez BD CUL, un teen-movie pervers gavé de pop culture et de personnages « piqués aux pages mode de Jalouse ». La jeune femme a d’ailleurs été la première étonnée de s’être prise au jeu proposé par Felder et Cizo : « j’ai essayé de faire une BD bandante et sans aucune intention intellectuelle cachée. Je n’ai eu qu’un but : exciter le lecteur et la lectrice. Je voulais saisir les saisir quand ils sont bien à point. Comme quand, au cinéma, les deux personnages se sont tellement tournés autour que tu n’en peux plus, que tu n’as qu’une envie : qu’ils se prennent enfin ! ».
Clairement, BD CUL est une collection unique en son genre – à la croisée de la pornographie la plus cash et de l’ambition artistique la plus pointue. On y trouve aussi bien des BD classiques (La Bibite à Bon Dieu de Guillaume Bouzard, Teddy Beat, de Morgan Navarro) que des ouvrages illustratifs expérimentaux relevant quasiment de l’art contemporain. C’est le cas du travail de Roxane Lumeret, auteur de l’excellent Coup de frein sur la côte. Son pitch n’a pourtant rien d’un David Lynch : « C’est l’histoire d’une fille qui vient prendre des leçons de conduite au bord de la mer, pendant les vacances d’été. Elle rencontre le moniteur de l’auto-école, le vigile du Bricorama, un surfeur, un vétérinaire et elle fait avec eux tout ce dont elle a envie », explique-t-elle, avant de préciser « C’est très simple : j’ai écrit ce dont, moi, j’avais envie pendant des vacances au bord de la mer ». Et ce n’est pas Bastien Vivès qui dira le contraire : « Il faut garder en tête ce qui t’éclate, autant en tant qu’auteur que lecteur. Plus tu seras sincère, plus ça sera sexy ».
C’est peut-être ce qui fait la magie de la collection : plutôt que coller à un genre, les auteurs sont invités à exprimer leur propre vision de la sexualité. Dans une célébration de tous les fantasmes et, surtout, de tous les plaisirs. « Notre porno est assez festif : on mange, on boit, s’amuse… », assure Fred Felder. Un état d’esprit plutôt éloigné de la culture dominante dans le porno d’aujourd’hui, qu’il rejette d’ailleurs en bloc : « C’est hyper clinique. Et puis, il y a beaucoup de scènes basées sur des fantasmes de domination, d’humiliation, de viol… j’ai beaucoup de mal avec ça ».
C’est d’ailleurs ce dont on peut s’apercevoir en découvrant la truculente exposition BD CUL : mieux qu’un accrochage des meilleures planches de leur collection, Felder et Cizo ont choisi de présenter une visite de l’hypothétique rédaction de BD CUL. Au programme : tables à dessin « personnalisées », régie publicitaire au goût certain, bureau (très) privé du directeur, mais aussi, promet-on, des sextapes maison réalisées avec les auteurs… « Le tout dans une ambiance de fête et de boîte de nuit ! », s’enflamme Frédéric Felder. Bref, de la poilade, du kif, et, surtout de la liberté : « La BD porno est un des derniers espaces de liberté, et grâce au dessin, on peut tout représenter », note Bastien Vivès. D’ailleurs s’il y en a probablement autant pour émoustiller les femmes que les hommes chez BD CUL et Felder promet une suite encore plus libre et plus colorée : « On va essayer d’avoir un plus grand panel de sexualités ».
Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler qu’à part quelques gloires passées, comme Milo Manara, Magnus ou Guido Crepax, le genre a toujours fasciné, mais n’a jamais eu bonne presse : « Dans les années 70-80, à part quelques grands auteurs, la BD porno était méprisée par les gens de la profession. Elle avait un public énorme, mais tout le monde se cachait. C’était les pestiférés de la BD », relate Felder. Qui, lui, peut aujourd’hui jouir d’éditer des ouvrages de qualité, répondant aux noms sans équivoque de L’éjaculation Sentimentale, Bite Fighter ou encore L’odyssée du Vice. Et que l’on peut (presque) lire dans le métro !
L’expo consacrée à BD CUL se tiendra au Pulp Festival du 6 au 21 avril à Ferme du Buisson, à Noisiel, en Seine-et-Marne.